“C’est un orfèvre qui tient cette boutique. Son art est assez particulier, il fait des objets qui incitent à des réflexions sur le destin”, lit-on dans La Boutique de l’Orfèvre, la pièce de théâtre écrite par le futur saint Jean Paul. Cette phrase résonne particulièrement chez Antoine Chevillard. Le jeune successeur de la Maison Chéret, institution des objets liturgiques à Paris, y trouve un résumé parfait de la vocation de ce lieu. On peut dire que le destin s’est mêlé plus d’une fois de la pérennité du magasin.
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La boutique est petite mais l’intérieur est vaste. Plusieurs objets illuminent l’oeil, comme les grandes icônes russes ou les ostensoirs, véritables oeuvres d’art. On sent d’emblée la quête du beau dans la sélection des objets. « J’ai remarqué que nous avons beaucoup d’artistes religieux en France et beaucoup n’ont pas le temps ou le talent de vendre leur travail à leur juste valeur », explique Antoine Chevillard. « Notamment parce que l’art et le commerce ne font pas toujours bon ménage. Il se trouve que c’est mon domaine. »
Il y a un an, le projet qu’il porte depuis longtemps en lui est près de se concrétiser. Madame Chéret a déjà la boutique dont il rêve, assez ancienne. La suite fait son chemin bien vite. « Un jour, un entrepreneur me parle de sa volonté de vendre sa boutique, voire de la fermer », se souvient Antoine. « Je lui propose peu de temps après une offre de rachat. Et, le jour de ma rencontre avec elle, l’article sur la maison Chéret paraît sur Aleteia, que je découvre plus tard. Elle y évoque justement sa quête d’un successeur au risque de mettre les clefs sous la porte. » Le clin d’oeil est encourageant. Et en juillet 2020 la succession a lieu, véritablement, rue Mayet.
« Ici, tous les objets ont une présence »
Le jeune homme a donc la grande responsabilité de prendre la suite d’une maison réputée. en réalité, il ne débarque pas vraiment dans ce domaine. On pourrait même penser que c’est son destin. « Je porte déjà l’orfèvrerie dans mon ADN depuis quatre générations, car ma famille y est depuis les années 1850. D’où ma première orientation professionnelle dans la joaillerie. » C’est donc naturellement qu’il reprend le flambeau. De son côté, Madame Chéret prend soin de la passation et vient régulièrement le voir pour prodiguer conseils, encouragements et attentions à la boutique où elle a donné tant.
Les biens en vente sont tous le fruit de ses relations durables avec les artistes et elle tient à ce que cela dure. C’est aussi cela le coeur de la maison Chéret, un échange constant et vivant avec celui qui fabrique l’oeuvre, sans jamais transiger sur la qualité. Et le résultat est bien là. « Tous les clients le disent en venant ici. Ils sentent une force, une présence créative. Ce sont des objets qui appellent à une certaine profondeur et à une réflexion. Tous les objets ont une présence. »
Ainsi, nous pouvons admirer les sculptures de Pascale Bulloz, les pièces en métal de Jean-Jacques Bris, les créations de Michael Greschny ou celles de Gérard Beaucousin, la plupart vivant dans des coins reculés de France. La diversité des pièces permet de toucher chaque sensibilité. Les pièces contemporaines interrogent, supposent de prendre du temps, quand les icônes ont un effet plus immédiat. « Quand on prie devant une icône, on y trouve le même sens théologique profond que la Parole de Dieu. Une icône est reçue dans la prière et exprime la même chose. En la regardant, on est enseigné, l’icône nous transforme, ce qui suppose un véritable acte de foi pour l’accepter. »
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Entre modernité et patrimoine
L’enjeu de l’objet liturgique au XXIe siècle est de taille à l’heure où tout est consommable et, disons-le, de plus en plus médiocre. C’est un risque que le jeune entrepreneur est très heureux de prendre. Et de s’inquiéter du fait que « ce qui est offert au plus grand nombre n’est plus de qualité, tout est jetable ». Il déplore surtout « qu’on perde le sens de la qualité des choses, dans le profane aussi bien que dans le religieux ; à plus forte raison doit-on s’en soucier pour les objets de foi ». Il égrène quelques chapelets en bois, très simples mais très beaux, confectionnés par des religieuses. « On prie avec des chapelets en plastique, on accepte de célébrer la messe avec des objets qui ne sont pas précieux ; j’essaye de garder le sens. » À voir jusqu’à la qualité des cartes postales, après le bronze, le bois soigné ou la dinanderie en étain, on peut être sûr qu’il n’y soit pas tombé. Et ça redonne effectivement l’envie de s’élever.
La boutique doit aussi sa pérennité à l’alliance perpétuelle entre modernité, quête de qualité et adaptation aux évolutions de l’Église et des temps. « Madame Chéret a toujours été sur le fil rouge de la création. En plus de l’orfèvrerie, de la chasublerie, des crucifix et des médailles, elle a fait entrer les terres cuites, elle a recréé de nouvelles collections de dinanderie en étain, plus sobres, abordables et adaptées à un usage portatif », raconte son successeur. « Elle a toujours eu à coeur de soutenir les créateurs et artistes, d’être en relation avec eux, pour garder cette volonté commune d’être toujours à la pointe de la recherche. Ce qu’est devenu la réputation de la maison. Le but est de toujours porter ce mouvement. »
Pour honorer la démarche de la maison Chéret, il ne « souhaite rien révolutionner » et encore moins baisser en qualité. « C’est important d’inscrire l’objet sacré dans l’histoire et dans le patrimoine », rappelle-t-il. « Les collections Chéret sont d’ailleurs entrées au trésor de Notre-Dame dans le département XXe. Aujourd’hui, ce que nous proposons a vocation à être des oeuvres du XXIe siècle. D’où l’échange permanent avec les artistes. » La prochaine collaboration porte sur une nouvelle réflexion sur la chasublerieavec une femme dont il juge le travail remarquable.
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