Anne était atteinte par la maladie Charcot. Quand je l’ai visitée pour la première fois, elle m’a dit la chose suivante : "Avant la maladie, j’aimais tellement chanter ! Mais hélas ! j’ai perdu ma voix. En revanche, regardez : je peux encore louer Dieu avec mes bras… !" et elle levait les bras. Assis à côté de son lit, son mari Henri avait les larmes aux yeux, moi aussi d'ailleurs : le corps comme lieu de louange, lieu de rencontre, de paix, de don-de-soi : quelle folle idée !
C'est l'amour qui doit rayonner dans les rides d'un visage
Quand Dieu devient homme en Jésus, c’est pour nous sauver. C’est aussi pour nous rappeler ce qu’est l’homme. S’il a choisi d’avoir un corps comme nous, c’était aussi pour nous dire quelque chose sur le corps. J’aime ce passage de l’évangile où Jésus, après une journée épuisante, veut finalement se reposer. Mais "le soir venu, après le coucher du soleil, on lui amenait tous ceux qui étaient atteints d’un mal ou possédés par des démons. La ville entière se pressait à la porte. Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies… " (Mc 1, 32-34). D’un côté, je perçois le courage de Jésus qui est épuisé… mais qui se donne, car il "n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie" (Mc 10, 45). Mais de l’autre, je vois ce geste de Jésus qui se penche sur les malades. Il les caresse et il les guérit dans leur corps et dans leur esprit. Chacune de ses paroles, chacun de ses regards, sont posés avec un cœur pur, pour se donner, pour servir. Chacun de ses gestes de tendresse dit la même chose : "Ceci est mon corps, donné pour vous".
Un corps qui mérite d'être aimé
Quand on regarde une maman qui allaite son enfant, un père qui berce son bébé pour l’endormir, quand on observe un vieux couple qui se tient par la main en se promenant dans un parc, quand on voit une Mère Teresa caresser un lépreux ou une fillette africaine réfugiée de 9 ans qui porte son petit frère sur son dos, alors tout cela dit une seule et même chose : "Tu mérites d’exister". Ce qui revient à dire : "Tu mérites d’être aimé". Chacun de ces gestes signifie "je t’accueille et je me donne à toi". C’est du don pur et dur. Là, celui qui donne ne cherche rien en retour : "Ceci est mon corps, donné pour vous".
Ces images résonnent très fortement en nous. Au fond de nos cœurs, nous repérons une forme de tendresse, un désir de pureté inscrit dans notre ADN. Celle qui est un écho lointain de l’amour des origines, et qui nous rappelle un savoir aimer qui nous est familier. Au début de la création, Dieu nous façonne à son image. Et ce Dieu n’est pas d’abord un Créateur ou un Tout-puissant, il est surtout un grand Aimant, quelqu’un qui se donne : il est don-de-soi. Cela veut dire que l’homme, lui aussi, est fait essentiellement pour le don. "L’homme […] ne s’accomplit pleinement que par le don sincère de lui-même", dit le Concile Vatican II (Gaudium et Spes, n.24).
Au fond de nos cœurs, nous repérons une forme de tendresse, un désir de pureté inscrit dans notre ADN. Celle qui est un écho lointain de l’amour des origines, et qui nous rappelle un savoir aimer qui nous est familier.
L'homme est fait pour se donner
L’homme est fait pour le don, mais au début de la création, l’homme est seul. Hors "il n’est pas bien que l’homme soit seul". Non pas parce que l’homme aurait besoin d’un autre pour ne pas être seul, mais parce qu’il est fait pour le don. Il ne faut pas se marier pour ne pas être seul, mais pour apprendre à aimer. L’homme a donc besoin d’un autre pour pouvoir se donner, et pour ainsi réaliser sa première vocation d’être un don-de-soi.
Adam a besoin de quelqu’un qui est comme lui, mais qui est quand même "différent" dans le sens de la complémentarité. Et dans toute la création il "ne trouve aucune créature qui lui corresponde". Alors Dieu crée la femme. Quand Adam voit la femme, il exulte. Non pas parce qu’elle lui plaît pour lui-même. Mais parce qu’en regardant Eve, il comprend que tout en lui, âme, esprit et corps, est fait pour le don. Avec elle, il pourra réaliser sa vocation d’aimer comme Dieu aime : il pourra se donner et accueillir (cf. Genèse 2,18-24).
Quand Adam voit la femme, il exulte. Non pas parce qu’elle lui plaît pour lui-même. Mais parce qu’en regardant Eve, il comprend que tout en lui, âme, esprit et corps, est fait pour le don.
Ce regard des origines, le regard pur sur l’autre, n’est pas toujours facile. La gratuité dans le don non plus. Parce que quelque chose en nous a été perdu. L’amour des amoureux est différent de la tendresse d’un frère qui prend sa sœur dans les bras. Il est différent de l’amour de Jésus qui se penche sur les malades. L’amour passionné et amoureux n’est pas mauvais, mais il est incomplet. Il n’est pas encore toute la plénitude d’amour que notre cœur cherche vraiment. Il n’est pas encore l’amour don-de-soi que Dieu veut nous apprendre.
Couples : un amour qui n'attend rien en retour
Dans son enseignement de la Théologie du Corps, Jean Paul II combine les mots sœur et épouse. Il fait ainsi référence au livre de Tobie, ou un jeune époux qui porte le même nom de Tobie se tourne vers son épouse Sarah en pleine nuit des noces : "Lève-toi, ma sœur" (Livre de Tobie 8,4). Le pape polonais explique ainsi ce passage : pour qu’un couple puisse construire en plénitude un vrai amour conjugal, les époux doivent d'abord apprendre à s’aimer comme un frère aime une sœur, dans un don qui n’attend rien. Et c’est sur cet amour pur qu’ils pourront construire leur amour conjugal.
J’aimerais vous inviter à lire en couple un passage de l'évangile de Marc (Mc 1, 29-39), notamment les versets 32-34. Vous y rencontrerez la joie de Jésus qui se donne sans rien attendre. Contemplez à quel point son corps est pour le don. Et ensemble, invitez Jésus à visiter les zones de votre corps où vous doutez le plus d’être un don pour l’autre. Et si vous voulez élargir votre capacité d’aimer, n'hésitez pas à demander à l’Esprit saint en quoi votre amour pour votre frère ou sœur diffère de l'amour pour votre conjoint. Plus vous aimerez votre conjoint comme vous aimez votre frère, plus vous grandirez dans le don à votre conjoint : "Ceci est mon corps, donné pour vous".