Débordé par les urgences de la quarantaine, notre chroniqueur peine à suivre ses bonnes résolutions de lecture. Mais il prend le temps de nous conseiller trois livres de confinés célèbres, à lire en temps de confinement.Le temps passe trop vite. Dix jours déjà et mes résolutions pour un temps de confinement n’ont pas connu le moindre commencement d’exécution. Les vieux volumes de l’Histoire de l’Église de Daniel Rops sont encore fermés sur un angle de ma table, côtoyant la Recherche intacte de Marcel Proust en Pléiade et ma vieille Bible de Jérusalem que j’avais eu l’ambition téméraire de relire cursivement en partant de la Genèse : à raison de dix chapitres par jour, le temps prévisible du confinement devait permettre d’arriver à l’Apocalypse en huit semaines, mais la machine s’est enrayée au début du Lévitique : pas le temps.
Un je ne sais quoi de simulacre
Trop d’urgences ! Trop de temps dépensé dans des cellules de crise ou consacré à la lecture des brèves de l’Agence France Presse (AFP). Trop d’énergie dépensée à rafistoler d’imperceptibles désastres : quand on n’est pas un soignant, tout travail prend un je ne sais quoi de simulacre. Je commande en ce moment un lot de masques à un fournisseur chinois pour doter des travailleurs sociaux. C’est compliqué. C’est long. Et je comprends mieux les retraités, quand ils nous expliquent qu’ils n’ont pas le temps de lire, mais ne savent pas nous expliquer à quoi ils emploient leurs journées.
À présent que le monde entier est fermé pour inventaire, prenons des résolutions réalistes.
À présent que le monde entier est fermé pour inventaire, prenons des résolutions réalistes. Notre temps reste rare, soyons modestes dans nos projets de lecture. Essayons par exemple des livres écrits pour un temps de confinement. Des livres écrits par des confinés. J’en suggère trois, trois que je n’ai pas sous la main, hélas, mais dont j’ai le souvenir qu’ils sont bien accordés à ce moment de nos vies.
Trois livres pour confinés
Le premier, c’est le Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre. J’ai lu ce best-seller d’autrefois pendant mon service militaire : il m’avait ébloui. Le narrateur s’est retrouvé confiné à domicile pendant six semaines, mis aux arrêts pour une histoire de duel, vers la fin du XVIIIe siècle. Il entreprend alors une méditation méthodique sur chaque objet de sa chambre et sur chaque instant de sa journée. Sa chambre se révèle un univers immense. Le royaume de Dieu est au fond de son cœur.
Le deuxième, c’est le récit Brèves prisons de Roger Stéphane : écrivain, homosexuel, résistant, communiste, journaliste, Roger Stéphane fut condamné à trois mois d’incarcération sous la IVe République, pour avoir exprimé son opinion sur la guerre d’Indochine. Mauriac l’aimait. Stéphane a écrit son petit livre en prison, en trois semaines. C’est un bijou stylistique et politique, témoin d’un temps révolu où l’ordre moral public, pour être différent, n’avait rien à envier à celui d’aujourd’hui.
Le troisième, c’est évidemment le Mémorial de Sainte-Hélène. Confiné pour une durée indéterminée dans son île, l’Empereur, conversant avec le génial Las Cases, brosse de l’Histoire un portrait d’une pénétration unique. L’humour le dispute au génie. Après quelques semaines de confinement, Napoléon décide de lutter contre l’ennui en prenant des bains interminables dont il ressort plein d’idées neuves sur le monde. Il grossit, il s’ennuie, mais il devient humain.
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