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Amour et vérité font-ils toujours bon ménage ?

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Jeanne Larghero - publié le 31/10/20
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Dire la vérité est fort louable, mais cela ne suffit pas. Il faut l’aimer pour la comprendre et pour la transmettre.

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« J’ai rencontré bien des gens avec la volonté de tromper, mais personne qui admît d’être trompé » (saint Augustin, X, 23). C’est ainsi : nous aimons la vérité quand nous en sommes les heureux bénéficiaires. En revanche, quand il s’agit de la proclamer dans l’hostilité ou l’indifférence, quand il s’agit d’avouer un fait dérangeant, et quand il s’agit de se sortir du pétrin moyennant quelques petits arrangements, notre amour de la vérité prend souvent des dimensions variables. C’est ainsi : nombreux sommes-nous à avoir peur de dire la vérité, au point même de mentir à quelqu’un qu’on aime, alors que personne n’aime être trompé ou trahi.

Le critère du vrai

Paradoxalement, c’est ce même besoin de vérité qui nous fait voir des complots partout, y compris les plus absurdes ! C’est aussi une obsession de la vérité qui peut nous rendre insupportable à nos proches, quand nous les corrigeons sur une faute de grammaire, un lapsus, un mot pour un autre… Peut-être que, tout simplement, nous ne savons pas vraiment ce que nous aimons, lorsque nous proclamons notre désir de vérité. Peut-être serions-nous bien en panne s’il fallait nous expliquer sur ce que nous appelons « la vérité ».

Parce qu’aimer la vérité, ne consiste pas seulement à vouloir la dire. C’est chercher de tout son cœur ce qu’il y a de beau et de bon en chacun.

Saint Thomas d’Aquin reprend dans la Somme théologique une définition héritée de la philosophie d’Aristote : la vérité est une « adéquation de l’intelligence au réel ». On comprend tous. Si comme récit de vacances j’invente une histoire abracadabrante sans aucun rapport avec ce que j’ai réellement fait, si pour convaincre des électeurs j’extrapole des chiffres sortis tout droit de mon imagination, je suis le premier à savoir que la réalité est bien loin de ce que je raconte. J’ai créé une zone grise et mouvante… Et ceux qui me croiront auront tout faux, malheureusement. La réalité avant tout, voilà le critère du vrai.


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La bienveillance du cœur

Mais cette « adéquation de l’intelligence », cette justesse de la pensée est bien plus riche et profonde qu’il n’y paraît. Il ne s’agit pas seulement de dire la vérité, et donc de décrire la réalité sèchement, abruptement, et exclusivement. Pourquoi ? Parce que l’intelligence n’est pas une fonction froide et tranchante. Parce qu’aimer la vérité, ne consiste pas seulement à vouloir la dire. C’est chercher de tout son cœur ce qu’il y a de beau et de bon en chacun. C’est aussi ouvrir les yeux sur le monde comme pour remonter d’un fleuve à sa source : d’où vient qu’il soit si beau, d’où vient qu’il soit si abimé, d’où vient qu’il nous ait été donné dans cette immensité. Voilà pourquoi les psaumes nous chantent ceux qui « marchent dans la vérité », qui « vivent en vérité ». La véritable intelligence est une bienveillance du cœur : celle qui discerne, dans une intuition souriante, ce qu’a voulu dire celui qui a « fourché », ou ce qu’a voulu faire celui qui s’est pris les pieds dans le tapis. Une telle intelligence est active, profonde, sensible et désirante, prête à l’effort et aimante. C’est la voix qui en nous dit « je comprends », « je te comprends ».

L’oxygène de l’âme

Voyons donc la vérité non pas comme une abstraction située dans de lointaines altitudes, mais comme « un besoin fondamental de l’âme », comme le pensait la philosophe Simone Weil. Son eau, son pain, sa lumière, son oxygène : lorsque nous sommes empêchés de comprendre, nous manquons de tout. Nous sommes profondément des êtres pour le vrai. C’est pourquoi tous ceux qui pensent protéger ou se protéger, éviter de blesser, en dissimulant, déguisant, sont bien loin de résoudre les problèmes : au contraire ils les rendent encore plus opaques, et tout le monde est perdu. En un mot, l’amour sans la vérité égare, la vérité sans amour dessèche. La prière de saint Paul dans la lettre aux Éphésiens (Eph 1, 17-18) va donc droit au but : puisse Dieu « illuminer les yeux de votre cœur » !


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