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Fratelli tutti : une encyclique inconfortable

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Louis Manaranche - publié le 05/10/20
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Bien que traditionnel, l’enseignement de la troisième encyclique du pape François déstabilise. Si toute fraternité ne va pas sans amitié sociale et sans identité, celle-ci exige une forme de charité supérieure qui, loin d’être « romantique », est théologale. C’est l’appel prophétique du pape François.

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Il y a des lectures qui sont spontanément agréables en ce qu’elles nous plongent dans une pensée structurée qui consonne avec nos intuitions ou convictions. Toutefois, il en est d’autres qui présentent un chemin plus ardu. L’encyclique Fratelli tutti peut sembler être de ces textes. On y trouve une pensée riche en fioretti pour filer la métaphore franciscaine. Le Saint-Père nous amène ainsi de l’état des relations sociales dans le monde contemporain aux fondements du politique en passant par l’accueil des migrants ou la réforme de l’ONU. Si cela peut paraître de prime abord décousu, au fil de la lecture apparaît avec toujours plus de netteté l’intention du Pape : trouver des chemins de fraternité universelle et réhabiliter l’amitié sociale. 

La tension entre identité et fraternité

La parabole qui sous-tend cette réflexion est celle du Bon Samaritain, qui exprime « la dynamique de cette lutte interne qui est menée dans la construction de notre identité, dans chaque existence engagée sur le chemin de la réalisation de la fraternité humaine ». L’impératif de secourir et aimer l’étranger, figure du Christ, en découle tout naturellement, comme souvent sous la plume et dans la parole du Pape. Apparaît alors une synthèse entre l’accueil des migrants et la question des périphéries, abordée très tôt durant le pontificat : « Chaque sœur ou frère souffrant, abandonné ou ignoré par ma société, est un étranger existentiel, même s’il est natif du pays. Il peut s’agir d’un citoyen possédant tous les papiers, mais on le traite comme un étranger dans son propre pays. »



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Loin d’être anecdotique, cette synthèse apparaît au cœur de l’encyclique. Le Saint-Père rassemble sa pensée sociale et les grandes intuitions de son pontificat sous le signe de la fraternité. On y trouve ainsi entre autres une dénonciation des présupposés philosophiques du libéralisme : « La catégorie de peuple, qui intègre une valorisation positive des liens communautaires et culturels, est généralement rejetée par les visions libérales individualistes où la société est considérée comme une simple somme d’intérêts qui coexistent », un puissant rappel de la destination universelle des biens : « Le droit à la propriété privée ne peut être considéré que comme un droit naturel secondaire et dérivé du principe de la destination universelle des biens créés ; et cela comporte des conséquences très concrètes qui doivent se refléter sur le fonctionnement de la société » ou encore l’appel à une gouvernance mondiale en ce qui concerne les questions migratoires : « Au-delà des différentes actions indispensables, les États ne peuvent pas trouver tout seuls des solutions adéquates “car les conséquences des choix de chacun retombent inévitablement sur la Communauté internationale tout entière”. » 

L’amitié sociale, condition de la fraternité

Ainsi, d’aucuns voient déjà la confirmation que nous avons affaire à un pontife « gauchiste », comme l’a titré cum granu salis le journal Libération. En réalité et plus profondément, le Pape montre à nouveau dans cette encyclique combien il est redevable de la « théologie du peuple », aux solides fondations scripturaires et traditionnelles. C’est en effet l’amitié sociale, notion bien connue de la doctrine sociale de l’Église, qui est la condition de toute fraternité universelle : « L’amour qui s’étend au-delà des frontières a pour fondement ce que nous appelons ‘‘l’amitié sociale’’ dans chaque ville ou dans chaque pays. Lorsqu’elle est authentique, cette amitié sociale au sein d’une communauté est la condition de la possibilité d’une ouverture universelle vraie. » 

Faire un peuple

Néanmoins, le Pape la colore de sa pensée propre lorsqu’il insiste, renvoyant dos-à-dos faux universalisme et populisme, sur le peuple comme catégorie « mythique » : « Le terme peuple a quelque chose de plus qu’on ne peut pas expliquer de manière logique. Faire partie d’un peuple, c’est faire partie d’une identité commune faite de liens sociaux et culturels. Et cela n’est pas quelque chose d’automatique, tout au contraire : c’est un processus lent, difficile… vers un projet commun. » Pour faire partie d’un peuple qui s’ancre dans une histoire et poursuit celle-ci, les ressources du récit constructeur et la force des volontés sont nécessaires. Vouloir faire un peuple exige une forme de charité supérieure qui nous rappelle combien celle-ci, loin d’être « romantique », est théologale. Ainsi fondée, cette charité rejaillira du prochain le plus immédiat au frère que je ne vois pas ou que je ne voulais pas voir… En somme, si cette encyclique peut déconcerter, ce n’est pas tant par sa forme assez libre et foisonnante que par un appel proprement prophétique qui appelle tous, riches ou pauvres, chrétiens ou non, de droite ou de gauche, à une conversion du regard et de l’action. Merci Très Saint Père.



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