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Un « drôle » de déconfinement

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Bruno Valentin - published on 29/04/20
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Quand les autorités vous privent de la messe, que faire ? L’évêque auxiliaire de Versailles trouve trois réponses dans l’Écriture : prendre le parti de la foi et non de l’émotion, laisser Dieu agir et faire preuve d’audace créative.« En avril, ne te découvre pas d’un fil, en mai, fais ce qu’il te plaît ! » Cette année, ça semble assez mal parti, surtout pour les croyants priés d’attendre sur le quai le prochain train du déconfinement progressif… Et pourtant ! 

« Nous sommes en guerre. » C’est avec ces mots martiaux que le président de la République, le 16 mars dernier, sonnait la mobilisation générale contre le coronavirus, et annonçait en guise de première phase stratégique le confinement général du pays. Il insistait, par la même occasion, sur l’impératif tactique de réussir à unir toutes les forces nationales pour remporter la victoire contre cette menace sanitaire majeure. Le 11 mai prochain s’ouvrira une nouvelle étape du combat : celle du déconfinement de la vie de notre pays. Étape éminemment délicate bien sûr pour ne pas risquer de relancer la pandémie. Étape impérative pourtant, sous peine d’écroulement du pays, aux dires du Premier ministre lui-même devant l’Assemblée nationale. Pas question, donc, d’envisager un « déconfinement éclair ». 

Pour les croyants, il s’agira même d’un « drôle de déconfinement », comme on parle de « la drôle de guerre » à propos des premiers mois de la seconde guerre mondiale, caractérisés par une quasi-inaction des forces armées sur le front occidental. Le gouvernement a effet décidé d’une stratégie de déconfinement progressif, souple, pragmatique, adapté aux réalités locales, pour tous : l’école, l’entreprise, le commerce, la culture, le sport… pour tous, sauf pour les croyants, pour qui toute possibilité de célébration religieuse est renvoyée — si tout va bien — à des jours meilleurs espérés en juin, à l’exception des seules obsèques, qui restent un droit trop souvent escamoté dans les faits par les opérateurs funéraires.

Que faire ? Nous révolter, ou subir ? Obéir, ou résister ? Choisir la franchise, ou la clandestinité ?

Quelles qu’en soit les motivations réelles, ce choix du gouvernement est une erreur tactique. Car en excluant la liberté de culte du principe général de déconfinement progressif, il marginalise les croyants et leur signifie clairement leur peu de valeur dans le champ de la vie commune, quels que soient les beaux discours que le président de la République affectionne par ailleurs. On peut rêver meilleure manière de construire l’unité nationale.

« Que devons-nous faire ? »

Devant cette situation, nous nous interrogeons sur la conduite à tenir : que faire ? Nous révolter, ou subir ? Obéir, ou résister ? Choisir la franchise, ou la clandestinité ?… « Que devons-nous faire ? » La question est d’autant plus essentielle, pour nous, qu’elle traverse tout l’Évangile : celui de Luc en particulier, où elle est posée d’abord par la foule à Jean-Baptiste au bord du Jourdain, par trois fois (cf. Lc 3, 10 sq), puis de manière symétrique à Pierre, au jour de la Pentecôte (Ac 2, 37). Chez Jean, c’est à Jésus lui-même que la question est adressée par ceux qui l’écoutent dans la synagogue de Capharnaüm : « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » (Jn 6, 28.) À chaque fois, la réponse donnée est substantiellement la même : croire et se convertir, en optant pour les comportements qui le montrent.


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Comme toujours, l’Écriture nous donne le point de départ de la réflexion que nous avons à mener, en posant ainsi trois jalons très clairs. Il s’agit en premier lieu d’aborder la situation avec le parti-pris de la foi, ce qui déjà ne va pas de soi. Emportés comme tout le monde dans les flots déchaînés de l’information permanente, il faut consentir à un réel effort pour nourrir notre jugement d’autre chose que des réactions exaspérées que charrient les réseaux sociaux. La première chose à faire est donc de consentir à faire un pas de côté, sortir du courant pour faire le point : « Arrêtez ! sachez que je suis Dieu » dit le psaume 46, qui poursuit « Je domine les nations, je domine la terre ».

Il peut parfois exister chez nous la tentation de faire la volonté de Dieu… que Dieu le veuille ou non ! Dieu n’a pas besoin de nous pour défendre ses intérêts : c’est Lui qui nous défend !

C’est le deuxième repère que nous donne l’Écriture : croire, comme le dit Jésus à Capharnaüm, que c’est bien lui l’envoyé de Dieu, que c’est bien lui qui domine le temps et l’histoire. Il peut parfois exister chez nous la tentation de faire la volonté de Dieu… que Dieu le veuille ou non ! Dieu n’a pas besoin de nous pour défendre ses intérêts : c’est Lui qui nous défend ! Méfions-nous d’habiller avec des arguments spirituels des combats qui ne seraient en réalité que les nôtres, et gardons en toutes circonstances la sérénité et la confiance de nous savoir, quoi qu’il arrive, dans la main de Dieu.



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Enfin, le troisième repère qui est posé par l’Écriture est celui des actes de conversion : actes de partage, de justice, et de douceur, détaille Jean-Baptiste au bord du Jourdain. Peu importe que nos gouvernants actuels ne fassent manifestement que peu de cas de nous : nous catholiques avons un rôle crucial à jouer au service de la société tout entière. Il ne fait pas de doute que nous allons vers des mois de crise profonde et de grande souffrance économique et sociale. Toutes nos forces doivent déjà mobilisées, non pas tant pour défendre des intérêts corporatistes que pour servir le bien commun.

En avril, ne te découvre pas d’un fil, en mai…

Quels chemins concrets nous indiquent ces jalons trouvés dans l’Écriture ? Comment habiter au mieux dans les semaines qui viennent le cadre ainsi créé, avec « la prudence et l’obéissance aux dispositions » que le Pape a tout récemment demandé au Seigneur pour nous dans sa prière ? Certains ont voulu voir dans ces mots un simple appel au calme après la contestation, en Italie comme en France, du blocage de la liberté du culte. Cette lecture repose sur un contresens courant à propos de la vertu de prudence. Dans l’ordre de la philosophie morale, la prudence est tout autre chose que le principe de précaution : c’est la véritable sagesse de l’action, l’art de discerner l’objectif et de trouver les bons moyens pour l’atteindre. Quant à l’obéissance, elle n’est pas la simple soumission servile comme l’a rappelé Mgr Michel Aupetit, mais la réponse intelligente à ce qui nous est demandé. La prière du pape nous encourage donc, avec toute la prudence et la responsabilité nécessaires, à l’audace créative : de l’audace pour habiter nos églises, et de l’audace pour en sortir !

Rien ne serait pire, au fond, que d’abandonner l’espace laissé à la liberté religieuse sous prétexte qu’il n’est pas aussi large que nous le souhaiterions.

Le premier axe d’investissement pastoral doit être celui de la meilleure manière d’habiter nos églises. Car rappelons-le : elles ne sont pas fermées, et ne l’ont jamais été même au plus fort du confinement. À partir du 11 mai, toutes les restrictions de circulation seront levées dans un rayon de 100 km autour du domicile : reconnaissons qu’en France, en ville comme à la campagne, un tel périmètre rend un grand nombre d’églises accessibles à tous ! Comment allons-nous en faire des lieux vivants, d’accueil, d’écoute et de prière ? Comment nos églises seront-elles ces fontaines de village accessible à tous ceux qui veulent se désaltérer un instant, selon la belle image qu’affectionnait le pape saint Jean XXIII ? Adoration, confession, musique… il y a tant à imaginer, en lien notamment avec la prière mariale traditionnelle au cours du mois de mai ! Rien ne serait pire, au fond, que d’abandonner l’espace laissé à la liberté religieuse sous prétexte qu’il n’est pas aussi large que nous le souhaiterions.

Le mouvement du cœur

Nous devons également déployer toute notre créativité pour sortir avec audace de nos églises : allez au large ! Car la mission n’attend pas ! Les semaines qui viennent peuvent être l’occasion de consolider la belle dynamique des églises domestiques qui ont germé un peu partout pendant ces semaines de confinement, grâce à ces moments spirituels forts vécus à la maison, notamment à l’occasion de la Semaine Sainte. Elles n’étaient encore que des assemblées privées, resserrées strictement sur le cercle familial : comment les ouvrir un peu au voisinage, pour qu’elles deviennent véritablement ecclésiales ? Il nous faut réfléchir spécifiquement à la place de l’Eucharistie dans cette vie domestique, selon les règles que donne l’Église. La liberté de mouvement retrouvée doit aussi stimuler notre charité fraternelle envers les personnes plus isolées, plus fragiles. Un sursaut de conscience collective s’est enfin manifesté au regard du paradigme technocratique au nom duquel on avait commencé par priver de toute visite les personnes âgées, malades ou handicapées résidentes en institutions collectives : portons-nous le même souci de celles qui vivent chez elles, à deux pas de chez nous ?

Habiter, quitter ; entrer, sortir ; diastole, systole : c’est le mouvement du cœur qui bat ! C’est le mouvement de la vie qui va ! N’attendons pas le mois de juin pour sortir déjà d’une certaine léthargie ecclésiale, et vivre de la vie du Ressuscité !



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