Pour le disciple du Christ, la réussite d’une existence s’évalue selon la qualité des relations qu’il noue avec ses semblables et avec Dieu. L’accaparement compulsif, l’obsession du chiffre et l’efficacité à tout prix ne sont pas des critères pertinents pour décider si une vie est réussie ou non.
Qu’est-ce qu’une vie réussie selon la foi en Christ ? Existe-t-il en ce domaine une « différence chrétienne » ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’interroger au préalable les critères selon lesquels sont évaluées habituellement, dans notre monde, les carrières et les parcours professionnels, ainsi que l’existence dans sa trajectoire plus globale. Pour les mentalités mondaines, deux catégories dominent les évaluations professionnelles : l’efficacité et la quantité. Au niveau privé, une troisième caractéristique permet de juger de la réussite d’une vie : l’épanouissement personnel. Une existence sera considérée comme bonne si, à travers elle, nous nous épanouissons dans notre être. Examinons si ces trois critères « mondains » sont pertinents pour décider de la réussite d’une vie de foi.
Qu’est-ce que l’efficacité ?
Autant le dire tout de suite : l’efficacité n’est pas un terme en odeur de sainteté dans le christianisme. Certes, les disciples du Christ ne se féliciteront jamais assez que leur maître ait vaincu le péché, la mort et Satan ! Le Verbe ne s’est pas incarné pour hasarder une victoire hypothétique. Son but était bien de nous gagner la vie éternelle. Sur ce plan, le Christ n’a rien d’un looser. Pareillement, la manière dont il a géré les débuts de l’Eglise le désigne comme un expert hors pair en management — surtout quand on sait qu’il n’avait pas choisi les plus doués pour cadres sup’ ! En termes de chiffres, la religion chrétienne, toutes confessions confondues, est la première du monde. S’il y a bien un personnage qui a réussi dans l’histoire de l’humanité, c’est bien le Fils de Marie !
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La puissance du Christ ? Son humilité !
Cependant, dans cette appréciation a posteriori, ne perdons pas de vue que cette victoire du Christ s’est opérée sur terre à travers l’échec le plus total. Jésus a fini sa course sur une croix. « Qui aime sa vie la perdra », dira-t-il à ses disciples. En guise de conseil, il est peu probable qu’une telle maxime soit reprise dans les écoles de management ! Manifestement, Jésus a une notion de l’efficacité très différente de celle de nos managers ! Non pas qu’il soit masochiste, mais il n’emprunte pas au monde ses critères d’évaluation pour la simple raison qu’il sait à quel prix cette efficacité se gagne la plupart du temps : au prix de l’inattention aux pauvres et du manque de commisération. Mère Teresa de Calcutta n’a jamais pensé à introduire les fruits des actions de ses sœurs en bourse !
Jésus ne veut pas du chiffre à tout prix !
Parmi les critères d’évaluation d’une vie, la quantité est souvent privilégiée au détriment de la qualité. En effet, cette dernière est une notion évanescente, difficile à cerner. Avec la quantité, au contraire, nous sommes plus assurés, sur un terrain plus stable. Il n’y a pas de contestation possible. Je possède trois voitures, deux réfrigérateurs, deux smartphones, cinq écrans plats, un salaire égal à cinq fois le smic : ces chiffres, dans leur objectivité brute, ne souffrent aucune contestation. Dans le monde du travail, la politique du « toujours plus » quantitatif fait également fureur. On se souvient des récriminations des policiers devant l’impératif de la politique du « chiffre ».
Certes, Jésus ne méprise pas les succès des missions qui sont menées en son nom. Mais là encore, la qualité lui importe davantage que le nombre de convertis.
Certes, Jésus ne méprise pas les succès des missions qui sont menées en son nom. Mais là encore, la qualité lui importe davantage que le nombre de convertis. Le missionnaire est envoyé à des personnes, avec leurs mystères, leurs secrets, leurs histoires, non à des clients ou des cibles de stratégie de marketing. Il n’annonce pas Jésus-Christ comme un VRP vante la vertu d’un dentifrice ou la solidité d’un contrat d’assurance. De même, ce n’est pas le nombre de conversions à son actif qui fait le bon missionnaire, mais plutôt la qualité des rapports qu’il entretient avec les personnages de son entourage. Le critère de la charité est le plus pertinent. Et la charité ne fait pas « du chiffre ».
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La charité, c’est comme la salade de fruits
Épanouissement personnel versus vie de charité
Enfin, dans nos sociétés postmodernes où Dieu a disparu des écrans radars, l’évaluation d’une vie bonne n’est plus référée au rapport que nous entretenons avec la source de tout Bien, mais à l’épanouissement de notre être. Il s’agit de « dilater » les potentialités positives de notre personnalité, de capter « les bonnes ondes », de cultiver son « karma » favorable. Derrière ce jargon qui emprunte beaucoup aux sagesses extrême-orientales, se cache en fait un repli sur soi qui fait dépendre le bonheur de nos propres efforts. Certes, les autres sont souvent associés à cette volonté d’épanouissement, mais on ignore si c’est pour leur bien ou pour celui de la personne qui désire cultiver, à travers elles, ses potentialités relationnelles dans le seul but de réussir son existence propre.
Or, pour la foi chrétienne, la réussite ne se mesure pas seulement à l’épanouissement du croyant. Selon elle, le critère décisif est la charité. Sera réussie une existence qui nous permettra d’aimer Dieu et notre prochain.
Or, pour la foi chrétienne, la réussite ne se mesure pas seulement à l’épanouissement du croyant. Selon elle, le critère décisif est la charité. Sera réussie une existence qui nous permettra d’aimer Dieu et notre prochain. L’amour est la mesure principale. Dans ce contexte, l’épanouissement de l’être chrétien est le contraire d’une vie centrée sur soi-même. Prendre soin des plus faibles est plus important que toutes les réussites mondaines éclatantes ou que notre bien-être mental passager.
« Réjouissez-vous, vos noms sont inscrits dans les cieux »
Un épisode tiré de l’Evangile illustre parfaitement la « différence chrétienne » dans ce domaine. Revenant de mission, les soixante-douze disciples de Jésus lui déclarent : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom ! » Or, Jésus, loin de se contenter de l’efficience de leur mission, leur répond : « Ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux » (Lc 10, 17-20). Autrement dit : c’est la relation avec votre Père céleste qui est la chose la plus importante pour vous. C’est elle qui décidera de la réussite de votre existence, non votre efficacité missionnaire ! Ce qui ne signifie pas qu’il faille bâcler le travail que nous accomplissons auprès de ceux auxquels nous sommes envoyés.