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Le personnage de François d’Assise est tellement fascinant, qu’il est enrôlé par de multiples causes. Mais sa seule cause à Lui était l’amour de Jésus.
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Dans l’épître aux Galates, Paul écrit : “Que personne ne vienne me tourmenter, car je porte dans mon corps les marques des souffrances de Jésus.” (Ga 6, 14-18). Autrement dit, les souffrances de Paul, endurées pour le Christ, sont la meilleure attestation de la qualité de son témoignage. Dans l’esprit des rédacteurs du missel franciscain qui ont sélectionné cet extrait pour la messe de saint François, la transposition s’impose : les stigmates reçus par François d’Assise à la fin de sa vie sur le mont Alverne sont comme un sceau que le Christ a déposé sur le corps de François pour attester de sa parfaite conformité à l’Évangile et de la crédibilité de son message.
Le sceau des stigmates
L’image du “sceau”, utilisée par saint Bonaventure (ministre général des Frères mineurs de 1257 à 1274, théologien et docteur de l’Église) au sujet des stigmates de François est intéressante. D’abord, le sceau marque la fin d’une lettre, et referme l’enveloppe. Dès lors, les stigmates auraient été le signe que la vie de François atteignait son terme et sa perfection, et qu’après les avoir reçus il ne lui restait plus qu’à mourir : “Tout est accompli.” Et puis le sceau d’une lettre est obtenu à partir d’une matière informe, la cire, qu’un feu vient rendre liquide et malléable pour qu’une image puisse être déposée dessus. Dès lors, les stigmates seraient l’image de Jésus déposée par le feu de l’Esprit saint sur le corps de François tout livré à l’action transformante du Père.
Ce n’est pas seulement Jésus crucifié, que François a voulu suivre, mais Jésus dans toute sa vie.
Il est bien vrai que les stigmates apparaissent chez François comme l’achèvement de toute une vie à contempler Jésus, et Jésus crucifié, jusqu’à lui ressembler de plus en plus dans son œuvre d’amour ultime que fut la Passion. Mais à focaliser sur les manifestations extraordinaires, on risque de passer à côté de l’essentiel. Ce n’est pas seulement Jésus crucifié, que François a voulu suivre, mais Jésus dans toute sa vie. Il a voulu suivre Jésus “doux et humble de cœur”, parce qu’il était tombé amoureux de Jésus et que cet amour ne s’est jamais éteint en lui. Et parce que Jésus s’était révélé aux tout-petits plutôt qu’aux sages et aux savants, parce que le Fils de Dieu s’était fait pauvre en venant partager notre humanité, François a voulu se faire le plus petit et le plus pauvre de tous.
Son unique amour
L’unique amour de François, c’était Jésus. On n’a rien compris de François si on ne comprend pas que son unique objectif était de suivre Jésus, de lui ressembler de plus en plus, de la Crèche à la Croix, et jusque dans la gloire de la Résurrection. Ça paraît évident, et pourtant… La personnalité de François fascine tellement, bien au-delà des frontières visibles de l’Église, qu’on en vient à l’oublier !
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Et François devient alors une sorte de mythe sur lequel chacun vient projeter ses aspirations : Mussolini a vu dans François “le plus italien des saints et le plus saint des Italiens”, tandis que d’autres y ont vu le “frère universel”, chantre du dialogue entre les peuples ; les théologiens de la libération en ont fait l’icône de la lutte des classes alors qu’Ozanam y voyait précisément celui qui pouvait réconcilier paisiblement riches et pauvres ; le pape Grégoire IX et Bonaventure ont vu en François la possibilité d’une conciliation heureuse entre charisme et institution, entre prophétisme laïc et sacerdoce, tandis que les milieux protestants en ont fait un précurseur de la Réforme, d’une Église anti-cléricale où Assise serait une “anti-Rome”.
Un personnage complexe
Le simple fait qu’on projette sur François des aspirations aussi contradictoires dit assez la confusion qui règne, et aussi la complexité du personnage. Et quand bien même il n’y aurait pas contradiction, il y a toujours la tentation d’enrôler François au service d’une cause. Les papes eux-mêmes ne s’en privent pas : la cause du dialogue interreligieux en raison de sa rencontre avec un sultan musulman (d’où les rencontres d’Assise sous le pontificat de Jean Paul II) ; la cause de l’écologie en raison de l’amour bien connu du Poverello pour la Création et les animaux (d’où le fait que le pape François place son encyclique Laudato Si’ sous son patronage, jusqu’à lui emprunter son titre) ; la cause de la réforme dans l’Église et l’idée d’une Église pauvre pour les pauvres (chère au pape François), parce que François d’Assise aurait épousé Dame Pauvreté “restée veuve depuis l’ascension du Christ”, selon les mots fameux de Dante ; et enfin la cause de la fraternité universelle avec l’encyclique “Fratelli tutti” signée par le pape François ce 3 octobre à Assise, justement.
Bien sûr, il y a souvent un fondement réel dans l’histoire de François qui justifie qu’on invoque son patronage pour telle ou telle cause, souvent légitime par ailleurs. Et les trésors de sainteté que l’Église a suscités à travers l’histoire sont là aussi pour nous inspirer dans notre action aujourd’hui.
« Suivre nu le Christ nu »
Mais à trop faire de François le champion de toutes les bonnes causes contemporaines, n’oublie-t-on pas parfois un peu qu’il fut d’abord et avant tout un amoureux de Jésus, qui a voulu suivre le Christ le plus radicalement possible ? François n’est ni un écologiste, ni un humanitaire, ni un réformiste, ni un révolutionnaire ni un artisan du dialogue interreligieux. En tout cas, il ne l’est pas d’abord. Il aurait d’ailleurs sans doute été le premier étonné qu’on lui fasse porter toutes ces étiquettes. Non, François a voulu « suivre nu le Christ nu ». Le reste est de la littérature, du fantasme et, parfois, de la récupération.
Les stigmates reçus sur le mont Alverne ont été comparés dans les milieux franciscains à un sceau que le Christ a apposé sur le corps de François, un sceau reproduisant sa propre image à lui, Jésus. Lorsque nous fêtons François, lorsque nous le vénérons, lorsque nous l’invoquons, lorsque nous demandons son intercession, veillons à ne pas substituer une image à une autre. Ne substituons pas à l’image sacrée du Seigneur Jésus en son humanité, de la Crèche à la Croix, une photographie de notre époque, ou un reflet de notre miroir. Si nous nous laissons aller à ce genre d’entreprise, nous sommes coupables d’une double trahison : envers François, et envers Jésus. De même que François n’a pas épousé un concept de pauvreté ou de petitesse mais a voulu suivre une personne, Jésus, pauvre et petit, ne suivons pas à travers François une idée qui n’est bien souvent que la nôtre, mais suivons un homme. Et à travers François, qui n’était qu’un homme, suivons un autre homme, Jésus, qui est aussi le Fils de Dieu.
La vraie pauvreté
S’il y a quelque chose dont on est historiquement sûr, parce que François l’a dit et écrit à plusieurs reprises, c’est qu’il préconisait deux moyens privilégiés pour suivre le Christ : l’Évangile ad litteram et sine glossa (« à la lettre et sans commentaire superflu »), d’une part, et l’Eucharistie d’autre part. C’est très peu, mais c’est plus qu’il n’en faut. C’est peut-être là qu’est la vraie pauvreté évangélique.
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La réforme de l’Église, ou plutôt la réforme dans l’Église (car en sa réalité profonde l’Église est irréformable, et c’est tant mieux car elle a été voulue ainsi par le Christ), si elle doit avoir lieu, se fera d’abord par cette pauvreté-là : vivre de l’Évangile et de l’Eucharistie. Et cette réforme se fera par l’exemple des saints plus sûrement que par la critique externe ou de grands plans quinquennaux. Alors par l’intercession de saint François, demandons la grâce de « suivre nu le Christ nu », avec l’Évangile et l’Eucharistie comme unique trésor.