Interrogé par les pharisiens sur la soumission à César, Jésus ne préconise ni le renversement du pouvoir, ni la servitude volontaire dans l’évangile de ce dimanche. Seule sa royauté, qui est celle de la vérité, peut tout exiger de nous.
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Dans le célèbre conte d’Andersen Les habits de l’Empereur, il faut la naïveté d’un enfant pour proclamer ce que tout le monde voyait sans oser le dire : « Le Roi est nu ! » Parce qu’il n’a pas les peurs ou les artifices d’un adulte, cet enfant dit la vérité. Et si l’enfant que Jésus avait fait placer un jour au centre du groupe des disciples avait parlé, peut-être aurait-il lui aussi désigné Jésus en s’exclamant : « Le Roi est nu ! » La vérité sort de la bouche des enfants… Car si Jésus règne, depuis toujours et pour toujours, si le Père l’associe à son règne et le fait asseoir sur son trône de gloire, si Jésus est roi d’une royauté divine incontestable, il n’en demeure pas moins vrai que de sa naissance à sa mort, Jésus, le Roi des rois, est nu ! Mais là où le roi du conte d’Andersen était ridicule parce qu’il avait été trompé, Jésus est magnifique parce qu’il a choisi cette nudité. Le Roi est nu, vive le Roi ! Le Roi est nu, parce qu’Il l’a voulu !
Jésus a toujours été nu
Depuis les langes de sa nativité jusqu’au linge que les soldats ont bien voulu lui laisser au Calvaire après l’avoir dépouillé de sa tunique, Jésus a toujours été nu ! Le berceau et la Croix étaient pourtant des trônes depuis lesquels Jésus, en vérité, régnait sur le monde. Mais Jésus est un roi qui renonce au pouvoir : de la Crèche à la Croix, Jésus se présente comme ce roi sans pareil qui renonce au pouvoir. Ainsi le récit de sa naissance, surtout chez Luc, fait tout pour le présenter comme roi, jusqu’aux mages qui viennent l’adorer et lui offrir des cadeaux royaux. Mais à bien y réfléchir, l’enfant Jésus n’a pas pu se saisir de l’or, la fumée de l’encens s’est échappée, et la myrrhe annonçait sa mort. Déjà, le roi était nu et renonçait à se saisir des attributs du pouvoir.
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De même, le récit de la Passion, surtout chez Jean, est littéralement une intronisation, une élévation, depuis la couronne d’épines et le manteau de pourpre jusqu’à l’écriteau au-dessus de la Croix, mais là encore, le roi est nu, humilié et se refuse à manifester son pouvoir et écraser ses ennemis.
Un roi d’un genre nouveau
Avant cela, Jésus avait inauguré sa vie publique en faisant retraite au désert. Là, Jésus avait d’emblée montré qu’il était un roi d’un genre nouveau, renonçant au pouvoir mondain. Face à Satan, Jésus avait marqué sa différence : le Roi des rois n’est pas comme le Prince de ce monde. Jésus ne fait pas sentir son pouvoir, il enseigne avec autorité. Là où le pouvoir s’exerce par la domination, l’autorité s’impose par la force de la vérité. Plus tard, Jésus invite ses disciples, en particulier les Douze, c’est-à-dire le cœur de la hiérarchie de l’Église, à l’imiter en renonçant au pouvoir pour mieux enseigner avec autorité.
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La royauté de Jésus est décidément de nature à dérouter nos représentations. Lors du procès, c’est Pilate qui avait témoigné de son incompréhension. Dans l’évangile de ce dimanche, c’est César lui-même, qui se trouve symboliquement mis en concurrence avec Jésus dans le piège mis en place par les pharisiens au sujet du paiment de l’impôt (Mt 22, 15-21). Comme si le pouvoir temporel de Rome devait, et jusque dans les visions de l’Apocalypse, servir de révélateur pour faire mieux ressortir la nature véritable de la royauté du Christ.
Le piège politique tendu à Jésus
Le piège tendu à Jésus par les pharisiens autour de la question du paiement de l’impôt est à la fois grossier et subtil. Le piège est grossier parce que la flatterie qui l’accompagne est énorme : « Maître, nous le savons, tu es toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité. » Tout le paradoxe est que ces pharisiens flagorneurs n’ont jamais dit quelque chose de plus vrai alors même qu’ils veulent tromper Jésus. Oui, Jésus est le chemin, la vérité et la vie. Mais il n’a pas besoin qu’on le lui dise, c’est le Père qui lui rend témoignage et ça lui suffit.
Le piège est subtil malgré tout, parce qu’il n’y a pas de bonne réponse. Si Jésus plaide contre l’impôt versé à César, il sera dénoncé comme un séditieux, un révolutionnaire, un agitateur qui menace l’ordre établi par l’occupant romain. Si au contraire Jésus plaide pour une collaboration sans réserve avec Rome, alors il est un traître à sa nation. Mais Jésus refuse de se laisser enfermer dans ce choix. Il ne préconise ni le renversement du pouvoir, ni la servitude volontaire.
La légitimité limitée de César
Jésus n’entre pas dans cette dialectique mortifère. Maritain aurait dit que Jésus distingue pour unir. En tout cas, il dessine une hiérarchie qui peut être harmonieuse : l’autorité politique est légitime puisqu’elle est voulue ou au moins permise par Dieu. Il faut donc payer l’impôt à celui qui fait régner un ordre certes imparfait — la pax romana, avec ses grandeurs et ses ambiguïtés — mais dont tout le monde bénéficie. Toutefois, cette autorité politique ne peut pas réclamer le tout des personnes et de la société, parce qu’elle est elle-même soumise à l’autorité de Dieu. Seul Dieu peut réclamer le tout de la personne, César, jamais !
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La distinction des ordres établie par Jésus dans cet Évangile n’est pas si évidente à tenir en pratique. Jusqu’à quel point l’ordre politique établi est-il légitime, et jusqu’à quel point faut-il donc se conformer aux lois qu’il édicte ? Quand des lois abominables sont votées en catimini, cela suffit-il à délégitimer le pouvoir ? En matière politique, on se meut dans les eaux troubles de la contingence, et le discernement n’est pas facile. Il faut en tout cas refuser absolument l’idée selon laquelle la distinction des ordres imposerait de reléguer l’expression de la foi chrétienne à la sphère privée. Aucun domaine n’est de soi étranger à l’Évangile, tout est appelé à être purifié par l’influence de l’Évangile.
L’autorité de la vérité
Il demeure que pour nous autres chrétiens, nous n’avons pas d’autre choix que de suivre Jésus en renonçant au pouvoir, dans le monde et dans l’Église. Il faut défendre évangéliquement les valeurs évangéliques. Ce n’est pas parce que l’histoire des deux derniers siècles nous a obligés à ce renoncement sous la contrainte que le principe n’en est pas moins évangélique. Notre seule autorité est celle de la vérité. Rendre témoignage à la vérité en ne s’attendant pas à ce que nous soyons plus entendus que le Christ : le serviteur n’est pas plus grand que le maître. Notre seul pouvoir et notre seule richesse, c’est de ressembler au Christ, d’être à l’effigie, non pas de César, mais du Christ. « Le Roi est nu ! » s’exclame l’enfant qui dit la vérité. Oui, notre Roi est nu, car il l’a voulu. Suivons nus le Roi nu !