Un an après le terrible incendie de Notre-Dame de Paris, parmi tous les scénarios de reconstruction surgit l’idée surprenante de sa désacralisation… C’est oublier que l’Église est aussi le fruit d’une histoire : elle ne peut consentir à l’effacement de son héritage. Chaque cathédrale est le témoin de sa fécondité sans laquelle il n’y aurait aucune autre église.
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À l’occasion du premier anniversaire de l’incendie de Notre-Dame le 15 avril dernier, le quotidien La Croix a publié une double page consacrée à l’avenir de la cathédrale. Quoi de plus normal ? On y trouve la position de l’archevêque de Paris, à l’évidence concerné comme affectataire du lieu et chargé de veiller à ce qu’il garde une âme. Il y a aussi la perspective à la fois plus pratique et plus artistique du grand architecte auquel le cardinal Lustiger a fait appel pour aménager l’autel et le chœur il y a une quinzaine d’années. Mais le troisième point de vue est vraiment inattendu.
Un nouveau champ de débat interne à l’Église ?
Un historien de renom, et qui se dit « chrétien, catholique qui plus est », propose en effet que la cathédrale soit « déconsacrée » et transformée en musée capable d’accueillir les hordes de visiteurs qui viennent là sans plus de motivations religieuses ni esthétiques que lorsqu’ils saturent le Louvre. Ils gênent le culte et réciproquement le culte les gêne. Dans ces conditions, le moindre mal n’est-il pas de leur céder complètement la place ? Si la cohabitation des touristes et des fidèles est pénible et si l’envahissement des premiers est impossible à contenir, les seconds n’ont-ils pas intérêt à se replier ailleurs ?
Ces trois visions de ce que pourrait ou devrait redevenir ou devenir Notre-Dame ont été recueillies séparément, semble-t-il, si bien qu’il n’y a pas eu là de dialogue, mais l’ouverture par le journal d’un débat entre croyants — un débat auquel d’autres catholiques peuvent fort bien participer sans attendre ni même espérer d’avoir accès à la même tribune. Jusque-là, l’avenir de la cathédrale a été l’objet de discussions entre les diverses autorités civiles loin d’être d’accord entre elles et les représentants qualifiés de l’Église — ceux-ci étant unanimes pour préserver un haut-lieu dont la signification ne vient pas du nombre de ceux qui s’y pressent, parce que c’est elle à l’inverse qui les attire, qu’ils en soient conscients et l’acceptent ou non, en inspirant la beauté du monument.
Et la symbolique ?
Il va d’abord de soi que l’abandon de la cathédrale de Paris aux touristes serait un signe éclatant de l’effacement public de la foi. La visibilité de celle-ci dans les paysages, qui est aussi un moyen d’accueil, n’est pas moins que le témoignage privé nécessaire à la mission et donc à la survie de toute l’Église, dont la vocation n’est pas l’enfouissement dans des catacombes. Il est curieux que l’éminent historien qui préconise cette capitulation soit présenté comme « spécialiste de la symbolique occidentale ».
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Il est ensuite permis de s’étonner qu’il déclare que cette privation « ne [le] choquerait pas outre mesure ». S’il ne lui « vient jamais à l’esprit d’entrer à Notre-Dame pour prier », c’est une mentalité particulière que rien n’autorise à présumer exemplaire. Si l’on a soi-même du mal à se recueillir au milieu d’une foule indifférente, est-ce suffisant pour rendre indifférent au fait que le Christ lui-même reste présent dans le lieu envahi et qu’il invite à communier avec lui jusque dans sa compassion pour toutes ces brebis sans berger (Mt 9, 36) ? Par ailleurs, l’argument que l’édifice aurait été « confisqué par la République » pour des célébrations nationales n’est pas du tout convaincant : on peut voir là au contraire une preuve de ce que, au moins dans les grandes circonstances, l’État ne peut pas se passer de l’Église.
La cathédrale et le palais royal
Mais ce qui est surtout contestable est la comparaison que fait l’honorable professeur avec le château de Versailles. Certes, c’est sa « muséification » qui a permis de le sauver, et la billetterie à l’entrée permet de l’entretenir dans la mesure où les subventions et le mécénat (spécialement américain) n’y suffisent pas. Mais, même s’il est bon qu’existe maintenant une association des American Friends of Notre-Dame, cette solution adoptée pour la résidence royale n’est pas applicable à la cathédrale parisienne (ni à aucune autre). La différence irrécusable est que le palais de Louis XIV a été édifié à la gloire de la monarchie qui n’existe plus et, à vue humaines, a peu de chances de revenir, alors que Notre-Dame de Paris a été construite par et pour le Peuple de Dieu qui n’est pas rentré sous terre et ne le peut pas.
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On peut et on doit même sans doute transformer en musée une demeure princière où aucun potentat ne peut plus étaler sa splendeur, ou une forteresse médiévale qui n’a certainement plus d’utilité militaire, voire une abbaye devenue inhabitable faute de moyens de la restaurer. Mais on ne peut pas abandonner une cathédrale à des marchands de culture superficielle et vague sous le prétexte qu’elle est encombrée de trop de gens qui ne savent pas où ils sont.
Le lieu et l’histoire
L’enjeu dépasse en un sens Notre-Dame de Paris, qui n’en est pas moins un terrain hautement symbolique. Il s’agit bien de décider si l’Église peut se laisser en quelque sorte engloutir dans la société ou si elle y restera comme un rappel que « les chemins de la terre sont les chemins du ciel », comme le dit joliment l’archevêque de Paris dans sa contribution à ce débat. La question est aussi de savoir si les catholiques sont prêts à se passer de leur cathédrale depuis des siècles ou s’ils peuvent sans états d’âme la « relocaliser » ailleurs.
“Chaque cathédrale est l’indispensable canal par lequel la vie chrétienne reste branchée à sa source et se partage dans l’espace et le temps.”
Dans chaque diocèse, cette église-là est comme la mère de toutes les autres. En tant que celle de l’évêque uni au pape, elle assure à la fois l’unité de l’Église locale et sa communion avec l’Église universelle, pas seulement sur la surface de toute la terre aujourd’hui, mais encore à travers l’histoire depuis le Christ et même avant. Chaque cathédrale est l’indispensable canal par lequel la vie chrétienne reste branchée à sa source et se partage dans l’espace et le temps. C’est le point de connexion qui fait que chaque célébration sur le territoire du diocèse est bien plus qu’un événement local à un moment donné.
Des pierres vivantes ou une momie ?
Si le bâtiment devient indisponible, comme c’est le cas actuellement à Paris, on ne peut que transférer ailleurs le siège de l’évêque. Mais ce ne peut être que provisoire. On n’a jamais volontairement abandonné une cathédrale que pour en construire une autre, plus belle et plus grande, sur place si possible ou au plus près, car la continuité est vitale.
Aujourd’hui où nul ne rêve de faire plus grand et plus beau à Paris que Notre-Dame, toute solution la privant du souffle de piété qui l’a fait surgir de terre et animée jusqu’à ce qu’un incendie l’endommage équivaudrait à faire de pierres vivantes une triste momie, quelle que soit sa mise en scène. Ce qui n’empêche pas et exige plutôt, comme le propose l’architecte qui a déjà participé à la restructuration de l’espace cultuel et qui sait de quoi il parle puisqu’il a aussi construit des gares en Chine, de trouver dans la circonstance une motivation pour travailler à accueillir et non plus supporter mal-croyants et incroyants à l’intérieur de la cathédrale et surtout dans ses abords où beaucoup peut être amélioré.