Lors d’un point presse sur la situation des pays du Proche et Moyen-Orient, le 5 mai dernier, Mgr Pascal Gollnisch, directeur général de l’Œuvre d’Orient, alertait sur la famine et la pauvreté aggravées par les mesures de confinement. Si la crise sanitaire ne les a pas épargnés, comme ailleurs dans le monde, la crise économique et la situation des populations demeurent les points de vulnérabilité majeurs.Le Liban est au bord de la faillite, la Syrie étranglée par un embargo. Depuis le déconfinement progressif, la crise sanitaire engendrée par la pandémie de Covid-19 fait place à l’urgence toujours plus aigüe du quotidien des populations. Auteur de Chrétiens d’Orient : périple au cœur d’un monde menacé et chargé de projets pour l’Œuvre d’Orient en Syrie et au Liban, Vincent Gelot, diplômé en géopolitique à l’institut d’études politiques (IEP) d’Aix-en-Provence, livre à Aleteia son analyse de la situation au Liban et en Syrie.
Aleteia : Comment se passe concrètement le déconfinement dans ces pays?
Vincent Gelot : Le confinement s’est passé différemment au Liban et en Syrie. Au Liban le confinement a été assez rapide, comme en France, même si les mesures n’ont pas toujours été respectées. D’autre part, le pays traverse une crise économique et politique, ce qui limitait les contrôles. Les cas de Covid-19 sont encore présents. La Syrie a mis du temps à accepter que le virus avait passé ses frontières et n’a établi un couvre-feu en journée qu’à partir de la mi-mars, avec fermeture des restaurants, des bars et autres lieux de rassemblement, comme les écoles. Aujourd’hui, nous sommes en phase de déconfinement total avec respect des gestes de protection sanitaire. En Syrie, il y a eu un cessez-le-feu pendant le confinement, mais le conflit a repris à Idlib et au Nord-Est syrien. C’est un pays qui a tout perdu. Le confinement n’a pas aidé et a même aggravé la situation. Mais comme disent les Libanais, le confinement n’est rien à côté de la crise économique et ce qu’ils subissent depuis dix ans.
Quels sont les chiffres au niveau des cas de contamination ou de morts?
En Syrie, ils sont extrêmement faibles. Durant plusieurs jours, les chiffres officiels sont restés les mêmes, ce qui n’est pas possible. Cela est dû au manque de dépistage, de tests et au système de santé, proche de celui des États-Unis, pour lequel il faut payer cher pour être pris en charge. Dans le cas échéant, les patients se tournent vers les hôpitaux publics où la qualité est moins bonne. Les gens ne vont pas forcément se faire soigner. Le même problème a été observé en Europe, il est difficile de donner des chiffres entre ceux qui sont morts chez eux ou à l’hôpital. Il y a moins de cas actuellement, les hôpitaux ne sont pas débordés. L’aéroport de Beyrouth devait être fermé jusqu’au 8 juin, ils viennent de repousser la date au 21 juin et les rumeurs courent sur la possibilité qu’il le soit jusqu’à mi-juillet. Ce qui est énorme pour un pays aussi ouvert que le Liban, notamment pour la place commerciale qu’il représente, surtout depuis l’embargo sur la Syrie. Les frontières avec la Syrie sont fermées. Les autorités considèrent qu’il y a encore un risque important.
Mgr Gollnisch a évoqué les cas de famine et la gravité du chômage dans ces deux pays, qu’en est-il ?
La Syrie subit une guerre depuis bientôt dix ans, un tiers de la population est réfugiée, un autre tiers est déplacée à l’intérieur, il y a un taux de paupérisation énorme, une dévaluation de la monnaie gigantesque depuis la guerre… Le pays est vraiment face à une crise, sans compter l’embargo (pour faire fléchir le gouvernement de Damas) que la population subit de plein fouet, avec la famine à la clef. Le Liban accuse l’effet des mouvements populaires qui ont démarré en octobre 2019, avec la vague de chômage qui a suivi. Le dernier rempart pendant des années tenait à la livre libanaise indexée au dollar à 1.500 livres, nous sommes maintenant à 4.000 livres. La valeur de la monnaie a complètement fondu, alors qu’à la banque le taux reste le même. Le taux de chômage est très élevé, plus de 50% de la population vit sous le seuil de pauvreté.
“La différence avec la Syrie est que ce pays est ruiné, dévasté par la guerre, toutes les infrastructures publiques sont à terre.”
À Tripoli, il y a eu des manifestations de la faim, nous sommes véritablement face à une famine. Je le vois au niveau des demandes qui nous parviennent de la part des familles, elles nous demandent d’abord à manger. La différence avec la Syrie est que ce pays est ruiné, dévasté par la guerre, toutes les infrastructures publiques sont à terre, les grandes métropoles comme Alep et Damas sont détruites en partie. La situation est donc encore plus catastrophique qu’au Liban. Le salaire moyen d’un Syrien est de 30 dollars par mois. Au Liban, il existe énormément d’inégalités, notamment à cause de la corruption, avec de très riches d’un côté et de très pauvres de l’autre. Le coût de la vie est plus élevé qu’en Syrie et la misère sociale existe depuis longtemps. Le mouvement social de l’an dernier ainsi que la dévaluation de la monnaie ont empiré la situation, mais la crise existe depuis des années.
L’aéroport principal du Liban est fermé, de nombreuses frontières également, ne craint-on pas une vague d’émigration à la fin des mesures de confinement?
L’émigration existe depuis des années, notamment celle des chrétiens, il faut remonter à la guerre civile depuis les années 1990. Aujourd’hui, la différence est que l’avenir pour les jeunes est réduit. Ce sont eux qui risquent de vouloir partir. Du jour au lendemain le compte bancaire des Libanais peut être gelé, il n’y a pas de travail, le sentiment d’instabilité est immense. Si dans les mois et les années qui viennent aucun plan n’est proposé pour restructurer économiquement le pays, c’est difficile d’y échapper. Cela fait des années qu’une aide internationale est demandée. Il existe les Conférences Cèdre, qui sont un plan pour aider le Liban avec une aide prévue de 11 milliards d’euros à condition que le Liban fasse des réformes. L’Europe, et la France, sont prêtes à aider sous réserve de pouvoir contrôler l’utilisation de ces fonds afin qu’ils ne soient pas aux prises avec la corruption. Ensuite, la présence du Hezbollah au Liban pose également problème pour concrétiser cette aide.
“Le système est en train de craquer et le maillage des établissements scolaires risque de s’effondrer.”
Quelle est la situation des écoles catholiques, très importantes dans l’éducation au Liban?
Au Liban, la crise est structurelle. Le système éducatif public n’est pas d’une très bonne qualité, l’enseignement privé est donc très important, dont un grand nombre d’école chrétiennes qui sont très importantes pour les Chrétiens libanais. Il y a plus de 330 écoles chrétiennes et catholiques, ouvertes à toutes les religions, chrétiens comme musulmans, aux riches et aux pauvres. Elles sont dans les villes, les périphéries, les zones rurales et sont le pilier du Liban. Malheureusement, à cause de la crise, la population n’a plus les moyens de payer la scolarité, les établissements scolaires s’endettent depuis des années et l’État libanais ne les subventionne plus depuis quatre ans. Ce sont les ONG et les églises orientales qui financent les scolarités, le système est en train de craquer et le maillage des établissements scolaires risque de s’effondrer. L’Œuvre d’Orient, qui connaît très bien ces écoles, travaille énormément là-dessus car un grand nombre d’entre elles risque de ne pas rouvrir à la rentrée scolaire. Nous ciblons les plus fragilisées, les plus importantes pour les chrétiens ou les plus reculées. Nos moyens étant limités, nous faisons un travail de lobbying auprès du gouvernement français pour que son aide inclut aussi les écoles, car elles sont porteuses de la francophonie et des valeurs de la France dans des coins reculés du Liban.