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Tout baptisé qui tient un discours rationnel (logos) sur Dieu (Theos) est par définition théologien et a fortiori un pape, appelé à conforter la foi. Mais Jean Paul II a été encore plus intensément théologien en enrichissant son enseignement de ses recherches personnelles.
La Pologne où naît Karol Wojtyla vient tout juste de se réunifier et de retrouver son indépendance. Le patriotisme s’affirme au contact des cultures germaniques (allemande et austro-hongroise) mais aussi juive et russe. Sa dévotion déjà ardente pour la Vierge Marie et sa passion pour le théâtre animent sa résistance sous l’occupation nazie. Séminariste clandestin qui échappe plusieurs fois de justesse à des rafles, il est envoyé en 1945 finir sa formation à Rome, où il découvre saint Thomas d’Aquin et saint Jean de la Croix, puis dans divers pays d’Europe occidentale (dont il apprend les langues) pour s’initier aux nouveautés pastorales.
À l’université, il est introduit à la phénoménologie, dont la problématique dépasse déjà Marx, Nietzsche et Freud, et s’intéresse surtout à l’orientation personnaliste de Max Scheler.
De retour en Pologne désormais sous le joug stalinien, il est aumônier d’étudiants, qui se fiancent et se marient, ce qui l’amène à réfléchir sur l’amour humain. C’est sur ce sujet qu’il choisit de rédiger sa thèse. À l’université, il est introduit à la phénoménologie, dont la problématique dépasse déjà Marx, Nietzsche et Freud, et s’intéresse surtout à l’orientation personnaliste de Max Scheler. Une fois docteur, il reçoit une chaire de professeur d’éthique. Les communistes ne se méfient pas de ce philosophe spécialisé en morale privée et permettent qu’il soit nommé encore très jeune évêque auxiliaire de Cracovie en 1958. Ils déchantent quand il devient archevêque en 1964 puis cardinal en 1968, critiquant sans concession ni agressivité le matérialisme qui avilit l’homme. Il participe au concile de1962-1965 et prêche la retraite de Carême au Vatican en 1976.
Pendant son pontificat de plus de vingt-six ans, il contribue à la chute de l’empire soviétique, survit à deux attentats, publie quatorze encycliques, parcourt le monde entier, lance les Journées mondiales de la Jeunesse et fait entrer l’Église dans le troisième millénaire de l’ère chrétienne.
Après la mort de Paul VI et le trop court règne de Jean-Paul Ier, il est élu pape en 1978. Pendant son pontificat de plus de vingt-six ans, il contribue à la chute de l’empire soviétique, survit à deux attentats (Rome, 1981 ; Fatima, 1982), publie quatorze encycliques, parcourt le monde entier, lance les Journées mondiales de la Jeunesse et fait entrer l’Église dans le troisième millénaire de l’ère chrétienne. Mort en 2005, il est béatifié en 2011 et canonisé en 2014.
Un des paradoxes de ce parcours est que le futur pape est plus poète, dramaturge et philosophe que théologien. Ses écrits antérieurs à 1978 sont une pièce (La Boutique de l’orfèvre, 1960) et des réflexions sur le théâtre, puis des travaux de moraliste (Amour et responsabilité, 1957 ; Personne et acte, 1969), reposant sur une vision de l’homme elle-même élaborée à l’aide de trois outils : la phénoménologie dans son développement personnaliste ; les formulations rigoureuses de saint Thomas d’Aquin ; et des concepts sous-jacents à la mystique de saint Jean de la Croix.
Cette gamme de références est bien plus large et féconde que dans la culture d’Europe occidentale empêtrée depuis la fin de la Seconde guerre mondiale dans l’alternative entre progressisme et conservatisme. Dans les années 1970, on trouve Aux sources du renouveau (1972), qui explique l’ouverture intellectuelle aussi bien que spirituelle requise pour recueillir les fruits du dernier concile, ainsi que la retraite de 1976 au Vatican (Le Signe de contradiction), qui fait davantage appel aux Écritures, mais en les faisant retentir comme des réponses aux défis de la pensée athée ou sceptique.
Le tournant théologique est net dès le début du pontificat, sans renoncer à exploiter les acquis culturels du jeune évêque-philosophe. Des quatre premières encycliques, trois sont consacrées à chacune des personnes de la Trinité.
Le tournant théologique est net dès le début du pontificat, sans renoncer à exploiter les acquis culturels du jeune évêque-philosophe. Des quatre premières encycliques, trois sont consacrées à chacune des personnes de la Trinité : le Fils (Redemptor hominis, 1979), le Père (Dives in misericordia, 1980) et l’Esprit Saint (Dominus et vivificantem, 1986). La suivante (Redemptoris Mater, 1987) présente la maternité de la Vierge comme indispensable pour et dans la foi. Entretemps, Slavorum apostoli (1985) est un rappel plus personnel du rôle des nations slaves dans l’histoire chrétienne. Puis viennent la mission de tous les baptisés (Redemptoris missio, 1990), la nécessité de l’œcuménisme (Ut unum sint, 1995) et le rappel argumenté, en écho à une intuition du père de Lubac, que la messe est à la fois la raison d’être de l’Église et la source de sa vie (Ecclesia de Eucharistia, 2003).
L’alliance entre philosophie et théologie qui fait l’unité de l’ensemble est légitimée dans "Fides et ratio". Mais aussi avec ses 129 catéchèses du mercredi sur la sexualité et le mariage.
Dans cette série d’exposés des fondamentaux, la morale garde sa place, qu’elle soit sociale (Laborem exercens, 1981 ; Solicituto rei socialis, 1987 ; Centesimus annus, 1991) ou privée (Veritatis splendor, 1993 ; Evangelium vitæ, 1995). Enfin, l’alliance entre philosophie et théologie qui fait l’unité de l’ensemble est légitimée dans Fides et ratio (1998). Mais c’est aussi avec ses 129 catéchèses du mercredi sur la sexualité et le mariage que Jean Paul II fait œuvre novatrice de théologien, en tirant parti de son expérience de pasteur et de ses compétences universitaires. Cet ensemble a été édité en 2014 au Cerf sous le titre Théologie du corps.
Les encycliques de Jean Paul II sont de petits livres assez lisibles et encore faciles à trouver. Il y a aussi des lettres apostoliques — notamment aux femmes (Mulieris dignitatem, 1988), Aux artistes (1999) ou ajoutant cinq « mystères lumineux » au chapelet (Rosarium Virginis Mariæ, 2002). Mais le meilleur moyen de connaître et comprendre le saint pape est sans doute Ma vocation, don et mystère. Ces confidences de 1996, pour les cinquante ans de son ordination sacerdotale, rééditées chez Parole et Silence en 2013, mettent en valeur deux mots-clés : le don que Dieu fait de lui-même et demande en retour de chacun, ce qui dépasse les capacités humaines mais peut être vécu en un mystère aussi exaltant qu’éprouvant.