« Être une femme dans l’Église » ne peut se comprendre sans la figure de Marie, annoncée elle-même par les saintes femmes de la Bible. À travers la poésie, la peinture et la liturgie, explique Christine Pellistrandi, l’Église nous dit comment la jeune fille de Nazareth accomplit la vocation de la femme à porter la promesse de Dieu. Un thème qu’elle développera lors du colloque « Être une femme dans l’Église aujourd’hui » organisé à Boulogne ce 29 février par le Centre Saint Jean. Marie est la fille d’un peuple et l’héritière d’une histoire. Elle a reçu par la chaîne de ses ascendants le secret d’une espérance, le mystère de l’élection, la pratique d’une religion qu’elle a été habituée à pratiquer dès son enfance à travers la liturgie synagogale. Elle prend place dans la procession de toutes ces femmes de la Bible qui, par leur courage et leur détermination, ont transformé le cours des événements. Marie offre son corps qui deviendra comme l’arche de Noé, l’abri qui protège la vie face aux eaux du déluge, des eaux qui apportent la mort. Marie est aussi l’arche d’alliance, ce coffret d’or qui contient les Tables de Loi. Car c’est bien en son sein, figure symbolique de cette arche, que naîtra celui qui accomplira la Loi dans toute sa perfection.
Les saintes femmes qui ont « donné la vie »…
Marie ressemble-t-elle à Sarah ? Qu’ont-elles en commun ces deux femmes qui vivent à des siècles de distance ? Sarah vit l’épreuve de la stérilité. Elle se mit d’abord à rire en entendant derrière le rideau de la tente les paroles de l’ange promettant un fils à Abraham, alors qu’elle était si vieille et ne pouvait plus enfanter ! (Gn 18, 12) Mais Dieu l’invite à s’émerveiller devant le mystère de la promesse annoncée par les trois visiteurs : « Y a-t-il une chose trop prodigieuse pour le Seigneur » (Gn 18, 14), ce qui est repris dans l’Évangile de Luc dans cette formule prononcée par l’ange Gabriel lors de l’Annonciation : « Rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1, 37), et sur ces paroles, Marie, sans l’ombre d’une hésitation, acquiesce à la volonté de Dieu. Sarah a douté, Marie a cru, ce que confirme Élisabeth : « Bienheureuse celle qui a cru ; ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s’accomplira » (Lc 1, 45).
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Rebecca a mis au monde Jacob mais remontons plus haut dans son histoire. Le serviteur d’Abraham avait été envoyé à l’étranger avec la mission de ramener une épouse pour Isaac. En acceptant de partir sans bien savoir où ce serviteur l’emmènerait, elle renouvelle, en tant que femme, le geste d’Abraham qui, sur l’ordre de Dieu, s’était mis en route. Elle aussi est bien le portrait de la femme juive qui a l’intuition de la Parole de Dieu exprimée pourtant par le serviteur d’Abraham qui était pour elle un inconnu. Par son mariage avec Isaac, elle révèle une dimension de l’amour biblique qui permet à deux êtres de se découvrir d’abord et de s’aimer ensuite en construisant leur amour sur une confiance réciproque. Mais Rebecca, elle aussi, sera éprouvée en se découvrant stérile. Dieu répondit à la supplication d’Isaac et Rebecca fit l’expérience d’une grossesse difficile puisque les deux jumeaux, les futurs Jacob et Esaü, se battaient dans son sein.
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La belle Rachel se savait aimée et avec superbe jouissait de son privilège tandis que sa rivale Léa, aux yeux moins séducteurs, accouchait seule parce que son mari l’abandonnait à ce moment-là. Si les matriarches, Sarah, Rebecca, Rachel et Léa sont appelées saintes c’est parce qu’elles ont mis au monde les enfants qui donneront leur nom aux tribus d’Israël et qu’ainsi elles ont construit la descendance d’Abraham et accompli la promesse divine. Familles composées d’épouses et de servantes pour un seul homme, elles ont appris à vivre pour les autres au milieu de mille difficultés, celles que nous connaissons si bien lorsqu’il nous faut gérer la cohabitation sous un même toit d’enfants nés de lits différents.
«Combien de peintres de la fin du Moyen Âge ont montré Marie, les joues brillantes de larmes, tombant en pâmoison dans les bras de Jean.»
Ces femmes sont saintes parce qu’elles ont donné la vie. Comme toute femme, à l’image de la première d’entre elles, Ève, dont le nom en hébreu signifie la vivante… Donner la vie comme Marie est appelée à le faire. Mais Rachel est aussi l’image de la mère juive douloureuse puisqu’elle meurt en accouchant de son deuxième fils Benjamin. Au moment du siège dramatique de Jérusalem et de la déportation des enfants vers la Babylonie, Jérémie évoque sa figure : « C’est Rachel qui pleure sur ses enfants et refuse tout réconfort car ses enfants ont disparu… » (Jr 31, 15), verset que Matthieu reprendra pour évoquer le drame des mères de tous ces innocents, des enfants de deux ans, massacre décrété par Hérode le grand dans sa jalousie meurtrière. Rachel incarne la mère qui pleure devant la mort de ses enfants. Combien de peintres de la fin du Moyen Âge, Roger van der Weyden et Matthias Grünewald entre autres, ont montré Marie, les joues brillantes de larmes, tombant en pâmoison dans les bras de Jean. Rachel et Marie ont porté dans leur cœur l’une et l’autre la déchirure du deuil.
Marie et la révélation du nom de Dieu
Le buisson qui brûle sans se consumer, c’est Marie la toute sainte assise sur un buisson d’épines qui symbolise une Église composée de pécheurs. Son manteau de miséricorde s’étend au-dessus du monde. Quelle est la signification théologique de ce rapprochement entre Marie, Moïse et le Buisson ardent, scène qu’illustre Nicolas Froment dans le retable conservé dans la cathédrale d’Aix en Provence ? Le buisson qui brûle sans se consumer a été compris comme une image de la virginité de Marie ce que souligne l’inscription : « Dans ce buisson que Moïse avait vu brûler sans se consumer, nous reconnaissons ta virginité admirablement conservée Sainte Mère de Dieu. »
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Mais Nicolas Froment a aussi le génie d’associer la scène du Buisson ardent et la fête de Noël. Moïse est semblable aux bergers auxquels les anges annoncèrent l’heureuse nouvelle accomplissant la parole du prophète : « Qu’ils sont beaux sur les montagnes les pieds du messager qui annonce la paix, du messager de bonnes nouvelles qui annonce le salut, qui dit à Sion : ton Dieu règne » (Is 52, 7). Au centre une rocaille figure le Mont Horeb. Là le peintre plante un buisson épineux formé de chênes blancs où viennent s’enlacer lierre, liserons, rosiers sauvages et mûriers ronces.
Moïse cache son visage car il sait qu’on ne peut pas voir Dieu face à face. Il a déjà défait sa chaussure gauche et est en train d’enlever la droite : il est en plein mouvement. Un bélier porte des sonnailles : il est l’agneau pascal que les Hébreux mangent à Pâques en souvenir de la libération d’Egypte, il est l’image du serviteur semblable à l’agneau qui se laisse tondre en restant silencieux (Is 53, 7). Un bouquet de pensées, fleur à cinq pétales, symbolise les cinq plaies du Christ.
«Anne et Marie sont deux femmes qui éprouvent la même jubilation intérieure à l’annonce de leurs grossesses.»
Anne et Marie sont deux femmes qui éprouvent la même jubilation intérieure à l’annonce de leurs grossesses. Pour l’une, la future mère du prophète Samuel, elle était la réponse de Dieu à une prière ardente, pour l’autre, Marie, elle était la découverte incroyable qu’elle donnerait le jour au Messie, ce que toute femme juive souhaitait. Aussi Luc n’hésite pas à les réunir mettant dans la bouche de Marie à travers le Magnificat les mots avec lesquels Anne rendit grâces à Dieu : « Mon cœur exulte dans le Seigneur, ma corne s’élève en mon Dieu…
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C’est le Seigneur qui appauvrit et qui enrichit, qui abaisse et qui élève » (1 Sm 2, 2). Avec elles s’accomplit la parole du Psaume : « Il envoie la délivrance à son peuple, il déclare pour toujours son alliance, saint et redoutable est son nom » (Ps 111, 9). Les deux femmes ont prononcé leur acte de foi en sachant que, de la vie dont elles étaient dépositaires, dépendait l’accomplissement de la promesse divine de donner un Messie au monde. Cet acte de foi nous le disons avec Marie chaque fois que nous récitons le Magnificat qui est un magnifique résumé de la foi d’Israël avec la promesse d’un Dieu sauveur dont la bonté s’étend de génération en génération comme il l’avait promis à Israël en faveur d’Abraham et de sa descendance pour toujours.
La Bien Aimée du Cantique des Cantiques
Marie est le jardin qui sourit : nous voilà renvoyés à la Bien Aimée du Cantique des cantiques. « Elle est un jardin bien clos, ma sœur, ô fiancée, un jardin bien clos, une source scellée » (Ct 4, 12), image qui a été interprétée comme celle de la virginité de Marie. Les annonciations de fra Angelico se passent à l’intérieur d’un jardin clôturé. La liturgie, pour célébrer la fête de l’Assomption et exalter la beauté de Marie, n’a pas peur d’utiliser des citations du cantique : « Tu es toute belle ma bien Aimée sans tache aucune (4, 7). Tes lèvres, ô fiancée distillent le miel vierge (4, 11), l’arôme de tes parfums est plus délicieux que tous les baumes (4, 10) ; l’hiver est passé, c’en est fini des pluies, sur notre terre les fleurs se montrent et le roucoulement de la tourterelle se fait entendre sur notre terre (2, 11-13) ; Lève-toi ma bien-aimée (2, 10), viens du Liban ô ma fiancée (4, 8). »
Comme on le constate, c’est un rassemblement d’images très caractéristiques de la poésie du Cantique que le liturgiste organise à son gré pour célébrer Marie. Cette antienne appartient au Corpus Antiphonalium Officii (5162). Ce rapport entre la liturgie et l’Écriture explicite le souci de compréhension du mystère par la parole même de Dieu. L’événement de l’Assomption de Marie appartient à la nouvelle création inaugurée par Jésus ressuscité. C’est pourquoi cette antienne n’hésite pas à utiliser les images du printemps, réveil de la nature et donc symbole de résurrection. Ces exemples choisis dans la poésie, la peinture et la liturgie explicitent le souci d’approfondir la vocation de Marie, l’héritière de la promesse, par une grande liberté de l’interprétation de la parole de Dieu, ce qui démontre une très profonde culture biblique. Symboles et images se renforcent pour aider les fidèles à réaliser comment une petite jeune fille de Nazareth porte sur ses épaules le poids de la promesse.
Marie et l’éducation de Jésus
Devenue mère, Marie a éduqué son fils et a été soucieuse de lui transmettre le cœur de sa foi. Elle l’a préparé pour sa mission, l’emmenant en pèlerinage à Jérusalem, acceptant aussi de ne pas toujours comprendre ce que Jésus faisait : ce fut le cas quand elle le retrouva au milieu des docteurs de la Loi après l’avoir cherché pendant trois jours au milieu des pèlerins. C’est alors qu’elle lui demande tout naturellement : « Mon enfant pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois ton père et moi nous te cherchons tout angoissés » (Lc 2, 41-52).
«Qu’a-t-elle ressenti ce jour-là ? Femme et mère, elle a retenu ses larmes, elle a fait taire toute parole inutile pour entrer dans le silence.»
Marie entre pleinement dans sa vocation maternelle et elle entend une réponse qu’elle ne comprend pas : « Pourquoi me cherchez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » Pas d’autre explication, une phrase d’adulte coupante et cinglante qui nous surprend. Choisie par Dieu pour donner en son corps la naissance à son fils, elle a dû accepter le moment venu de laisser partir son enfant, le fruit de ses entrailles, pour le donner aux autres afin que le monde soit sauvé. Qu’a-t-elle ressenti ce jour-là ? Femme et mère, elle a retenu ses larmes, elle a fait taire toute parole inutile pour entrer dans le silence. Sa sainteté n’a pas empêché la souffrance et le chagrin.
La vocation de toute femme
L’a-t-elle ensuite aperçu de temps en temps ce fils bien aimé, l’instant d’une visite qu’une mère trouve toujours trop brève ? Plus que pour les autres personnages de l’Évangile, on fige la psychologie de Marie dans le marbre de ses statues oubliant qu’elle a forcément été au courant de la controverse que la prédication de Jésus suscitait et que cela ne pouvait la laisser indifférente. Elle a marché le long d’un chemin qui l’a conduit depuis le festin des noces de Cana jusqu’au calvaire.
Marie accomplit la vocation de toute femme réalisant à l’extrême la fidélité à la volonté de Dieu. Mais savait-elle ce qu’il lui en coûterait d’accompagner dans la solitude un condamné à mort, roi de dérision aux yeux du monde et roi de gloire pour ceux qui ont su reconnaître en Jésus de Nazareth le Messie que les siècles attendaient ?
Pour en savoir plus : https://femme-eglise-catholique.com/