Si nous conservons précieusement les reliques des martyrs et des saints, comme nous entourons de respect le corps de tous les défunts, c’est parce que l’Église croit « en la résurrection de la chair ». Si l’authenticité des reliques n’est pas toujours attestée, celles-ci sont un véritable support pour la foi des fidèles et leur vénération contribue à nous mettre en route vers la sainteté, à la suite de tous les grands témoins de l’Évangile.
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Le respect des morts est un des traits caractéristiques de l’humanité. C’est un devoir sacré pour la conscience universelle. Pour Antigone, héroïne d’une tragédie de Sophocle, il vaut la peine d’y sacrifier sa propre vie. Abraham tient à acheter la caverne de Macpela pour y enterrer son épouse Sara (Gn, 23). C’est l’origine du tombeau des patriarches, à Hébron. Jacob insiste auprès de son fils, Joseph, pour que son corps soit ramené d’Égypte et enterré près de ses ancêtres (Gn, 50). En Israël, le deuil et la sépulture sont entourés de rites traditionnels, plus ou moins communs avec ceux des peuples environnants. Enterrer les morts est une des sept œuvres de miséricorde corporelle : Tobie, déporté à Ninive, risque sa vie pour ensevelir un de ses compatriotes, contre l’ordre du roi (Tobie 2, 3-8). Être privé de sépulture est une malédiction (Ps 78-79, 3).
Jésus respecte les rites funèbres, mais les relativise
À trois reprises, Jésus rend la vie à quelqu’un. Il le fait pour le fils unique d’une veuve, une petite fille, son ami Lazare. Il demande de croire en son pouvoir et invite la famille à l’espérance. Mais il ne leur reproche pas leurs pleurs ou leurs rites. Jésus fait l’éloge de la femme qui, par avance, a oint son corps en vue de sa sépulture (Mt 26, 12-13). Cependant, Jésus n’insiste pas sur la sépulture. On peut remarquer que le chapitre 25 de saint Matthieu, sur le Jugement des nations, reprend toutes les œuvres de miséricorde traditionnelles dans le judaïsme, à l’exception de la sépulture : il n’en reste que six, alors que sept est un nombre parfait. À celui qui voudrait le suivre mais veut, d’abord, enterrer son père, Jésus répond : “Laisse les morts enterrer les morts” (Lc 9, 60). Le père sera quand même enterré, mais la mission du disciple est d’annoncer la Vie.
À sa suite, l’Église fera de même. Saint Augustin nous rapporte une des dernières paroles de sa mère. Alors qu’elle est près de mourir loin de chez elle, le frère d’Augustin dit à sa mère que ce serait mieux de mourir dans sa patrie. Elle “lui jeta un regard de reproche” et dit à ses deux fils : “Enterrez mon corps n’importe où ; que cela ne vous donne aucun souci. Je vous demande seulement de vous souvenir de moi à l’autel du Seigneur.”
Il n’y a pas de relique corporelle de Jésus et de Marie
La foi chrétienne proclame : “Le Christ est ressuscité !” Aux femmes venues le lendemain du sabbat, au petit jour, compléter les rites funéraires, l’ange annonce : “Pourquoi chercher parmi les morts celui qui est vivant ? Il n’est pas ici. Il est ressuscité” (Lc 24, 5). À Jérusalem, depuis toujours, les chrétiens se sont rendus en pèlerinage au tombeau du Seigneur, justement parce qu’il est vide. À juste titre, les Orientaux préfèrent d’ailleurs appeler ce lieu l’Anastasis, la Résurrection. Jamais, personne n’a prétendu détenir une relique corporelle de Jésus. Quoi qu’il en soit de la Couronne d’épines, des reliques de la Croix, de la pierre tombale vénérée au Saint-Sépulcre ou du Linceul de Turin, ce ne sont que des objets que le corps de Jésus a touchés. Ce ne sont pas des reliques corporelles, comme celles de saint Jean-Baptiste ou de saint Pierre.
Il en est de Marie comme de son Fils. À Jérusalem, on montre son tombeau. Mais il n’y a non plus aucune relique corporelle de la Vierge, comme le constatait déjà le Patriarche de Jérusalem, Juvénal, au Ve siècle. L’absence de reliques n’est la preuve formelle de la Résurrection de Jésus et de Marie, car ils auraient pu disparaître, mais c’est l’indice que leur cas est complètement à part. Le christianisme n’est pas un culte des morts, mais la proclamation de la victoire de la Vie sur la mort.
La vénération des reliques est liée à la mémoire des martyrs
Jean-Baptiste et Étienne ont été respectueusement enterrés. Pour les deux premiers martyrs chrétiens, Jean-Baptiste le Précurseur et saint Étienne, le premier diacre, l’Écriture nous dit que leurs disciples vinrent prendre leurs corps et les enterrèrent (Mt 14, 12 ; Ac 8, 2). Rien n’est dit d’une dévotion qui s’en serait suivie. Mais un témoignage formel important nous est donné à propos de Polycarpe, évêque de Smyrne (Izmir), mort martyr vers 150. Dans la Lettre que l’Église de Smyrne envoie “à toutes les communautés de la sainte Église catholique”, nous lisons : “Nous pûmes plus tard recueillir ses ossements plus précieux que des pierres de grand prix et plus précieux que l’or, pour les déposer en un lieu convenable. C’est là, autant que possible, que le Seigneur nous donnera de nous réunir dans l’allégresse et la joie, pour célébrer l’anniversaire de son martyre, de sa naissance, en mémoire de ceux qui ont combattu avant nous, et pour exercer et préparer ceux qui doivent combattre à l’avenir” (18, 2).
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Les catacombes étaient avant tout les tombeaux des martyrs. Contrairement à la légende, si à Rome les chrétiens se réunissaient dans les catacombes pour célébrer l’Eucharistie, c’était moins pour se cacher, les catacombes étant des lieux très publics, que pour se trouver près des tombeaux de tel ou tel martyr. C’est aussi en référence aux reliques des martyrs contenues dans leurs tombeaux que furent construites grand nombre de basiliques, la plus insigne étant Saint-Pierre de Rome, au Vatican. Dans les tables d’autel, jusqu’à une date récente, il était requis de sceller quelques reliques de saints, les martyrs étant les prototypes de la sainteté chrétienne.
Sur cette terre, il n’est rien de spirituel qui ne soit aussi corporel
Le mot “spirituel” n’a pas forcément un sens religieux. L’être humain appartient au règne animal, mais s’en distingue parce qu’il est aussi “esprit”. L’esprit est plus que le savoir-faire ou la sensibilité qui sont extrêmement performants dans telle ou telle espèce animale. Par l’esprit, l’être humain s’ouvre à la pensée. Mais la pensée n’est pas séparable de la mémoire et de la parole qui mobilisent le corps. Que serait la musique de Mozart sans les instruments ? Qu’en saurions-nous sans les transcriptions écrites et, aujourd’hui, les enregistrements ? Tout cela implique le corps. Ces évidences se vérifient dans la Révélation chrétienne et dans la vie des saints. Dieu s’est inscrit dans l’histoire d’un peuple, qui a vécu sur une terre, qui a laissé des écrits, échos de sa Parole. Quand l’Heure fut venue, la Parole, le Verbe, s’est fait chair. Une des premières hérésies auxquelles l’Église naissante dut faire face, fut de refuser le réalisme de l’Incarnation : le docétisme. L’Incarnation n’aurait été qu’un masque de théâtre, un déguisement d’acteur. Dans les siècles suivants, la gnose a, elle aussi, voulu séparer, voire opposer, la chair et l’esprit.
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Ce qui est vrai du Christ l’est, évidemment, de ses disciples. Ils ne sont pas des anges, de purs esprits. Comme tout être humain, ils sont chair et esprit ou, dans un autre vocabulaire, corps et âme. “Rendez donc gloire à Dieu dans votre corps”, dit saint Paul (1 Cor 6, 20). Les reliques nous rappellent cette dimension de la vie chrétienne, même s’il s’agit seulement des vêtements que le saint a portés ou des objets dont il s’est servi.
Nous sommes dans l’attente de la résurrection de la chair
Les reliques des saints témoignent de leur statut. De Jésus et de Marie, nous l’avons vu, il ne subsiste aucune relique corporelle, puisqu’ils sont ressuscités. Il n’en va pas de même pour les saints. Leurs reliques montrent à la fois qu’ils ne sont pas ressuscités et qu’ils sont en attente de la résurrection. S’il n’y avait pas de résurrection, les reliques corporelles n’auraient que la valeur du souvenir. Si nous conservons précieusement les reliques des saints, comme nous entourons de respect le corps de tous les défunts, c’est parce que l’Église croit « en la résurrection de la chair ». Certes, il ne faut pas se représenter la résurrection comme la simple réanimation des cadavres : la résurrection de Jésus n’est pas du même type que le retour à la vie de son ami Lazare. Les cendres de Jeanne d’Arc ont été jetées dans la Seine : elle n’en ressuscitera pas moins, corps et âme.
Les perversions ne doivent pas empêcher une juste vénération des reliques
La vénération des reliques est aussi ancienne que l’Église. Elle est également en harmonie, tant avec la nature humaine qu’avec la foi en l’Incarnation et l’espérance de la Résurrection. Il ne faut pas se cacher, cependant, que le culte des reliques est toujours menacé de régresser en une conduite magique. En cela, on pourrait rapprocher les reliques des saints avec d’autres signes du sacré, comme l’eau de Lourdes. Bernadette avait bien vu le danger : elle disait que l’eau n’a aucun pouvoir en dehors de la prière, prière du malade ou prière pour le malade.
Les saints ne le sont que par leur fidélité au Christ, dans l’Esprit. Leurs reliques, comme leurs écrits ou leurs biographies, doivent nous mettre sur le chemin du Christ. Sinon, nous ferions mieux de les oublier. Les dangers existent. Dans la sainteté comme dans la vie tout court, les dangers doivent être identifiés. Ils ne doivent pas nous paralyser. Qui n’est pas tombé en apprenant à marcher ? La possession de reliques a donné lieu à de multiples conflits, vols, marchandages. À l’inverse, restituer des reliques est un geste œcuménique apprécié. Ainsi, la relique de saint André a été rendue à l’Église orthodoxe de Grèce, à l’initiative du pape Benoît XVI. En 2017, les orthodoxes ont pu vénérer les reliques de saint Nicolas à Moscou, alors qu’elles sont conservées en Italie, à Bari.
Les reliques nous donnent l’occasion de nous mettre en route vers la sainteté. En pérégrinant vers tel lieu illustré par le corps d’un saint, nous entreprenons une démarche de foi, qui nous arrache pour un temps à notre vie quotidienne, qui polarise notre effort, nous unifie dans la recherche de la rencontre avec Dieu.