La Pentecôte, c’est le don de l’Esprit saint, et la naissance corrélative de l’Église. Pourtant, Jésus avait commencé à donner l’Esprit bien avant, depuis Cana jusqu’à la Croix où Il l’avait exhalé dans un souffle. Et l’Église n’était-elle pas déjà là dans l’appel et la formation des Apôtres, et avant cela, dans l’Alliance avec le peuple élu, et même dans le sacrifice offert par Abel le juste ? Qu’apporte donc de nouveau la Pentecôte ? On peut le définir en deux mots : permanence, visibilité.
L’hôte permanent de nos âmes
Permanence, d’abord. Jusque-là, l’Esprit-Saint se manifestait de manière ponctuelle à certains hommes particulièrement favorisés de Dieu, en vue d’une mission limitée. À partir de la Pentecôte, tous les chrétiens sont individuellement et collectivement le Temple de l’Esprit, où il fait sa demeure, pour faire de leur vie entière un sacerdoce spirituel. L’Esprit-Saint n’est plus un squatteur occasionnel, il devient le maître habituel des lieux, l’hôte permanent de nos âmes et de nos corps. Autrefois l’Esprit surgissait à l’improviste dans la vie de certains, aujourd’hui l’Esprit vient reposer à tout instant sur nous tous. L’Esprit-Saint vient habiter en nous dans le temps pour nous donner le goût d’habiter en Dieu pour l’éternité. Permanence, donc.
Permanence et visibilité, voilà ce que la Pentecôte apporte de neuf !
Visibilité, ensuite. Jusque-là, l’Esprit-Saint se manifestait dans des individus et de manière efficace mais discrète. Cela reste vrai ensuite, mais la présence agissante de l’Esprit acquiert une visibilité plus grande au travers de l’Église. Les langues de feu et le don des langues en sont la manifestation spectaculaire. Et cette Église qui préexistait dans quelques personnes choisies devient un organisme visible, une société identifiable, avec des ministères et charismes divers, en laquelle l’œuvre de l’Esprit se reconnaît de manière habituelle. Elle resplendit dans une communauté, dans la prédication de l’Évangile et dans les sacrements. L’invisible de la grâce devient visible dans la communauté. Permanence et visibilité, voilà ce que la Pentecôte apporte de neuf !
Dans l’Église, l’Esprit demeure
Par contraste, les symboles de l’action de l’Esprit dans l’Ancien Testament étaient toujours ponctuels et insaisissables. Certes, l’Esprit se manifestait dans l’eau, la colombe, le vent, ou le feu. Mais l’eau file, la colombe vole, le vent tourne et le feu s’éteint. Et tous ces éléments momentanément investis de la puissance de l’Esprit retournaient à leur vacuité. L’Église, elle, rassemble tous ces symboles, et devient le lieu permanent et visible de l’action de l’Esprit. Dans l’Église, l’eau coule mais ne s’enfuit pas, la colombe vole mais jamais ne s’échappe, le vent souffle mais ne se retourne pas, le feu brûle sans jamais s’éteindre.
Cette visibilité et cette permanence de l’œuvre de l’Esprit-Saint dans l’Église demeurent fragiles, et obscures. De même qu’aux jours de sa chair, l’humanité du Christ voilait sa divinité à certains et la manifestait à d’autres, de même aujourd’hui l’Église peut faire écran à l’Esprit autant qu’elle le manifeste, pour les chrétiens comme pour les autres. Comme pour le Christ, il faut poser un acte de foi pour voir dans l’Église le signe visible et permanent de la présence agissante de l’Esprit dans le monde. Car en effet dans l’Église, l’eau semble parfois croupie et sent les égouts ; la colombe prend des allures, au choix, de pigeon ou de charognard ; le vent charrie des odeurs pestilentielles ; du feu il ne reste que les cendres. Pourtant, mystérieusement, l’Esprit-Saint est là qui vivifie son Église.
L’Esprit-Saint se serait-il endormi ?
Depuis la Pentecôte, dans l’Église, l’Esprit, souffle de Dieu, est comme l’air qu’on respire. C’est une grâce infinie ! Or nous avons parfois l’impression, ces temps-ci, d’être en apnée, de ne plus respirer que péniblement. Est-ce l’Esprit qui vient à manquer ? Est-ce qu’à force de reposer sur nous, l’Esprit-Saint se serait endormi ? Non. Dans le cœur des saints, l’Esprit veille encore. Par le Christ et dans l’Esprit, l’Église prêche l’Évangile et célèbre les sacrements, sans lesquels il n’est pas de sainteté possible. Et des saints, l’Église en donne au monde ! Bien sûr, des idoles tombent, et le fracas de leur chute nous atteint. Le peuple de Dieu, ou plus exactement, la sociologie catholique, en mal de visibilité, se trouve régulièrement des figures de proue, des têtes de gondole. C’est normal : il y a un besoin d’incarnation, et le christianisme est affaire d’Incarnation. Il n’y a donc pas à le mépriser, mais à mieux discerner.
Alors il faut le redire : c’est en elle, l’Église, que l’Esprit veut continuer à agir visiblement et en permanence.
La Pentecôte nous rappelle que la permanence et la visibilité de la présence agissante de l’Esprit sont d’abord dans l’Église en tant qu’elle prêche l’Évangile et célèbre les sacrements. Ça, c’est objectif, et ça ne déçoit pas. Et en même temps c’est insuffisant : l’Église n’est parfaitement sainte que par des chrétiens qui sont saints. Là, on peut être déçu. Mais c’est indispensable ! Alors il faut le redire : c’est en elle, l’Église, que l’Esprit veut continuer à agir visiblement et en permanence. Mais c’est en nous, les baptisés, que cela commence aujourd’hui.