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Emmanuel de Waresquiel : “Le testament de Marie-Antoinette, l’un des plus poignants que je connaisse”

Emmanuel de Waresquiel
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Marzena Devoud - publié le 15/11/20
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En octobre 1793 la reine Marie-Antoinette est guillotinée après un simulacre de procès. Historien, grand spécialiste de la Révolution française, Emmanuel de Waresquiel revient sur cet évènement et décrit le courage d’une femme qui tente de résister à l’adversité avec dignité et foi, alors qu’elle se sait condamnée.Emmanuel de Waresquiel, historien, spécialiste de la Révolution française, de l’Empire et de la Restauration, connu du grand public pour ses éclairages uniques sur Talleyrand, et auteur de « Juger la Reine », vient de publier un livre passionnant qui raconte les Sept jours qui ont bouleversé le cours de l’histoire de France. Pour Aleteia, il revient sur le procès d’une reine. Celui d’une étrangère, d’une femme et d’une mère. Le procès d’une jeune femme de 38 ans qui, pendant les trois derniers jours de sa vie, a impressionné par sa dignité, son courage, son sens politique et aussi une foi en Dieu sans faille. Décryptage.

Aleteia : Il a fallu à la Révolution trois jours et deux nuits, du 14 au 16 octobre 1793, pour juger et guillotiner Marie-Antoinette. Elle était condamnée d’avance. Dans votre ouvrage “Juger la Reine” vous vous êtes penché sur des sources jusqu’alors inédites de son procès. Pourquoi, pour un historien, ce procès est-il aussi important ?
Emmanuel de Waresquiel : J’ai essayé de comprendre quels étaient tous les enjeux qui présidaient à l’existence même du procès de Marie-Antoinette. Cette confrontation entre deux mondes : celui de la Révolution d’un côté incarné par les juges et les accusateurs publics, et celui de la contre-Révolution représentée par la reine déchue de l’autre… En fait, ce procès est le seul élément de la Révolution française où l’on trouve ces deux mondes l’un en face de l’autre. C’est un évènement qui en apparence semble être mineur. Mais en réalité, il donne à comprendre beaucoup mieux ce qu’a été la Révolution et ce qu’a été la Terreur. C’est un procès de la Révolution, qui veut à tout prix incarner le principe de l’égalité contre les privilèges, les ordres, la hiérarchie incarnés par la reine, qui veut être le défenseur de la nation contre celle qui est étrangère, dont la coalition étrangère occupe déjà certains territoires français. C’est aussi un procès des hommes contre une femme.

Mais pourquoi au cours de ce procès, cette haine si inouïe envers elle ?
Elle remonte à loin, bien avant la Révolution française. Elle remonte au fameux renversement des alliances de 1756, quand la France se tourne vers son ennemi héréditaire qu’était l’Autriche, en se détournant de la Prusse. Alors que la construction monarchique française, celle définie par le fameux pré-carré de Richelieu, s’était toujours reposée sur l’opposition aux Habsbourg. Toutes les guerres françaises, jusqu’à ce renversement, avaient été contre la dynastie Habsbourg, qu’elles soient contre l’Espagne ou contre l’Autriche. Des pamphlets sont alors publiés visant cette décision de Louis XV et de Choiseul. Les élites de l’époque vivent mal ce bouleversement, dont la conséquence dynastique est l’arrivée de Marie-Antoinette, l’archiduchesse Antonia, une des filles de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, âgée alors d’à peine quinze ans. Dauphine, puis reine de France, elle est le garant de la nouvelle alliance. Elle est autrichienne, ce qui est déjà une accusation potentielle et presque une tare !

Marie-Antoinette arrive en France alors qu’elle n’a que quinze ans (…), elle est arrachée à sa famille. Quand elle passe le Rhin, on la fait se déshabiller de ses vêtements pour revêtir ceux de la Cour de France…

Ensuite, l’hostilité va s’enrichir d’un nouveau tort qu’on lui porte, celui de son indépendance envers la cour comme envers le roi à qui elle ne donne pas d’enfant pendant les sept premières années de mariage. Elle est indépendante et libre, elle s’installe au Trianon. Le premier pamphlet contre Marie-Antoinette, qui se sert d’une anecdote à Marly en 1780 n’est que le début d’une longue série où on va lui faire payer cette indépendance en lui prêtant des mœurs légères. Pourtant, son indépendance est toute relative. Mais les codes de la Cour de France était beaucoup plus stricts que ceux de la cour des Habsbourg, plus familiale et moins formelle que Versailles.

Exécution de Marie-Antoinette, Musée de la Révolution française - Vizille.jpg

CC/Wikimedia

La reine Marie-Antoinette, le 16 octobre 1793 : escortée par la garde nationale de Paris, elle est conduite de la Conciergerie à la place de la Révolution où elle va être guillotinée.

Marie-Antoinette arrive à la cour très jeune, encore une raison d’hostilité envers elle ?
Oui, c’est aussi une question de génération : Elle arrive en France alors qu’elle n’a que quinze ans, elle est projetée dans un monde de vieux. Il faut essayer de comprendre son comportement, son caractère. Marie-Antoinette est arrachée à sa famille. Quand elle passe le Rhin, on la fait se déshabiller de ses vêtements pour revêtir ceux de la Cour de France. Cela a été certainement pour elle un véritable traumatisme. Contrairement à sa mère, une femme d’autorité, elle ne s’intéresse pas à la politique. De ce point de vue, elle déçoit le gouvernement autrichien parce qu’elle ne lui sert pas de relai de transmission en France. Également, comme elle l’écrit dans des lettre à ses proches, elle n’aime pas être en public, elle se sent en dessous des responsabilités qui devraient être les siennes. Au fond, elle ne s’aime pas. D’ailleurs, elle va mettre des années à accepter les portraits qu’on fait d’elle, il va même falloir attendre 1777 pour qu’elle accepte le premier de tous ceux qu’on a fait d’elle. Les pamphlets se développent bien avant 1789, ils tirent un trait entre les turpitudes sexuelles qu’on lui prête et ses turpitudes politiques. L’explication de son dérèglement sexuel devient celui de son dérèglement politique, on la soupçonne de vouloir prendre le pouvoir, notamment sur son mari.



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Qu’est-ce qui vous frappe le plus dans la psychologie de Marie-Antoinette pendant son procès ?
La reine est dans une position de faiblesse absolue. On l’a séparée de son fils, on lui a interdit les promenades dans la cour des femmes de la prison de la Conciergerie, elle est très peu informée de ce qui se passe à l’extérieur. Jusqu’au dernier moment, elle croit qu’elle pourra servir de monnaie d’échange entre le gouvernement et l’Autriche, ce qui est une illusion. Pourtant Marie-Antoinette a une force de vie en elle impressionnante, celle qui la porte pendant les trois jours et les deux nuits du procès.

Vous dites qu’elle est incroyablement digne et courageuse, mais aussi très politique…
Elle apparaît comme une passionaria du droit divin. Pas tant pour défendre son mari qui a été guillotiné huit mois plus tôt, que pour protéger les droits de son fils. N’oublions pas le contexte du moment : c’est une lutte de pouvoir au sein de la contre-Révolution, entre les revendications des frères cadets de Louis XVI et son fils qui est emprisonné à la tour du Temple. Marie-Antoinette est beaucoup plus ferme et univoque que son mari ne l’a jamais été pendant son propre procès devant la Convention. Elle a de l’aplomb et le sens de la répartie. De toute façon, quoiqu’il arrive, elle est déjà condamnée avant d’avoir été jugée, parce qu’elle représente le système monarchique qu’on abat, parce que les pamphlets lui ont donné la réputation qu’on connaît, parce qu’elle ne se laisse pas faire… On va même l’accuser d’inceste avec son propre fils !



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Jusqu’au bout, elle essaie de défendre la cause monarchique et les droits historiques et héréditaires de son fils de 7 ans. Ne l’oublions jamais, elle le considère comme roi de France celui qui est enfermé au Temple. Un petit garçon dont les révolutionnaires ne savent pas très bien quoi faire… Finalement, ils vont trouver la parade en avilissant la relation entre sa mère et lui. Ils sont gênés par le statut monarchique de ce petit garçon. D’où l’idée d’accusation d’inceste, relayée par le témoignage douteux du gardien du petit Louis XVII, le cordonnier Simon, et qui a été développée par Hébert l’un des témoins essentiels du procès.

Vous dites que tout le monde a peur dans ce procès. Les accusateurs aussi. Finalement, il y a une communauté de destin entre la reine et ses juges…
Oui, je la vois dans les archives. La moitié des jurés ont été proches de Robespierre, ils ont subi eux-mêmes des procès, ils sont dans la peur. L’univers psychologique des juges relève d’éléments divers qui tiennent à la nécessité politique, à la conscience révolutionnaire, à la vertu, mais aussi à la peur qui est un élément constitutif de leur psychologie. On est en pleine guerre civile. Les armées étrangères de la Coalition sont au Nord, à l’Est… La flotte anglo-espagnole a pris Toulon, la Vendée et Lyon se sont soulevés. Tout le monde a peur. L’été et l’automne 1793 sont d’une extrême difficulté pour une très jeune république qui n’a même pas un an, et qui se défend par l’exemple et la vengeance. La notion de vengeance est absolument essentielle du point de vue de la dynamique de la Terreur. Les juges sont habités par cet esprit de vengeance. Il est très difficile de démêler vengeance, conscience révolutionnaire, nécessité politique et peur. Tout cela constitue le fond de la sauce de la psychologie des juges et des jurés.

Son attitude face à la mort tient à des raisons terrestres et célestes, liées autant à son statut d’archiduchesse et de reine, qu’à sa foi.

Marie-Antoinette parle-t-elle de sa foi au cours du procès ?
Pendant son procès, la reine n’exprime pas sa foi. Elle pense qu’elle arrivera à terrasser ses accusateurs, elle sait se taire quand il le faut et ne pas manier des arguments qui pourraient la desservir. Elle est beaucoup trop intelligente pour le faire. Quant à sa foi, la reine le fait dans son testament rédigé dans son cachot de la Conciergerie après l’annonce de sa condamnation. Elle l’adresse à la sœur de Louis XVI, qui partage la captivité des enfants royaux au Temple. Dans sa lettre, Marie-Antoinette se confie entièrement dans les mains de Dieu. C’est une des lettres testamentaires les plus poignantes que je connaisse !


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Ce testament, la reine ne le signe pas, elle ne mentionne aucun nom, dans l’espoir peut-être de la faire parvenir discrètement à sa belle-sœur. En tant qu’historien, croyez-vous en son authenticité ?
Même si son testament ne nous est pas parvenu simplement, j’en suis convaincu. Toutes les vérifications que j’ai effectuées le confirment.

Qu’est-ce qui vous frappe le plus dans son testament ?
Je suis abasourdi par le courage de Marie-Antoinette et sa capacité de résister à l’adversité, alors qu’elle sait qu’elle est condamnée à mort. Ensuite, ce qui m’émeut profondément, c’est la délicatesse de ses sentiments pour ses enfants. Elle les aime profondément. Malgré la déchirure de la séparation qu’elle sait définitive, elle leur écrit pour leur dire l’importance du pardon. Ces valeurs chrétiennes du rachat par le pardon qu’elle veut transmettre à ses enfants, cet abandon d’elle-même dans les mains de Dieu, c’est édifiant. Il n’y a pas selon moi d’autre explication que sa profonde dimension chrétienne pour comprendre la sérénité qui se dégage de ces pages.

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Fred de Noyelle / Godong
Marie-Antoinette soutenue par la Religion, Chapelle expiatoire, à Paris.

En même temps, je sais qu’elle ne veut pas perdre la face. Son attitude face à la mort tient à des raisons terrestres et célestes, liées autant à son statut d’archiduchesse et de reine, qu’à sa foi. Cette attitude qu’elle aura au pied de l’échafaud, elle s’explique par son abandon à Dieu, et en même temps par sa volonté, son orgueil de souveraine de ne pas perdre la face vis-à-vis de ses ennemis, qu’elle considère comme des êtres atroces. Si elle appelle au pardon, cela ne l’empêche pas de les haïr profondément. En lisant son testament, je suis impressionné par la maîtrise de soi qui se dégage d’elle, et par son courage qui est exemplaire, ainsi que cette persuasion qu’elle a d’être dans les mains du Seigneur.

“Sept jours – 17-23 juin 1789 – La France entre en révolution” d’Emmanuel de Waresquiel, Tallandier, 480 p, octobre 2020

"Sept jours" d'Emmanuel de Waresquiel

Tallandier


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