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Les croisades, des pèlerinages en armes

Croisades

Chapelle saint Georges, cathédrale de Clermont.

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Martin Aurell - publié le 19/07/20
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Le 15 juillet 1099, Jérusalem est libérée par les croisés. On prête aux Francs de s’être livrés au massacre mais les recherches les plus récentes montrent que les violences ont été amplifiées de part et d’autre à des fins de propagande. Même s’il s’agissait de répondre à une agression, ces « guerres justes » ont conduit à des abus qui ont été dénoncés immédiatement par les papes. Les croisades étaient d’abord des pèlerinages en armes, à une époque où guerre et religion formaient un mélange qui nous heurte aujourd’hui.

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Au Moyen Âge, spirituel et temporel ne connaissent pas de séparation. La dimension religieuse imprègne les mentalités médiévales. L’homme médiéval croit en Dieu, ce qui ne l’empêche pas de rester pécheur, mais ne rend pas Dieu responsable pour autant des actes qu’il commet librement.

Il n’y a pas de sens à isoler des démarches accomplies dans un but de foi, d’autres actions guidées par des intérêts strictement politiques ou économiques. La foi de l’homme médiéval imprègne tous les aspects de sa vie. Cela ne signifie pas que la société médiévale ait été plus pure ou plus vertueuse qu’une autre époque : marqués du péché originel, hommes et femmes du Moyen Âge ont leurs vices, leurs folies et leurs défauts. Mais il ne faudrait pas tomber dans la démarche inverse qui consisterait à imputer à l’Église ou à leur foi les errements des hommes médiévaux. En d’autres termes, l’engagement du croisé est un acte de foi entériné par un vœu public mais il est absurde de tenir sa foi pour responsable de ses faits de guerre et d’imputer à l’Église voire à Dieu la violence des croisades.

Si l’on ne comprend pas que les croisades sont des pèlerinages vers les Lieux saints, on passe à côté de l’essentiel.

 

Si l’on ne comprend pas que les croisades sont des pèlerinages vers les Lieux saints, on passe à côté de l’essentiel. La croisade désigne le voyage vers la Terre sainte entrepris par des pèlerins « croisés », c’est-à-dire qu’ils ont cousu la croix du Christ sur leurs vêtements. Le terme de « croisade » est tardif et il n’apparaît qu’à la fin du XIIIe siècle : on parlait plutôt de voyage, de passage ou traversée et de chemin. L’histoire a retenu huit croisades qui se sont échelonnées entre 1095 et 1291 et auxquelles il faudrait ajouter les nombreux départs, individuels ou collectifs, vers la Terre sainte qui n’ont pas formé de « croisades » reconnues telles par les historiens modernes. Toutes se sont inscrites dans la logique de défendre l’accès aux Lieux saints, soit une étroite bande de terre reliant l’Asie Mineure à Jérusalem.

La première croisade

La première croisade est entreprise en 1095, à la demande conjointe du pape Urbain II et d’Alexis Comnène, l’empereur de Byzance. Elle a pour but de « délivrer » Jérusalem, la ville sainte par excellence, sous domination musulmane depuis 638. Attention ! les croisades ne sont cependant pas une réponse directe à la présence de l’islam. Pendant les quatre siècles qui séparent la prise arabe de 638 de l’appel du pape Urbain II, les chrétiens de Palestine ont continué de vivre en terre d’islam et le pèlerinage chrétien en Terre sainte a connu un grand essor pour devenir, au XIe siècle, un véritable phénomène de masse.

C’est au tournant des années 1050 que le pouvoir musulman se durcit vis-à-vis des chrétiens pèlerins. On citera, à titre d’exemple, la destruction du Saint-Sépulcre ordonnée, en 1009, par le calife El Hakim. À ces exactions commises contre les chrétiens s’ajoute un message de détresse envoyé par Byzance au printemps 1095. Le grignotage des terres byzantines par les musulmans, commencé depuis les origines de l’islam au VIIe siècle, s’est en effet accéléré, culminant avec la victoire des Turcs seldjoukides à Manzikert, en 1071.

Des mercenaires latins à Byzance

Enfin, fait important pour comprendre l’émergence des croisades, l’empereur byzantin avait, à plusieurs reprises déjà, soldé des chevaliers latins en tant que « mercenaires » pour défendre les frontières byzantines. De ce panorama historique il ressort donc que les croisades sont une guerre doublement défensive : à l’objectif de délivrer les Lieux saints, s’ajoute celui d’aider Byzance dans sa lutte contre les Turcs musulmans. Les deux sont liés : la pression croissante des Turcs seldjoukides ayant rendu plus dangereuses les routes ancestrales de pèlerinage vers Jérusalem. Le départ en croisade se fait donc au carrefour de deux routes : les chemins séculaires de pèlerinage chrétien vers les Lieux saints et la route mercenaire des chevaliers latins vers Byzance.

La terre et la foi

Le succès rencontré par l’appel à la croisade a plusieurs explications, qu’il ne faut pas séparer les unes des autres. D’abord, la structure féodale d’une noblesse qui fonde son pouvoir sur la terre et l’épée. Or, les terres se font rares, laissant une large frange de la noblesse occidentale appauvrie et sans horizon, tandis que l’Église cherche à limiter la guerre en Occident, étendant le champ des faibles auxquels il est interdit de s’en prendre. Mais cet argument ne doit pas être pris à revers : ce n’est pas l’existence d’une noblesse en mal d’action qui explique les croisades ; c’est la conjonction d’une situation géopolitique tendue et d’une structure sociale déséquilibrée, qui explique en partie l’écho reçu par l’appel à la croisade. On pourrait d’ailleurs ajouter que nombreux furent les grands seigneurs, les aînés de famille mais aussi les paysans, qui se croisèrent, invalidant la seule explication socio-économique.

Une démarche spirituelle

L’autre cause du succès de la croisade fut, bien sûr, son attrait spirituel. La croisade, fille des pèlerinages, est avant tout une démarche d’expiation de ses fautes par le contact avec les Lieux Saints, au terme d’une expédition lointaine, pénible, dangereuse et incertaine. Pour autant, on ne conquiert pas son salut au fil de l’épée en croisade : la croisade n’est pas une obligation religieuse qui assure au chrétien un accès direct au paradis. C’est une différence de fond avec le djihad musulman.

Les croisades s’inscrivent dans une longue pratique pénitentielle chrétienne. Cette pratique est celle de l’expiation des fautes par le pèlerinage. Mais il est incorrect d’en déduire un mécanisme d’indulgence en échange du service armé dans la milice du Christ : jamais l’Église n’a dit qu’en tuant, on irait au ciel. La démarche de croisade donne, au mieux, une indulgence plénière, qui délivre le croisé des sanctions terrestres mais qui ne suffit pas à lui garantir l’accès au paradis. Lors d’une bataille, tout un chacun est conscient que s’il meurt en état de péché mortel, il ira en enfer. Le croisé doit toujours passer par le Jugement dernier : l’essentiel est d’être en état de grâce intérieur. Même saint Bernard, qui exalte le « malicide », c’est-à-dire la justification du meurtre d’un ennemi du bien, n’en fait pas une condition suffisante pour être sauvé.

Le Pape, une puissance temporelle

Au Moyen Âge, la papauté est une puissance temporelle et la religion, le liant de la société. Dépositaire de la culture, acteur central dans la santé et l’éducation des populations, l’Église, en tant qu’institution, cherche à défendre ses intérêts pour mieux remplir sa mission terrestre. Les ordres militaires implantés en Terre sainte en sont l’illustration : templiers, hospitaliers, ou chevaliers teutoniques, tous ces ordres assuraient, dans leurs forteresses de Palestine, une présence défensive auprès des Lieux saints, mais aussi des services de santé et d’accueil des pèlerins, dans la plus pure tradition des hospices médiévaux.

Les États latins d’Orient

Un peu différente est la logique qui amena à la création des États latins d’Orient, que les chefs croisés se taillèrent sur une mince bande côtière dans la foulée de la première croisade. Leur création fut d’abord une réponse au souhait de Byzance mais, alors que l’empereur avait mandaté les chevaliers pour reprendre, en son nom, des territoires autrefois byzantins conquis par les musulmans, certains seigneurs croisés « rompirent le contrat » et se taillèrent effectivement des principautés territoriales et des domaines propres. Si invasion territoriale il y a eu, elle s’est faite au détriment de Byzance et très probablement dans l’improvisation : ces créations de royaumes, principautés ou comtés ont été le fait de jeunes chevaliers latins, qui, selon la tradition médiévale du mercenariat juvénile, ont profité d’une expédition à caractère militaire pour s’arroger des seigneuries. Il n’y avait pas de conquête territoriale dans le projet primitif de la croisade : ces domaines ont été formés au gré des alliances géopolitiques entre Byzantins, chevaliers latins, et populations locales.

Le sac de Constantinople et la colère du pape

Reste la tristement célèbre IVe croisade, une croisade détournée et qui s’est achevée par le sac de Constantinople en 1204 — en fait, essentiellement le résultat d’une grossière erreur de comptes et le fruit d’intrigues politiques. Se retrouvant dans l’incapacité de payer les Vénitiens pour les galères engagées par eux, les croisés durent accepter de prendre et livrer des ports de l’Adriatique à leurs créanciers. Zara, port hongrois et catholique, est ainsi livrée au pillage des Vénitiens, et Constantinople, orthodoxe, subit le même sort deux ans plus tard, en 1204. Or ces actes ont été immédiatement dénoncés par le pape, mais aussi par des croisés, comme des actes de guerre absurdes, qui n’avaient rien à voir avec le projet spirituel et militaire de la croisade. Ainsi, en 1202, lors de la prise de Zara, c’est tout un contingent de croisés qui déserte ; tandis qu’à la nouvelle du sac de Constantinople, Innocent III laisse éclater sa colère. Mille ans après les faits, l’Église catholique a d’ailleurs repris à son compte cette condamnation, lorsque saint Jean-Paul II est venu reconnaître, à Athènes, le tort causé par le fait que des « assaillants, qui étaient partis assurer le libre accès des chrétiens à la Terre sainte, se soient retournés contre leurs frères dans la foi. Le fait que des chrétiens latins y participaient remplit les catholiques d’un profond regret ».

Une violence partagée dans les deux camps

La violence des croisades doit se comprendre dans le contexte de mentalités médiévales nourries de récits de massacres bibliques et profanes, et habituées à côtoyer la mort. Elle relève aussi d’une culture tactique et guerrière spécifique, qui vient se heurter à un ennemi religieux d’un nouveau genre : l’islam, qui n’hésitait pas à faire usage de la force.

Deux clés de lecture permettent de comprendre la brutalité attribuée aux croisés. La première est un principe d’histoire militaire depuis la nuit des temps, qui veut qu’un siège de ville n’ait que deux issues : une issue négociée, les assiégés acceptant de se rendre et ouvrant la ville à leurs assaillants pour avoir la vie sauve ; ou bien une lutte à mort. Dans le second cas, la prise de la ville peut s’accompagner du massacre des assiégés, une logique qui s’explique par le danger tactique supérieur qu’il y a à prendre une ville d’assaut, qu’à être assiégé. L’autre clé de lecture relève de l’interprétation des sources. Les récits de bains de sang sont à rapprocher de textes bibliques : sans être totalement inventés, ils fonctionnent aussi comme des discours prisonniers d’une rhétorique vétéro-testamentaire.

La rhétorique de la prise de Jérusalem

Ces deux explications permettent de nuancer l’épisode de la prise de Jérusalem par les croisés en 1099 dans un bain de sang qui aurait atteint les genoux des chevaux. Certes, la prise de la ville se fait dans la violence, et on lui oppose la (re)prise non-sanglante de la Ville par Saladdin en 1187. Mais, à la différence du siège de 1099, le siège de 1187 fut négocié après la bataille de Hattîn qui avait détruit l’armée latine : l’opposition relève donc d’abord d’une situation différente, et non d’une disposition au fanatisme ou à la tolérance variable. Quant à la célèbre image du « bain de sang » dans lequel les chevaux des croisés avancent, elle doit bien se lire comme une citation de l’Apocalypse (14, 20). Le récit amplifie la violence pour placer la prise de la ville sainte dans le temps et l’espace des Écritures et pour la présenter de façon symbolique comme la purification des lieux saints. Enfin, il faut toujours se méfier des anachronismes, et garder à l’esprit que les standards de violence, et le rapport à la mort dans la culture médiévale sont très différents des nôtres.

Un code guerrier commun

À rebours d’une idée reçue, les croisades n’ont pas ouvert une guerre de civilisation entre la croix et le croissant en même temps qu’elles creusaient le fossé entre Byzantins et Latins. Les relations n’ont pas toujours été tendues entre chrétiens latins et byzantins : dans le royaume de Cilicie, principauté chrétienne orientale qui jouxtait les États latins d’Édesse et d’Antioche, les mariages entre princes chrétiens et princesses arméniennes ont été fréquents, malgré l’existence de divergences théologiques de fond. Avec leurs adversaires musulmans, Turcs ou Arabes, les croisés ont aussi su recréer l’espace d’échanges et de dialogue propre à une aristocratie guerrière dont les membres, quelle que soit leur religion, se respectent et s’admirent même sur le champ de bataille.

Temps de guerre, temps de trêve

Un épisode rapporte l’intervention des templiers en faveur de l’émir Oussama, rudoyé par un chevalier franc débarqué, alors qu’il était en prière dans la mosquée d’Omar, devenue la maison des templiers. L’autobiographie d’Oussama, où est consignée l’anecdote, est un des nombreux récits des « croisades vues par les musulmans » qui témoignent des relations d’estime qui existèrent entre combattants, hors du monde de la piétaille. Mais le plus célèbre de ces échanges pacifiques concerne François d’Assise, parti rencontrer le sultan égyptien El Malik à Damiette en 1219, lors de la cinquième croisade. L’épisode est resté célèbre : François est reçu par le sultan dans sa tente, et les deux hommes entament un long « dialogue ». Le projet de conversion de François n’aboutira pas, mais le geste du Poverello d’Assise est représentatif d’une présence chrétienne non-violente en terre d’Islam, la mission se substituant à l’épée.

La « guerre juste » en débat

La violence des croisés renvoie à un débat séculaire au sein de l’Église sur l’usage du glaive pour défendre et étendre la foi chrétienne. La croisade, perçue comme défensive ou du moins comme un moyen de recouvrer une terre injustement occupée, répond à la définition de « guerre juste » telle que saint Augustin l’avait définie vers l’an 400. Nombreux sont les penseurs médiévaux qui considèrent qu’elles sont d’autant plus légitimes qu’elles sont dirigées contre les infidèles. L’existence de ces débats rompt avec l’idée reçue d’un fanatisme consensuel autour de la croisade : l’usage de la violence pour défendre les intérêts de la chrétienté n’a cessé de faire débat. L’attitude des partisans de la méthode dure s’explique par la nouveauté radicale de l’islam : une religion monothéiste absolue, où temporel et spirituel se mêlent indissolublement. À cet adversaire, beaucoup pensaient qu’on ne pouvait qu’opposer la force, même si le prêche devait succéder à la violence.

Des chrétiens contre les croisades

Il existait cependant une controverse nourrie à ce sujet. Plusieurs voix médiévales, déjà, doutaient que les conversions par la force soient les meilleures. Les critiques ne tardèrent pas à se cristalliser autour des croisades. Pour Pierre Damien, cardinal en pleine querelle des investitures, c’était la levée même des troupes par le pape pour se protéger de l’empereur romain germanique qui posait problème ; d’autres objectaient que le Christ était venu conquérir les âmes, et non Jérusalem ; tandis qu’un large secteur de la société médiévale ne voyait pas d’un bon œil le départ, souvent sans espoir de retour, des forces vives de la chrétienté, qu’il s’agisse du clergé ou des seigneurs. L’existence de ce courant de critiques ne prouve pas que le projet des croisades ait été intrinsèquement vicié : il vient rappeler que les croisades sont une page de la vie de l’Église qu’on ne peut lire détachée du contexte de l’engagement assumé de la papauté dans les affaires du monde, le projet croisé innervant les débats intellectuels et politiques de ce qui fut, avant tout, un âge religieux.



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