A l’occasion de la journée mondiale de la schizophrénie, Aleteia vous propose de redécouvrir le témoignage rare et édifiant de parents confrontés à la maladie psychique de deux de leurs enfants. Une réalité méconnue, inquiétante, face à laquelle Philippe et Charlotte se sont d’abord sentis impuissants, mais qui s’est révélée aussi source d’inestimables trésors. Entretien.
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Âgés tous deux de 80 ans, Philippe et Charlotte Franc, parents de quatre enfants et grands-parents de neuf petits-enfants, livrent le témoignage de toute une vie. Une vie particulièrement éprouvée par les maladies psychiques de leur fils Benoît et de leur fille Brigitte, des schizophrénies qui se sont déclarées lorsque ces derniers avaient respectivement 15 et 24 ans. Durant ces années difficiles, ils ont tenté « d’éveiller les cœurs à ces détresses méconnues », selon leur belle expression. Pari qu’ils ont mené avec une immense énergie, déployée notamment au sein d’associations dédiées aux maladies psychiques telles que l’Unafam et Relais Lumière Espérance dans lesquelles ils se sont engagés de nombreuses années. Ils ont publié un magnifique témoignage, L’espérance est un chemin escarpé, paru le 11 septembre 2020 chez Mame.
Aleteia : A travers votre témoignage, vous souhaitez briser le silence autour de la maladie psychique. Qu’est-ce que la société doit savoir ?
Charlotte Franc : Bien que le handicap qu’engendre la maladie psychique ait été reconnu officiellement en 2005, grâce à Jacques Chirac lui-même confronté aux troubles de sa fille, il demeure encore aujourd’hui une ignorance complète face à cette maladie. Elle est encore assimilée à l’image du « fou furieux », relayée parfois par la presse quand elle relate les rares faits de violence commis par des personnes malades psychiques. Mais en réalité, ce sont bien plus souvent les malades qui font l’objet de moqueries, de rejet, et même de violence parfois. Certes, la maladie psychique est difficile à appréhender, elle fait peur. Quand la raison n’est plus capable de gérer les situations, les émotions, et que cela engendre des comportements imprévisibles et incontrôlables, c’est effectivement inquiétant, mais de là à les mettre au rebut de la société !
Le handicap mental, lui, semble pourtant de mieux en mieux reconnu. Quelle est la différence avec le handicap psychique ?
Charlotte Franc : Le handicap mental se caractérise par une déficience intellectuelle, stable, et qui suscite souvent la compassion. Il ne nécessite pas forcément de traitement médicamenteux. Le handicap psychique n’altère pas les capacités intellectuelles, mais il affecte le comportement. Une personne malade psychique a besoin d’un traitement médicamenteux et psycho-thérapeutique. Son comportement est imprévisible et donc déroutant pour autrui. Elle ne suscite pas volontiers de bienveillance. Je me souviens d’un jour de match où Benoît était censé jouer, mais il fut sujet à des angoisses très fortes et fut incapable de quitter son lit. Ses coéquipiers n’ont pas compris et lui en ont beaucoup voulu, il ne fût plus convoqué. Le handicap psychique ne se voit pas de prime abord. Les changements d’humeur, les obsessions, les angoisses ne se détectent pas immédiatement, et c’est ce qui rend sa reconnaissance si difficile.
Vous dites dans votre livre que le Seigneur vous invite à voir dans vos enfants en difficulté des trésors cachés, quels sont-ils ?
Philippe Franc : Benoît et Brigitte prêtent tous deux une immense attention aux personnes plus faibles qu’eux ou en difficulté. Je me rappelle que lors d’une des pires crises de Benoît, alors qu’il était vraiment mal, il a offert des huîtres à un sans-abri avec le peu d’argent qu’il venait péniblement de gagner. Une forme de générosité qui dépasse positivement la raison.
Charlotte Franc : Quant à Brigitte, elle a un don pour écrire et prend sa plume dès qu’une personne va mal. Elle recèle des trésors de gentillesse, de service, de finesse, tout ceci est intact chez eux. La foi de Brigitte est également impressionnante. Alors qu’elle peut passer d’une idée à l’autre dans la même phrase, elle a sidéré notre groupe de partage de la Bible par sa compréhension de la Parole de Dieu.
Philippe Franc : « Heureux les cœurs purs » ! C’est comme si elle avait un accès spontané et intuitif à la Parole de Dieu. Ses intuitions viennent du fond du cœur. Tous deux possèdent une grande humilité, teintée parfois d’une douloureuse lucidité. Brigitte parle souvent de ce qu’elle faisait avant : travailler, conduire… Benoît a de grandes facultés intellectuelles, ce sont des deuils difficiles à faire.
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Vous racontez des moments très durs, où vos enfants se sont mis en danger. Qu’est-ce qui vous a fait tenir ?
Charlotte Franc : Il m’est arrivé d’être complètement effondrée, démunie, face à des comportements abracadabrants. C’est ma foi qui m’a fait tenir. Parfois je ne savais plus à quel saint me vouer ! C’est cette expérience de l’impuissance totale qui me faisait me tourner vers Dieu et lui demander : « Seigneur, éclaire-nous, dis-nous ce qu’il y a à faire ! ». Et je dois aussi beaucoup à notre réseau d’amis, qui nous a soutenu, accueilli nos enfants chez eux…
Philippe Franc : Au début, c’est l’accompagnement du psychiatre, qui m’a éclairé à une période où je ne comprenais rien. Puis quand je me suis engagé dans Relais Lumière Espérance, la Parole de Dieu m’est devenue proche, elle m’a apporté une vraie consolation, une aide pour vivre des situations impossibles. C’était des paroles, des prières, des rencontres de l’ordre du cadeau, de la grâce.
Aujourd’hui, ils sont soignés et stabilisés, Benoît est marié et père de famille, Brigitte dans un foyer médicalisé, vous devez être fiers du chemin parcouru ?
Charlotte Franc : Pas fiers de nous mais fiers d’eux ! Je vois tout ce qu’ils surmontent, ce qu’ils traversent, Benoît avec son intelligence et son humanité, Brigitte avec sa foi et sa candeur. Mais fiers de nous, non, c’est difficile à dire, il y a toujours nos vieux démons, la culpabilité qui ronge : en avons-nous suffisamment fait ? Avons-nous suffisamment pris soin de nos deux autres enfants qui n’étaient pas malades ? Certes leur regard sur la fragilité humaine s’est enrichi, mais ils ont sans doute pâti de notre relative indisponibilité à leur égard.
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