L’épidémie du coronavirus inquiète le monde du travail. Pour le président de l’Association des économistes catholiques, la crise sanitaire aura des effets profonds et durables. L’économie non-financière peut souffrir énormément.
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Quel peut être l’impact économique et social de la crise provoquée par le Covid-19 sur la durée ? Le premier niveau possible est celui de la crise financière, de l’explosion. On pourrait le croire faible, car pour une fois la crise ne provient pas de la sphère financière ni même de l’économie au sens large. Mais notre économie se caractérise par un degré exceptionnellement élevé d’endettement, bien supérieur à ce qu’il était en 2008. Or c’est la dette qui transforme une crise sur un marché en crise systémique, car elle crée une effet domino par dépendance des acteurs les uns des autres.
Cette explosion est-elle à craindre ? La baisse de la Bourse, du marché des actions, pour spectaculaire et inquiétante qu’elle soit, n’est pas en soi désastreuse, sauf pour les investisseurs concernés et encore car la Bourse pourra rebondir après la crise. En revanche, une crise dévastatrice sur les marchés de la dette est possible si l’idée s’accrédite que trop de débiteurs sont insolvables. C’est donc de l’économie non-financière que dépendra la santé du secteur financier. Bien sûr les banques centrales interviendront massivement ; mais en soi cela ne compense pas la perte réelle des institutions créancières.
Le retour de l’État
Or, sans mesure correctrice, l’économie non-financière ne peut que souffrir énormément des mesures de confinement et du recul de l’activité. La perte de production devrait être telle que le PNB annuel recule de façon appréciable. Cela dit, les gouvernements ont pris et continueront à prendre des mesures correctrices considérables pour soutenir l’activité, pour aider les entreprises à traverser la période, et permettre la poursuite du crédit bancaire. Tout cela aidera bien entendu les entreprises concernées, et par là leurs créanciers, rendant un peu moins probable une crise financière. On peut donc espérer éviter un effondrement. D’autant plus que les marchés savent que la crise n’a pas une origine économique et financière ; une fois surmontée sur le plan sanitaire, la possibilité d’une reprise est plausible. Cela ne veut pas dire qu’une crise grave est exclue, loin de là, même si on peut espérer l’éviter. Mais même alors, le temps perdu ne sera pas rattrapé, et l’année devrait se terminer sur une récession en bonne et due forme, sans précédent depuis la guerre.
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Peut-on dire cependant que l’effet de la crise sera limité dans le temps ? Non, car elle aura de toute façon des effets profonds et durables. Le premier effet, souvent relevé, est le retour de l’Etat, de l’Etat national et non de l’Union européenne d’ailleurs. C’est une différence par rapport à 2008, où les banques centrales étaient en première ligne. Retour évident de l’Etat en matière sanitaire et médicale, mais aussi économique. Ce qui a une conséquence bénéfique, qui est de démentir l’idée fausse et répandue du dépassement des Etats. Et une moins bénéfique, qui est de décupler les attentes de la population à leur égard, comme on le voit en matière hospitalière où de nombreuses voix s’élèvent pour critiquer le manque de moyens.
Or il est évident que si on peut faire mieux, on ne peut pas tout faire. La France a un budget santé comparable à celui de l’Allemagne, mais deux fois moins de lits. Son niveau de dépenses publiques est le plus élevé de l’OCDE, et pourtant elle a singulièrement mal préparé cette crise. Ce n’est donc pas qu’il n’y a pas assez de dépenses publiques, mais qu’elles sont mal orientées. Quel que soit le gouvernement, la manière française de réduire les dépenses, c’est la méthode budgétaire : on réduit là où c’est plus facile, c’est-à-dire là où il y a le moins de protestations. Alors qu’il faudrait tailler durement certaines dépenses, et en augmenter d’autres – à l’hôpital par exemple. Car ce dont on aurait besoin c’est d’un Etat plus fort et plus ambitieux, certes, mais aussi bien plus concentré.
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Le risque est qu’on ait une pression encore plus forte en faveur de la dépense publique, alors même que nos Etats sont très endettés, et le seront plus encore après l’effort exceptionnel (justifié) de soutien de l’économie pendant la crise. Et donc les tendances déjà malsaines à l’œuvre depuis des décennies vont se trouver aggravées. De même les mesures monétaires accommodantes risquent de se pérenniser. A terme l’issue de ces dérives n’est pas prévisible, mais risque d’être très grave : c’est la perte de confiance dans la monnaie et dans le crédit public, la pire crise qui soit. Encore une fois, le coup de collier pendant la crise est justifié, coûte que coûte. Mais à chaque fois ce ne devait être qu’un coup de collier temporaire, et on en fait une addiction.
Le recul de la mondialisation ?
Un deuxième effet, souvent relevé lui aussi, est la remise en cause des excès de la mondialisation de la production et du commerce, et de la circulation des personnes. Elle est claire pour l’opinion ; mais il restera à voir dans quelle mesure elle sera suivie d’effet. Car pour cela il faudrait une action publique énergique, ordonnée à la notion d’activité stratégique : à savoir toutes les activités indispensables à la vie collective, notamment en temps de crise. Plus une capacité à réagir vite et fort. Sans pour autant bien sûr basculer dans l’illusion de l’autosuffisance, ni refuser de se coordonner avec les autres pays ; mais chaque pays doit prendre ses responsabilités et assurer sa sécurité et le bien de sa population. Ce qui implique une action industrielle et commerciale qui, disons-le clairement, se heurte frontalement à l’ADN actuel de l’Union européenne. Ce tabou pourra-t-il tomber ?
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Un troisième effet sera évidemment la remontée du chômage, et l’affaiblissement relatif de nos entreprises, pas toujours bien capitalisées par rapport à leurs concurrentes. Il faudrait ici encore un effort puissant, avec participation publique, pour revitaliser notre appareil productif, notamment industriel, en lien avec le point précédent.
Le tissu social va souffrir
Mais il est plus sourdement un quatrième effet, moins relevé, qui porte sur le tissu social. Je ne parle pas des effets psychologiques ou sociologiques du confinement : cela sort du champ de l’économie. Je vise plutôt l’action destructrice que malgré les mesures correctives, la crise aura inévitablement sur un autre tissu, celui des entreprises indépendantes et des commerces. Rappelons-nous les gilets jaunes : une des causes en était l’appauvrissement du tissu relationnel local, notamment des commerces en centre-bourg. Hors l’alimentaire et quelques rares secteurs, ils vont être frappés de plein fouet.
Le grand gagnant c’est Amazon, qui crée 100.000 emplois aux Etats-Unis, et ses congénères. Donc le triomphe de l’individualisme. Paradoxalement, une crise, qui est l’occasion normalement d’une poussée de solidarité, sera ici une occasion de repli forcé sur soi. Là aussi, une action résolue est nécessaire.
La dérive ou le sursaut
Que dire, sinon que cette crise peut être le point de départ de deux évolutions opposées. L’une, la dérive : on continue comme avant, en plus grave, avec tout ce que cela entraîne sur la durée de risques croissants financiers, sociaux, et donc politiques. L’autre, le sursaut : sursaut national par excellence, associant Etat et forces vives, résolument solidaire, mais qui implique aussi des choix énergiques, et donc des priorités. L’enjeu est donc particulièrement grave. Il faut y penser dès maintenant.
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