Les entreprises parlent justement de leur « raison d’être », en réponse au défaut d’engagement des salariés. Mais c’est d’abord dans une raison d’être intérieure que l’on trouve du sens à son travail.
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L’histoire se passe au fin fond de la jungle africaine. Dans son fameux roman Voyage au bout de la nuit (1932), Céline fait le récit de la rencontre étonnante entre Bardamu, son personnage principal, avec le sergent Alcide. Alcide tient un trafic de tabac, c’est un homme médiocre, un gagne-petit dans un univers sordide. Et pourtant : en sondant cet homme improbable, Bardamu découvre en lui une part sublime qui le « fait rougir », qui « tutoie les anges », et force son admiration.
Quel est donc le secret du sergent Alcide ? Sans famille ni amis, seul dans cet univers délétère, Alcide travaille comme il peut et envoie son argent à sa nièce, Ginette, une petite orpheline de 10 ans, qui vit à Bordeaux. Il est sa seule famille. Pour elle, il veut la meilleure école, des cours de piano et des leçons d’anglais, mais aussi qu’elle guérisse d’une vilaine paralysie de la jambe… Alcide, homme sans reflet, cache en lui une tendresse, une chaleur, « une attention sublime ». Sa vie, sa pauvre vie est illuminée par un phare. Il a trouvé sa raison d’être.
Et si la littérature éclairait le monde du travail ?
Il est toujours risqué de se servir d’un grand texte pour éclairer la vie dans les organisations. Les littéraires ont l’impression qu’on le dégrade, les professionnels le trouvent trop éloigné. Et pourtant, il y a fort à parier qu’Alcide est le frère de tous ceux qui ont le sentiment de faire un travail pénible. Les travaux sordides sont certes plutôt rares aujourd’hui, mais il faut reconnaître que cette raison d’être manque parfois cruellement dans nos activités.
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Preuve en est l’incroyable défaut d’engagement observé dans les entreprises. Cernés par le nihilisme, nous devenons méfiants, hésitants, difficiles. Est-il possible de réveiller l’Alcide qui dort en nous ? De trouver la petite Giselle qui ranimera notre cœur à l’ouvrage ? Est-il vrai que chacun possède en soi une raison d’être ? Qu’il lui appartient de la rendre féconde, non seulement dans sa vie privée mais également professionnelle ? C’est ce que nous croyons.
Les deux raisons d’être
Je remarque qu’il existe au moins deux façons de définir une raison d’être : la première est externe comme chez Alcide qui peut supporter la médiocrité de son activité grâce à la puissance de son amour pour une enfant. Et puis une raison d’être interne. S’accomplir dans ce que l’on fait, aimer son travail, être convaincu de sa valeur ajoutée professionnelle…
Cette deuxième raison d’être est celle qui nous intéresse ici. C’est dans son travail qu’il faut pouvoir la découvrir, car loin d’être une parenthèse de notre vie, le travail représente une réalité si chronophage ! Une raison légitime mais extérieure n’est généralement pas suffisante pour nous engager durablement… sauf pour Alcide.
De la raison d’être de chacun à celle de l’entreprise… et retour
On parle volontiers aujourd’hui de la raison d’être d’une organisation ou d’une entreprise. Quand elles s’interrogent à ce sujet, l’aspect marketing de leurs déclarations peut prêter à sourire :
Google : « Rendre les informations accessibles et utiles à tous »
Axa : « Protéger et agir pour un futur serein »
Decathlon : « Le sport partout, pour tous »
Essilor : « Améliorer la vision pour améliorer la vie »
Michelin : « Offrir une meilleure façon d’avancer »
Il n’en reste pas moins que ces tentatives me paraissent indispensables. La raison d’être répond à cette question très simple à laquelle il n’est jamais facile de répondre : pour quoi je travaille, pour quoi nous travaillons ensemble ? Explorer ces interrogations et tâcher d’y répondre est un exercice qui ajoute un surplus de sens quand il est fait avec sincérité. Comme quoi ce qui est vrai pour soi, l’est également des organisations.
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