L'annonce de la chute de Jérusalem, en 1189, résonne dans le ciel européen comme un coup de tonnerre. Depuis la prise de la ville en juillet 1099, les combats n'ont jamais cessé, et le mouvement des croisés et des pèlerins complétant leurs dévotions par des travaux de défense et de service militaire, est ininterrompu. L'Empire byzantin, un temps déstabilisé, a bien tenté d'établir sa suzeraineté sur les États latins d'Orient, sans succès.
Sa distance avec les croisés lui a été préjudiciable. La seconde moitié du XIIe siècle, quant à elle, en dépit de la haute figure du roi Baudouin IV de Jérusalem, est un temps de recul pour les Francs. La principauté d'Edesse s'effondre. Le comté d'Antioche est considérablement amoindri. Malgré d'importants travaux de réorganisation du pays et de fortification au sud, le royaume de Jérusalem échoue à conquérir l'Égypte pour desserrer l'étau sarrasin. Finalement, les années 1170 voient l'avènement du vizir Saladin sur les rives du Nil, bientôt maître incontesté des États musulmans du Proche-Orient.
Jérusalem tombe
L'agressivité maladroite de Guy de Lusignan, époux de la reine Sybille, sœur du défunt Baudouin IV, donne à Saladin les prétextes suffisants pour se mettre en campagne. L'armée franque marche contre lui au grand complet. Les barons sont venus de toutes les provinces. Les ordres de chevalerie ont rassemblé leurs forces. Hélas ! le choc des deux armées, à Hattin, en 1187, se solde par une défaite cinglante. Lusignan est fait prisonnier. La relique de la Vraie Croix est saisie par les vainqueurs sur le champ de bataille. Les plus grands seigneurs du royaume sont massacrés ou fait prisonniers. Saladin, fort de sa victoire, s'empare progressivement des principales villes et forteresses. Jérusalem, on l'a dit, tombe deux ans plus tard.
Loin de la réputation de magnanimité forgée par la légende, le chef victorieux rend ses prisonniers de marque contre rançon, comme cela était de coutume à l'époque, mais fait décapiter les templiers, réduit en esclavage ceux qui ne peuvent payer rançon, ainsi que les religieux. Les églises sont abattues et la dhimmitude, protection assortie d'un statut juridique inférieur que prévoit la loi musulmane, rétablie pour les Grecs et les Syriens chrétiens.
Rendez-vous à Vézelay
Cette brutalité galvanise la résistance en Terre sainte, tandis qu'en Occident, les appels du Pape à la croisade reçoivent enfin un écho positif. L’Église parvient à rétablir une paix temporaire entre les puissances européennes, afin de se concentrer sur le rétablissement du royaume de Jérusalem. En France, la guerre inexpiable que se livraient depuis des années Philippe-Auguste, Richard Cœur de Lion et son père Henri II Plantagenêt trouve enfin un terme, après la mort du roi Henri. L'été 1189 tire sur sa fin et les deux rois conviennent de se croiser et de cheminer ensemble, princes chrétiens réconciliés, pour la libération des Lieux saints. Rendez-vous est pris à Vézelay pour la fin juin 1190.
Les clés du trésor aux templiers
Les mois qui s'écoulent sont consacrés à préparer le départ des troupes. La préparation est d’abord matérielle avec l'appel aux barons de France et d'Angleterre, la concentration de réserves de nourriture et d'armes sur des points prévus à l'avance au long du parcours et la mobilisation d'une flotte pour transporter les troupes. Si Richard fait bâtir des navires, Philippe, pour sa part, compte sur la flotte de Gênes, louée à grands frais.
La préparation est également politique : chaque monarque établit un gouvernement pour veiller aux affaires en son absence. Richard, nanti de plusieurs frères et de sa mère accorde moins d'importance à la chose. Philippe, veuf depuis peu et ne laissant qu'un fils de trois ans, le futur Louis VIII le Lion, rédige son testament, acte de gouvernement majeur organisant la régence du royaume. Les baillis doivent choisir, pour chaque prévôté, quatre conseillers, recrutés dans la noblesse, le clergé comme la bourgeoisie, pour administrer le territoire. La régente, mère du roi, Adèle de Champagne, ne peut révoquer les baillis, sauf trahison, forfaiture, meurtre ou rapt, et doit envoyer trois rapports complets par an sur l'état du royaume au roi. Les clés du trésor sont confiées aux templiers.
Toutes ces précautions visent à neutraliser les appétits de pouvoir des grands princes et assurer un gouvernement sage du royaume. Cette prévoyance sera de grand secours au roi et lui maintiendra un pays bien mené à son retour.
Devant les reliques de la Passion
Enfin, la préparation est spirituelle. Quittant Paris, Philippe-Auguste se rend d'abord à Saint-Denis, nécropole des rois de France et dont le saint patron est protecteur du royaume, le 24 juin 1190. Là il vénère les reliques de la Passion détenues par l'abbaye et reçoit des mains de l'abbé l'oriflamme de Saint-Denis, étendard de la croisade, bannière rouge semée de croix d'or, tandis que l'archevêque de Reims, Guillaume aux Blanches Mains, propre oncle du roi, lui remet le bourdon du pèlerin. Une croisade, en effet, est pour tout combattant un pèlerinage purificateur autant qu'une campagne militaire.
Après quelques jours de marche, les deux armées font leur jonction à Vézelay, haut lieu de chrétienté. Le 4 juillet, depuis la colline, elles s'élancent sur la route de Jérusalem. À travers la Bourgogne, puis la vallée du Rhône, vers les côtes de la Méditerranée, les croisés embarqueront vers Chypre puis la Terre sainte.