Rappelé à Dieu brutalement à l’âge de 73 ans, l’écrivain Denis Tillinac était devenu amoureux de l’Église après avoir mûri dans une foi marquée par la vie des sens et la douceur du souvenir. Xavier Patier qui l’a bien connu raconte leur dernière conversation, il y a quelques semaines, où ils parlèrent de la mort, ce “sujet insupportable”.
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Il y avait chez Denis Tillinac un côté Cyrano, mais depuis quelques années davantage un côté “Ma sœur, j’ai fait gras hier”, qu’un côté gloire et poudre du siège d’Arras. Cependant la verte douceur des soirs sur la Dordogne ne le quittait plus. Il était toujours en train de fredonner quelque chose, présent et ailleurs à la fois. En Corrèze, en Amérique, on ne savait trop. Bretteur, mais de plus en plus rêveur. Toujours polémiste, mais davantage poète.
La fatigue et les cicatrices l’avaient insensiblement conduit vers une foi catholique plus profonde, lui que j’avais connu libertin revendiqué il y a trente ans, quand il ne cessait de me provoquer en répétant : “Pourquoi donc l’Église catholique (je crois même qu’il disait : “ton” Église catholique) s’occupe-t-elle de nos de vies privées ? Il y a aucun mal à vivre une passion jusqu’au bout”. Son maître à penser était Jacques Ellul, un réformé. Son maître à vivre était Rabelais, un défroqué.
Amoureux de l’Église
Il avait changé. Son ouvrage lumineux Le Dieu de nos pères (Bayard) au début des années 2000 avait marqué une secrète conversion. La mort prématurée de la directrice des Éditions de la Table Ronde, Marie-Thérèse Caloni, qui lui était proche, ouvrit devant lui un gouffre où il se mit à rechercher la grâce. Un peu plus tard, son Dictionnaire amoureux du catholicisme (Plon) l’installa dans le statut de fournisseur officiel de l’Église catholique en littérature. Il s’y était complu.
Le Christ était venu chercher Tillinac là où il était, dans ce pays imaginaire où les valeurs du rugby, le gaullisme et le clocher de l’église allaient ensemble.
Car amoureux de l’Église, il l’était devenu. Lui qui avait d’abord retrouvé le Christ à travers l’esthétique de l’ancienne liturgie et la nostalgie de son enfance qui l’avait conduit à pousser discrètement les portes de l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet (il ne s’en vantait pas), avait ensuite mûri dans une foi plus exigeante, quand elle restait marquée par l’incarnation et la vie des sens. Le Christ était venu chercher Tillinac là où il était, dans ce pays imaginaire où les valeurs du rugby, le gaullisme et le clocher de l’église allaient ensemble.
La mort en face : impossible !
La dernière fois que je l’ai rencontré, il y a peu, il affectait la mélancolie à la fois bougonne et emphatique qui lui était familière. Nous nous étions donné rendez-vous dans un café près de l’Odéon. Comme j’étais arrivé en avance, j’avais décidé de faire un détour par l’église Saint-Sulpice pour un instant d’adoration, mais il était en avance lui aussi et avait été probablement visité par la même idée car nous nous sommes cogné l’un à l’autre à l’angle de la rue de Tournon une demi-heure avant notre rendez-vous. Il était accompagné de son ami Hubert Delaume.
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Il me dévisagea : “Tu portes un masque, maintenant. Toi !”. Il bougonna contre le coronavirus et les atteintes aux libertés publiques. Nous avons rebroussé chemin et nous sommes assis à la terrasse du Méditerranée. Il a commandé d’autorité du chablis (“Apportez la bouteille !”) et nous avons parlé de la mort. Comme je lui faisais observer qu’en réalité, tout le monde se moquait de la mort et vivait comme si elle n’existait pas, il me révéla que le sujet de la mort lui était proprement insupportable. « Il faudrait la regarder en face, mais La Rochefoucauld a raison, c’est impossible ». Il se disait sans avenir, mais pas sans projet : il était en train de finir un roman. Il me certifia que Benny Lévy n’était pas mort. Nous avons vérifié sur nos téléphones mobiles : il était mort en 2003. Et Denis : “Ils meurent tous !”.
Génial et insupportable
Comme éditeur, Tillinac avait occupé une place un peu à part dans le paysage germanopratin. Au vrai, en prenant la direction de la Table Ronde, il ne s’était pas mis au service de la maison, mais avait mis la maison à son propre service. La Table Ronde sous Tillinac était un lieu où des politiques de tout poil se retrouvaient. Une excitante pagaille régnait.
Pendant que Marie-Thérèse tenait les rênes de l’entreprise, Denis inventait l’avenir. Il se montrait génial et insupportable. Vraiment génial et vraiment insupportable. Ce fou de rugby n’était pas formaté pour le collectif. Il l’était davantage pour l’exploit solitaire. Plus proche du cycliste Raymond Poulidor que du capitaine Jean-Pierre Rives, je crois. Ses meilleurs éditeurs, Olivier Frébourg puis Jean-François Colosimo, ont d’ailleurs fini par exercer leur talent dans d’autres maisons.
Le mot enchanteur
L’Église avec lui avait trouvé un avocat sonore et talentueux, un peu hors ban. Comme Jean des Entommeures, il savait briser les reins des intrus à coups de crosse. Il régnait sur les guerres picrocholines de Paris. Et surtout, il nous enchantait. Moins par sa pensée, vive mais rapide, que par sa musique, envoûtante et vraie. Il avait le génie de mot juste et de l’image qui fait tout comprendre. Il avait trouvé le titre d’un roman d’une jeune catholique, Aude de Chanterac, qu’il publia vers la fin des années 1990. C’était un beau titre : Catho Blues. Catho Blues, voilà la vie de Tillinac. Il aimait la douceur du spleen, même quand il s’agissait de sa foi.
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