DES COUPLES QUI INSPIRENT (6/12). En soutenant jusqu’au bout Franz dans son refus de servir Hitler, Franziska Jägerstätter offre un modèle d’épouse profondément unie à son mari, allant jusqu’à consentir au sacrifice de Franz mais aussi à celui de leur bonheur ici-bas.
Le bienheureux Franz Jägerstätter, béatifié à Linz le 26 octobre 2007, et sa femme Franziska, sont longtemps demeurés dans l’oubli, cachés aux yeux du monde, parmi d’autres héros de la résistance catholique austro-allemande, pour éviter que leur exemple et leur sacrifice ne viennent saper l’autorité nazie. Ce n’est qu’en 1964, avec la publication d’une biographie intitulée In solitary witness : the life and death of Franz Jägerstätter que le sociologue américain Gordon Zahn dévoile le geste héroïque de cet humble paysan catholique autrichien, âgé de 36 ans, marié et père de trois petites filles, qui s’est opposé à Hitler en 1943 en refusant d’incorporer la Wehrmacht.
Emprisonné à Linz, puis à Berlin, il est condamné à mort par un tribunal militaire et guillotiné le 9 août 1943 pour « entrave à l’effort de guerre ». Sacrifice ultime de sa part, puisqu’il a donné sa vie pour ne pas trahir le Christ en prenant part à une guerre qu’il estimait injuste, mais sacrifice également partagé par sa femme, Franziska, qui l’a soutenu dans sa décision, annihilant ainsi son couple et sa vie de famille.
Un soutien indéfectible
Apprenant sa condamnation à mort pour la « simple » raison que son mari refusait de jurer fidélité à Hitler, quelle femme ne se serait pas rebellée ou tout du moins n’aurait pas essayé de lui faire entendre raison ? Il eut été facile, comme le lui suggère d’ailleurs le père Karobath, le curé de son village, de prêter serment tout en pensant « ce qu’il veut ». Il eut été possible, comme le lui propose à plusieurs reprises son avocat, de faire croire qu’il change d’avis pour sauver sa peau. Il eut été légitime, de la part de Franziska, de faire prévaloir sa responsabilité en tant que père et époux. D’autant que la vie paysanne dans les montagnes du Tyrol était particulièrement rude et que Franziska se retrouvait avec ses trois filles, dont l’aînée n’avait que 6 ans, sa belle-mère âgée et sa sœur à charge. Une remarque que d’autres n’ont pas manqué de lui faire mais à laquelle il répond : « Je ne peux croire que parce qu’on a une femme et des enfants, on est dispensé de s’offrir à Dieu. »
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La dernière lettre du bienheureux Franz Jägerstätter à sa femme
Mais Franziska, elle, ne dit rien de tel. Elle ne l’accuse jamais. Lors de leur rencontre à la prison, après le verdict, elle lui répond même qu’elle comprend son choix. Dans le très fidèle film Une vie cachée, le réalisateur Terrence Malick fait dire à ce moment-là à Franziska : « Je t’aime. Quoi que tu fasses, quoi qu’il arrive, je suis avec toi. Toujours. Fais ce qui est juste ». En prononçant ces mots, elle consent à mener seule une vie de labeur, elle consent à ce que ses filles n’aient plus de père, sa belle-mère plus de fils.
Franz et Franziska sont toujours sur la même longueur d’ondes, du même côté, sans faillir, sans faiblir, alors même que la mère de Franz ne semble pas du même avis que le couple. En effet, Franz, de la prison, écrit à sa femme : « Ne sois pas triste si ma mère ne nous comprend pas. » Une décision qu’ils portent à deux, envers et contre tous. Si elle ne l’avait pas soutenu, « il aurait été complètement seul », a raconté plus tard Franziska à l’historienne Erna Putz qui a bien connu Franziska, décédée en 2013 à l’âge de 100 ans. « Franziska a été celle qui lui a permis d’être en paix », analyse l’historienne.
Un couple porté par le Christ
Avant de se rencontrer, Franz et Franziska ont envisagé chacun de leur côté de consacrer leur vie au Christ : « Nous savons par le curé du village, raconte Andreas Schmoller, historien et directeur de l’Institut Franz et Franziska Jägerstätter de Linz, qu’en 1934 Franz lui déclara qu’il voulait entrer dans un ordre religieux. Mais il l’en a dissuadé, afin qu’il puisse prendre ses responsabilités dans la ferme familiale. » De même, vers 23 ans, Franziska émet le désir de devenir religieuse puis se ravise. Finalement, ils se marient le 9 avril 1936, partent en voyage de noces à Rome, où ils participent à une audience du pape Pie XI. « Franz et Franziska formaient un couple très heureux. Ils s’aimaient énormément. On trouve beaucoup de signes de cette affection dans leurs échanges », témoigne Erna Putz, qui a édité en allemand une centaine de lettres du couple. Ensemble, ils lisent la Bible, dont un exemplaire leur a été offert par le curé du village pour leur mariage.
Au cours de son entraînement militaire en 1940-1941, Franz rejoint le tiers ordre franciscain. Comme auraient pu le laisser présager leurs prénoms respectifs et leur dévotion particulière envers saint François d’Assise, Franziska fait de même quelques mois plus tard. « Membres du tiers ordre franciscain, ils étaient tous deux pétris de cette spiritualité. Franziska dira plus tard : nous avons continué à nous aider mutuellement l’un l’autre dans la foi. Cette dimension religieuse était au cœur du bonheur qui les unissait », explique Erna Putz. Même analyse de la part d’Andreas Schmoller : « Leur amour est nourri par leur même religiosité. On le voit bien dans les lettres qu’ils échangent, alors que lui est en prison et qu’elle reste seule pour s’occuper de la ferme et de leurs trois filles. Ils restent liés l’un à l’autre en ayant la religion au cœur de leur vie. Ce n’est pas malgré mais plutôt grâce à cette relation avec sa femme, à ce lien profond qu’il avait avec elle, au soutien qu’elle lui a apporté alors qu’il était absolument seul, qu’il a pu tenir sa décision jusqu’au bout. Il y a toute une énergie qui découle de sa relation avec sa femme, et qui est liée à cette spiritualité profonde qui les unissait », souligne le directeur de l’Institut Franz et Franziska Jägerstätter.
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Face au nazisme, les martyrs de l’ombre
Le jour de leur septième anniversaire de mariage, le 9 avril 1943, Franz évoque dans une lettre à Franzisca « tout ce bonheur et toutes ces grâces qui leur ont été donnés, qui parfois ressemblaient à des miracles ». Et d’assurer, avec une indétrônable espérance : « Ma chère épouse, nous ne devons pas avoir d’inquiétude, car Celui qui jusqu’à présent nous a gardés et donné ce bonheur ne nous abandonnera pas si nous n’oublions pas de Le remercier et si nous ne faiblissons pas dans notre quête du Ciel. Notre bonheur continuera éternellement. » Tous deux ne recherchent pas le bonheur ici-bas mais plutôt celui promis dans la vie éternelle, même si ce dernier exige d’immenses sacrifices.
Des photos inédites de la famille de Franz et Franziska Jägerstätter :