Visages de missionnaires (1/5). “Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples”, nous dit l’Évangile de Matthieu. Asie, Amérique, Afrique, Europe… Chaque continent est terre de mission. Durant le mois d’août, Aleteia vous propose de découvrir différents visages de missionnaires. Découvrez aujourd’hui le père Thomas Guist’hau, en mission à Salvador de Bahia, au Brésil.
Pour qu’Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l’avenir d’Aleteia deviendra aussi la vôtre.
*don déductible de l’impôt sur le revenu
Des maisons en simples briques entassées les unes sur les autres, des baraques en bois, des enfants qui jouent dans la rue, des tirs de pétards et de fusées, des vêtements qui sèchent sur une corde à linge… Nous sommes dans le quartier des Alagados, à Salvador de Bahia, au nord-est du Brésil. Son nom signifie “les inondés” car dès qu’il pleut, c’est l’inondation. C’est ici que vit depuis trois ans le père Thomas Guist’hau, 43 ans. Prêtre depuis quinze ans dans la communauté de l’Emmanuel, incardiné dans le diocèse de Nantes, il a passé quelques années en paroisse, a participé à la formation des séminaristes à Bruxelles. Il aussi été responsable des jeunes pour sa communauté dans le monde entier : de quoi appréhender des réalités pastorales très diverses.
Alors qu’il cherche un peu de stabilité, sa communauté lui propose de devenir curé de paroisse… à Salvador de Bahia, au Brésil. Le voilà donc propulsé curé de Nossa Senhora dos Alagados – en portugais, “Notre-Dame des Alagados” – dans un quartier populaire de la ville basse de Salvador. Ici 35.000 personnes s’entassent dans 1 km2, une densité presque deux fois plus importante qu’à Paris.
Les habitants d’Alagados sont généralement d’origine africaine car Salvador a longtemps été un port important par lequel arrivaient les esclaves. “L’ambiance est assez chaleureuse”, explique le prêtre, “non seulement par la température – qui peut monter l’été jusqu’à 40 degrés – mais aussi par sa population très accueillante. Les gens se saluent très facilement dans la rue. Tout le monde me dit “bonjour padre”. C’est assez sympathique au quotidien. La paroisse et le curé ont un rôle social très important dans la vie du quartier”.
Un trafic de drogue très prégnant
Pour autant, la réalité n’est pas toujours rose. Le quartier est sous l’emprise des trafiquants de drogue qui ont un pouvoir très fort. “C’est une réalité avec laquelle il faut composer”, explique le missionnaire. “Leur présence est très prégnante. Les trafiquants ont un grand respect des choses religieuses. Nous comptons dans la vie du quartier et le trafic souhaite nous avoir de son côté. Très régulièrement, on m’encourage à demander de l’aide si j’en ai besoin. Il faut pouvoir être dans de bonnes relations sans non plus en avoir trop, et sans opposition trop frontale à ce que font les trafiquants”. Sa manière à lui de lutter de manière indirecte contre le trafic, c’est l’éducation des enfants.
“Quand il y a une telle carence basique, il faut se rendre présent aux gens jusque dans ces carences. Ces œuvres sociales sont le chemin de l’évangélisation.”
La paroisse compte en effet plusieurs œuvres sociales. Chaque jour, 60 enfants participent aux cours de soutien scolaire : ils étudient, sont nourris et éduqués. En outre, une formation professionnelle est proposée aux femmes du quartier. Celles-ci peuvent suivre des cours de cuisine, de couture ou d’informatique, ou se former pour devenir auxiliaire de vie. Un cours d’alphabétisation devrait bientôt ouvrir et l’atelier “Rêves de maman” aide les jeunes femmes enceintes à se préparer à l’arrivée d’un bébé. Les filles-mères ne sont pas rares, en effet. Enfin, tous les quinze jours, quelque 300 personnes parmi les plus pauvres du quartier bénéficient de la soupe alimentaire. “Ces œuvres sociales, dans notre contexte, c’est essentiel. Quand il y a une telle carence basique, il faut se rendre présent aux gens jusque dans ces carences. Ces œuvres sont le chemin de l’évangélisation”, note le père Thomas Guist’hau. L’association Les Amis des Alagados permet d’ailleurs à qui veut de soutenir ces missions.
Les conditions sanitaires restent assez précaires et l’eau courante est coupée très régulièrement. Le taux de chômage s’est hissé à 90% et les habitants exercent une multitude de petits métiers de subsistance. Certains vendent des fruits et légumes, d’autres préparent des repas que l’on vient acheter sur le pas de leur porte ou effectuent des travaux de couture… Mais le trafic reste très présent et les assassinats sont fréquents, liés à des vengeances ou à des dettes de drogue. Au fil du temps, le padre a appris à distinguer le bruits des armes à feu de celui des pétards et feux d’artifice.
Il habite au milieu du quartier. Chaque matin, il se réveille vers 5h30/6h, enchaîne louange, adoration et petit-déjeuner, avant de vaquer à ses occupations de curé. La journée est partagée entre rencontres personnelles, visites à domicile, gestion pratique de la vie de la paroisse, relations avec la municipalité… “Dès que je me déplace, le trajet est un lieu d’évangélisation”, note-t-il. “Tout se vit au jour le jour. Quand on fixe un rendez-vous à quelqu’un, on est à peu près sûr que la personne ne viendra pas et qu’elle ne préviendra pas. Et à l’inverse, nous avons souvent des gens qui débarquent sans prévenir et il faut être là. Les gens ont une vie informelle. Notre rôle, c’est d’entrer dans cette vie informelle. C’est très important. Quand on est missionnaire, il y a un temps essentiel qui est de rentrer dans une amitié avec un peuple. Il y a beaucoup de choses que l’on ne comprend pas. Il faut se mettre au rythme des gens. La première chose, c’est d’entrer dans leur manière d’être, de faire, et d’y apporter l’Évangile. Cela se fait par disponibilité. Au bout de trois ans, je commence à la faire mienne, cette manière d’être”.
“Un abrazo du ciel et de la terre”
Chez les Alagados, on compte de nombreux évangéliques et des personnes qui se réclament du candomblé, une religion afro-brésilienne mélange de catholicisme et de rites venus d’Afrique de l’ouest. “Ils ont une très grande ouverture spirituelle. Je suis persuadé que la quasi-totalité des habitants du quartier prie quotidiennement et très sincèrement”, confie le prêtre, “mais il y a encore beaucoup d’aspects dans leur vie qui ne sont pas évangélisés”. À commencer par la torture et le commerce de mort des trafiquants.
Au niveau de la vie affective, “il y a un gros travail à faire”, reconnaît-il. En effet, si le trafic est très fort, “la violence la plus grande est dans les maisons à cause de l’alcool”, poursuit-il. De nombreuses familles sont complètement déstructurées. “Très peu de familles tiennent le coup et on voit beaucoup de mères avec des enfants de pères différents”. À côté de cela, les habitants du quartier ont un sens de la famille “très large et très flexible”. “Ce n’est pas rare qu’il y ait un enfant recueilli, comme celui d’une cousine. Il y a une vraie misère familiale et une générosité absolument magnifique”. Le prêtre se rappelle avec émotion doña Carminha, une femme pauvre arrivée dans le quartier avec ses deux filles qui recueillait les bébés abandonnés, à tel point que l’on venait en déposer sur le pas de sa porte. Morte à 90 ans, elle aurait recueilli près de 70 enfants. “Cela a créé une sorte de réseau de solidarité et de sainteté magnifiques, décrit le missionnaire. Elle était pétrie de la parole de Dieu et c’était cela son secret”.
“Dans notre quartier, on voit que s’embrassent à la fois la misère terrestre la plus dure et cette ouverture au spirituel et à la sainteté. Dieu n’attend pas que les gens soient sortis de la misère pour en faire des saints”, affirme-t-il. Les Alagados, c’est “un abrazo du ciel et de la terre”. Un abrazo – “étreinte”, en portugais – qui façonne le prêtre jour après jour. “La vie est beaucoup plus simple que ce que l’on peut s’imaginer de loin. Du jour où je suis arrivé, mes peurs ont disparu. C’est une grâce. Le Bon Dieu me donne ce dont j’ai besoin. Je fais l’expérience ici que Dieu est fidèle. Quand il appelle, il donne ce qu’il faut”.
Lire aussi :
Un curé chez les Incas