“Savez-vous, M. le Président, qu’aucune étude ne montre de liens entre instruction dans la famille et radicalisation islamiste ?”
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C’est un discours qui a eu, en apparence, un immense mérite : nommer clairement l’islamisme et ne pas faire croire, malgré le pluriel de « séparatismes », que le danger venait autant des spectateurs du Puy-du-Fou et des mormons que de l’islam dit radical et des « territoire perdus de la République ». Tout en mettant en garde, dans la langue de bois depuis longtemps officielle, contre « le piège de l’amalgame tendu par les polémistes », Emmanuel Macron a sans doute dit les choses plus clairement que n’importe quel Président jusque-là : « Ce à quoi nous devons nous attaquer, c’est le séparatisme islamiste. C’est un projet conscient, théorisé, politico-religieux […]. Et il y a dans cet islamisme radical, puisque c’est le cœur du sujet, abordons-le et nommons-le, une volonté revendiquée, affichée, une organisation méthodique pour contrevenir aux lois de la République et créer un ordre parallèle, ériger d’autres valeurs, développer une autre organisation de la société, séparatiste dans un premier temps, mais dont le but final est de prendre le contrôle, complet celui-ci. »
Abus de pouvoir
Aucun doute : l’ennemi est nommé, plus explicitement que dans les habituelles incantations contre « les terroristes », « les fondamentalistes », « les extrémistes religieux », voire les « littéralistes ». Même si le président dénonçait récemment les « amish » opposés à la 5G, ce n’est visiblement pas à eux qu’il pense. Il a l’air d’avoir compris qu’aucun d’eux ne rêve de prendre le contrôle de la République à coup de kalachniknov. C’est aussi, hélas, un discours qui a un immense tort : associer la « déscolarisation des enfants » de l’islam radical et le choix de plus en plus de familles de l’instruction à domicile, autrement dit « l’école à la maison » : « Dès la rentrée 2021, l’instruction à l’école sera rendue obligatoire pour tous dès 3 ans. L’instruction à domicile sera strictement limitée, notamment aux impératifs de santé. Nous changeons donc de paradigme, et c’est une nécessité. »
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Non, Monsieur le Président, ce n’est pas une « nécessité », artifice rhétorique qui interdit toute discussion. Ce n’est pas une nécessité, c’est un abus de pouvoir. C’est une violation d’un droit fondamental. Vous pouvez tant que vous voulez évoquer les images glaçantes « des femmes en niqab qui accueillent » des enfants dans des lieux où il n’y a « presque pas de fenêtres ». Vous pouvez même vous vanter d’avoir fermé une école clandestine où des filles de sept ans portaient le voile intégral, ce dont nous félicitons volontiers vos services. Vous ne pourrez pas pour autant prétendre que les 50.000 enfants qui font aujourd’hui l’école à domicile relèvent de la « déscolarisation » et de «l’endoctrinement ». Vous ne le pouvez pas, parce que si vous invitez à regarder la réalité en face sur les écoles clandestines, nous vous invitons en retour à regarder en face la réalité de l’école à la maison.
Désinformation
Cela supposerait que vous ne tombiez pas dans « un amalgame » que ne vous a soufflé aucun polémiste. Tranquille amalgame et, au passage, insulte pour les parents concernés, que d’enrôler de force, pour les besoins de la démonstration, ces 50.000 enfants comme des exclus « de l’éducation à la citoyenneté, de l’accès à la culture, à notre histoire, à nos valeurs, à l’expérience de l’altérité qui est le cœur de l’école républicaine ». Cette désinformation n’a pas même, chez vous, l’excuse de la « déscolarisation » prématurée.
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Savez-vous, M. le Président, qu’aucune étude ne montre de liens entre instruction dans la famille et radicalisation islamiste ? Vous souvenez-vous que les frères Kouachi, comme Amedy Coulibaly, ont été élèves de l’école républicaine ? Avez-vous conscience, surtout, que cela peut être justement pour que leur enfant ait un accès à la culture que certains parents retirent leur enfant de l’école ? Parmi eux, un certain nombre sont d’ailleurs professeurs de l’Éducation nationale. Ils sont évidemment perplexes, lorsque vous les appelez à l’aide pour un réveil républicain, dans ce même discours qui les transforme en potentiels porteurs de hachoir.
L’éveil à la distance critique
Oui, c’est pour que leurs enfants aient accès à la culture que certains parents font l’école à la maison. Il y en a qui sont lassés qu’on apprenne à ceux qu’ils ont, librement, confié à l’école de la République que la femme n’avait pas d’âme au Moyen-Âge, que Galilée était un athée défiant l’Église, que la liberté, voire la pensée, sont nées en 1789, que Pie XII était nazi et sans doute saint Louis avant lui. Il y a ceux qui, plus simplement, aimeraient que leurs enfants travaillent un peu plus l’orthographe, et ceux qui constatent que la meilleure manière de situer des villes sur une carte est de jouer à Voyage en France en famille.
Comme tout enseignement digne de ce nom, public ou privé, avec ou sans contrat, l’école à la maison tente aussi d’éveiller l’esprit des élèves à une distance critique vis-à-vis de tous les endoctrinements
Comme tout enseignement digne de ce nom, public ou privé, avec ou sans contrat, l’école à la maison tente aussi d’éveiller l’esprit des élèves à une distance critique vis-à-vis de tous les endoctrinements, y compris ceux qui viennent d’une République dévoyée, quand elle se croit propriétaire des enfants dès l’instant qu’ils commencent à parler.
Jules Ferry et le père de famille
Dans sa « Lettre aux instituteurs » de 1883 (1), Jules Ferry donnait aux hussards noirs de la République la consigne suivante : « Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire… » M. le Président, au lieu de vouloir arracher les enfants à leur famille le plus tôt possible, dans ce qui ressemble fort à une conscription obligatoire de substitution, non plus à dix-huit ans mais à trois ans, vous feriez mieux de rappeler à tous cette recommandation de Jules Ferry, puisque vous prétendez marcher sur ses pas. Il se pourrait que certains parents remettent alors leur enfant à l’école. D’autres, en revanche, entendent bien continuer l’instruction à domicile, se réjouissant de vivre dans un pays qui respecte la liberté d’enseignement. Un pays qui ne décide pas, par crainte de la dictature islamiste imaginée par le 2084 de Boualem Sansal, de franchir un nouveau pas vers l’État totalitaire du 1984 d’Orwell.
Sur ce point, voir notamment le stimulant petit livre de Xavier Dufour, Dieu à l’école. Plaidoyer pour un enseignement des religions, Cerf, 2018, notamment p. 47-48.
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