Le président biélorusse Alexandre Loukachenko fait face à un mouvement de contestation inédit provoqué par sa réélection controversée le 9 août. Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue à travers le pays, malgré une première vague brutale de répression. Magda Kaczmarek, responsable de projets en Biélorussie pour L’Aide à l’Église en détresse (AED) décrit comment ce pays est probablement en train d’ouvrir une nouvelle page de son histoire.
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L’issue des élections du 9 août 2020 a engendré de graves affrontements. Les médias ont montré des images des actes de répression sévères de la police contre les manifestants. Faut-il craindre une escalade des violences, voire une guerre civile ?
Magda Kaczmarek : La société biélorusse était mécontente du résultat des élections. Les troubles et les tensions, quant à eux, étaient déjà perceptibles auparavant. C’est pourquoi les gens sont descendus dans les rues. Au début, c’étaient des conflits sanglants avec beaucoup de violence et d’agression contre les protestataires, des milliers d’entre eux ont été arrêtés, ils ont été nombreux à être frappés. Selon des médias locaux, seulement quelques centaines d’entre eux ont été libérés. Depuis quelques jours, les unités spéciales de la milice se sont retirées, et les manifestations peuvent se dérouler pacifiquement. Jusqu’à présent, jamais l’histoire de la Biélorussie n’avait vécu de telles protestations.
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Quelles sont les exigences de la population ?
Les Biélorusses sont disciplinés, c’est un peuple très bien organisé. Les gens tiennent entre leurs mains des fleurs, des ballons de baudruche ou des pancartes portant l’inscription “Ne nous frappez pas”, ils parcourent pacifiquement les rues, et les rassemblements se déroulent sans agressivité. Pendant la période communiste, ils ont vécu suffisamment de souffrances et de deuils. La seule chose qu’ils veulent, c’est la paix et la tranquillité dans leur pays, et ils aspirent ardemment à la démocratie. En Biélorussie, les jeunes gens bénéficient d’une bonne formation et ils observent avec enthousiasme comment leurs pays voisins, c´est à dire la Pologne, la Lituanie et la Lettonie, se développent. À leurs yeux, l’avenir est placé sous un immense point d’interrogation. Pour eux, le temps des changements est là. Le développement d’une société est un processus naturel, la vie continue, la jeune génération souhaite donc s’ouvrir à l’Europe et voir ses enfants grandir en paix et dans une atmosphère empreinte de tolérance.
Ne laissez plus vos mains, qui sont faites pour des travaux tranquilles et l’amour fraternel, toucher des armes et des pierres.
Face aux événements actuels et à la situation politique persistante en Biélorussie, l’Europe semble quelque peu perplexe et consternée. Voyez-vous des possibilités d’influencer la situation ? Que peuvent entreprendre l’Union européenne et les voisins d’Europe de l’Est ?
Je suis certaine que le peuple est capable de résoudre lui-même ses problèmes. Sa Sainteté le pape François s’est adressé dimanche dernier, le 16 août, au peuple biélorusse, il lui a demandé de prôner la paix et la justice ainsi que d’opter pour un dialogue avec la société. Je pense que son message était très clair. La Biélorussie est un pays chrétien, la majorité est orthodoxe, l’Église catholique romaine constitue 10% de la population. Mgr Tadeusz Kondrusiewicz, l’archevêque catholique romain et métropolite de Minsk-Mahiljou, a lancé la semaine dernière un appel adressé à l’opinion publique, et proposé d’organiser une table ronde. Il a dit : “À ce tournant de notre histoire, au nom de notre Dieu miséricordieux, un Dieu de l’amour et de la paix, j’invite toutes les factions belligérantes de cesser toute violence. Ne laissez plus vos mains, qui sont faites pour des travaux tranquilles et l’amour fraternel, toucher des armes et des pierres. Faites prévaloir la puissance de l’argumentation, sur la base du dialogue dans la vérité et dans l’amour réciproque, et pas l’argument du plus fort.” Il a ajouté en plus que jamais auparavant, les mains d’un frère n’avaient été tachées du sang de l’autre frère en Biélorussie. La brutalité a laissé des traces profondes, et il a demandé qui guérira ces blessures ? Les gens ne sont pas seulement physiquement blessés mais aussi psychiquement, mais il existe une énorme solidarité en faveur des personnes concernées.
Comment les Églises peuvent-elles contribuer concrètement à pacifier la situation ?
Les évêques ont lancé un appel à la prière. Le Rosaire est prié après les offices religieux, et des adorations sont organisées. La proclamation de l’Évangile et de la vérité est actuellement plus importante que jamais pour les prêtres et les religieux. La population cherche la consolation et la trouve dans la foi. L’évêque de Vitebsk (nord-est du pays), Mgr Oleg Butkevych, m’a raconté que les gens en Biélorussie se démenaient souvent dans un conflit de conscience parce qu’ils avaient vécu des situations au cours desquelles ils avaient été obligés d’agir contre leur propre conscience. Selon Mgr Butkevych, les gens doivent s’adresser à Dieu et faire confiance à Sa miséricorde. Dieu ne rejette personne, bien au contraire, Il pardonne à tous ceux qui prient. Le Mal, toutefois, doit être combattu par le Bien. Un des exemples de cette approche réside dans la démarche des femmes vêtues de blanc, qui sont descendues dans les rues, qui ont fait des accolades aux miliciens et fixé des fleurs derrière leurs boucliers. Je pensais que la population postsoviétique était méfiante, ne montre aucune initiative propre et n’apprécie pas d’assumer la responsabilité, mais à mon avis, ces derniers jours en Biélorussie ont montré que le contraire était vrai.
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Comment sont les rapports entre les confessions chrétiennes en Biélorussie ? Qu’en est-il du dialogue interreligieux ?
À l’heure actuelle, les prières communes pour la paix dans le pays représentent aussi un symbole de la grande solidarité entre les Églises. L’Église orthodoxe et les représentants des différentes confessions chrétiennes, du judaïsme et de l’Islam se sont ralliés à l’appel à la prière lancé à l’échelle nationale par l’archevêque Kondrusiewicz. Le président de la conférence épiscopale catholique de Biélorussie a dit qu’il n’existait aucune vérité là où régnait la violence. Tout acte dirigé contre Dieu et les êtres humains constitue un grave péché. Le métropolite orthodoxe Mgr Pavel a également demandé à renoncer à la violence. La haine et l’agression ne sont pas une solution. Au début de la pandémie de Covid-19, toutes les confessions s’étaient jointes pour prier contre la maladie. Selon le métropolite Mgr Kondrusiewicz, ce n’était jamais arrivé auparavant. Les efforts communs des Églises catholique et orthodoxe en faveur de la protection de la vie, contre l’avortement et pour la famille sont connus depuis les années.
Quelle perspective d’avenir voyez-vous pour la Biélorussie ? Quel sera le parcours du pays entre l’autocratie et la démocratie ?
La Biélorussie est un pays magnifique, avec des paysages de toute beauté, de superbes lacs et de riches ressources naturelles. Les kolkhozes agricoles appartiennent à l’État. Néanmoins, les gens quittent les villages et sont de plus en plus nombreux à vivre dans les villes pour y trouver du travail. L’ordre et la propreté règnent partout, les routes sont excellentes. C’est ce que j’ai pu découvrir et vivre lors de mes voyages dans le cadre de mes projets. Ce pays a de nombreuses universités avec des excellents professeurs, et les jeunes gens prennent plaisir à suivre leur formation. Voilà autant d’atouts qui créent des chances de développer une conscience de la liberté et de la démocratie. Le dialogue ouvert et constructif avec le gouvernement est donc extrêmement important. La voix des Églises se révèle certainement décisive ici, car seule la vérité est en mesure de sauver les gens. Les chrétiens pratiquants de Biélorussie peuvent constituer un excellent exemple pour les pays occidentaux grâce à leur foi véritablement vécue. L’archevêque Mgr Kondrusiewicz a demandé à tous les bienfaiteurs de l’AED de prier en faveur de la paix et contre la haine.
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