Sept grandes pandémies ont marqué l’histoire de l’humanité. Leurs répercussions considérables peuvent inspirer autant de perspectives sur le présent et pour les mois et années qui viennent.
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À l’heure où l’on s’interroge déjà sur les étapes du déconfinement, il est permis de se demander quelles conséquences aura la crise sanitaire. Si l’on patauge au milieu d’incertitudes auxquelles on n’est plus habitué, c’est en élargissant et approfondissant le regard que l’on peut repérer des références et des enjeux.
Les épidémies qui ont changé le cours de l’histoire
En explorant un peu le passé, on trouve sept fois (et il y en a sans doute eu d’autres) où des pandémies ont fait que l’histoire n’a plus dépendu du seul vouloir des hommes :
- La « peste de Justinien » (541-767) a empêché la « romanité » byzantine d’achever la reconquête du pourtour de la Méditerranée puis de refouler l’expansion militaire de l’islam.
- À partir 1347, la « mort noire » a prolongé la Guerre de Cent Ans, mais aussi raréfié la main d’œuvre, ce qui a stimulé des avancées technologiques et finalement sociales.
- Les Européens n’ont pas conquis les Amériques au XVIe siècle par les armes seulement : les germes de variole qu’ils portaient ont décimé les populations sans immunisation naturelle.
- En Chine, une peste a ruiné au XVIIe siècle le système mis en place par les Ming et permis la prise du pouvoir par les Qing mandchous jusqu’à une république en 1912.
- La fièvre jaune en Haïti a anéanti en 1801 l’armée de Bonaparte, qui a du coup renoncé à toute ambition en Amérique, ce qui a permis l’expansion des États-Unis déjà débarrassés des Anglais et qui n’ont plus eu à repousser que les Espagnols affaiblis au sud et tout à l’ouest.
- À la fin du XIXe siècle, la peste bovine a mis les sociétés africaines hors d’état de résister aux colonisateurs avides de matières premières et de débouchés pour leurs produits.
- En 1918-1919, la grippe « espagnole » (parce que les informations sont venues d’Espagne non belligérante, où il n’y avait donc pas de censure, alors que le virus était arrivé des États-Unis) a aggravé la récession en Allemagne vaincue et ainsi préparé la montée du nazisme.
L’immédiat et l’économie
Les répercussions considérables de ces sept crises sanitaires peuvent inspirer autant de perspectives sur le présent et pour les mois et années qui viennent. La première leçon à tirer est qu’une pandémie ne disparaît pas aussi vite qu’elle se répand. Nous avons sans doute fait, avec l’instauration du confinement et son respect, de grands progrès dans la prévention. Mais on ne maîtrise que les virus connus et il faut du temps pour trouver la parade à un nouveau. Un relâchement des précautions précipité par les frustrations de la claustration peut entraîner une nouvelle vague de contamination.
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En second lieu, il est déjà évident que le ralentissement considérable des activités aura des retombées économiques. On peut même envisager une « décroissance » imposée par la régression de la production, des transports et des investissements, et non plus par une vertueuse abstinence comme le prêchent depuis une cinquantaine d’années les critiques des multinationales ou du consumérisme et autres écologistes.
Sobriété et cohésion sociale
Un troisième terrain sur lequel il faut se demander si la présente épreuve aura un impact est alors celui de la gestion du dérèglement climatique. Une fois desserrés tous les freins à la propagation du virus, tout repartira-t-il comme avant, avec des objectifs de jouissance à court terme ? Ou bien l’époque de la « mondialisation heureuse » prophétisée à la fin du XXe siècle est-elle révolue et des modes de vie plus modestes, plus sobres et plus localisés vont-ils se développer et permettre de ne plus menacer l’avenir de la planète ?
En cette période d’urgence, les gouvernements sont bien moins contestés que d’habitude par leurs oppositions. Mais une fois la crise passée et repoussées les tentations d’autoritarisme qu’elle peut encourager, quelles seront les nouvelles polarisations ?
La réponse à cette question dépendra d’un quatrième domaine : celui de la cohésion sociale. Les moins favorisés — augmentés de ceux qui perdront leur emploi — seront les plus pénalisés par la dépression économique. Mais les mieux nantis jugeront exorbitants les impôts exigés d’eux afin d’entretenir une solidarité nécessaire, par-delà la crise, afin d’éviter que les inégalités provoquent des révoltes purement destructrices. Et tous ces mécontentements ne manqueront pas d’être exploités par des démagogues des deux côtés.
L’ère post-idéologique
Cela se répercutera infailliblement dans un cinquième champ : le politique. En cette période d’urgence, les gouvernements sont bien moins contestés que d’habitude par leurs oppositions. Mais une fois la crise passée et repoussées les tentations d’autoritarisme qu’elle peut encourager, quelles seront les nouvelles polarisations ? Le coronavirus pourrait avoir porté le coup de grâce au dualisme progressisme-conservatisme déjà ébranlé. Le mythe discriminant du Progrès a été monopolisé par la gauche puis démenti par l’échec patent du socialisme dogmatique, avant d’être récupéré par son symétrique qui a préféré se dire « libéral » plutôt que « de droite », mais est à son tour en échec. Restent le populisme et la technocratie, l’un et l’autre dépourvus de « philosophie ».
Comme les idées aussi bien que les technologies et les capitaux continueront de circuler, aucun pays ne pourra rester longtemps une arène close, dominée soit par un « homme fort », soit par des luttes tribales (ethniques ou culturelles). Il est plutôt à prévoir — et c’est un sixième niveau où la pandémie retentira — que s’affronteront partout dans le monde deux jeux antagonistes de « valeurs » post-idéologiques, même si les diverses propagandes rivales s’évertueront à prétendre les honorer simultanément.
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Sous le parapluie des droits de l’homme que chacun interprète déjà à sa manière, on pourrait ainsi n’avoir plus que des égoïsmes nationalistes soit forts (trumpisme, xijingpisme, poutinisme…) et cherchant à vassaliser plutôt qu’à conquérir, soit de repli ou plus fragiles et essayant de ne pas se laisser aliéner, tous invoquant une vague fraternité humaniste, les uns en aidant un peu, les autres pour réclamer des secours. L’Europe pourrait battre tous les records de conciliation interne d’intérêts particuliers assaisonnée de nobles principes.
L’évangélisation au XXIe siècle
Mais ce retour ambigu du besoin d’une morale universelle rouvre la question de la place de l’homme avec sa chair périssable dans son espace physique qu’il sait désormais ne pas pouvoir domestiquer totalement et dans le temps qu’il doit admettre ne pas maîtriser du tout. L’intuition qu’a l’homme de n’être pas un animal comme les autres, rien que parce lui seul sait qu’il en est un, le pousse invinciblement à se reconnaître religieux. Maintenant que sont mortes les idéologies qui se substituaient aux croyances, ceux qui continuent de croire ne font plus rire de mépris. Et la plupart de ceux qui ont ricané professent respecter la « spiritualité ».
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Une ère nouvelle s’ouvre ainsi pour l’évangélisation. Perfectionner l’efficacité du prosélytisme en l’adaptant au contexte de vide idéologique n’y suffira pas. C’est bien plutôt en s’abandonnant à la foi, dont ils ne feront jamais le tour (parce qu’elle est participation à la Vie qu’ils possèdent encore moins que la leur) et en y découvrant des ressources qu’ils ignorent encore, que les chrétiens trouveront comment répondre aux besoins du XXIe siècle.