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Comment peut-on se protéger des méchants ?

Le Portement de Croix

"Le Portement de Croix", Bosch, Musée des beaux-arts de Gand, vers entre 1515.

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Jean-François Thomas, sj - publié le 15/02/20
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Comment vaincre la méchanceté sans méchanceté ? Assurément sans faiblesse ni compromission. À l’exemple du Christ, prendre ses distances sans violence ni naïveté.

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La méchanceté fera toujours recette, jusqu’à la purification de toutes choses par Notre Seigneur. Nous savons que nous aurons toujours des pauvres parmi nous, comme le dit le Christ. Nous aurons aussi toujours des méchants, et nous pouvons nous-mêmes tomber dans ce péché terrible. Michel Audiard, le célèbre dialoguiste de cinéma, met dans la bouche d’un de ses personnages, incarné par Lino Ventura dans Les Tontons flingueurs, cette réplique devenue culte : « Les c… ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. » Cette formule lapidaire pourrait s’appliquer parfaitement aux méchants. Lorsqu’ils pointent leur nez quelque part, leur témérité dans l’invective et dans les coups bas est une signature qui ne trompe point.

https://youtu.be/CMzgMva5ekk

Le méchant est ancré dans le mal

Le méchant saute par-dessus toutes les limites, tous les obstacles, il pénètre les défenses qui se croyaient assurées et invincibles. Le véritable méchant, celui qui en a fait son fonds de commerce, ne l’est jamais par inadvertance, par distraction, une fois en passant. Il établit sa forteresse sur le sable mouvant de sa méchanceté, cette dernière revêtant des formes diverses, parfois très élaborées et subtiles : médisance, calomnie, trahison. Pour être méchant, il faut être ancré dans le mal car la méchanceté réclame pleine conscience et persistance dans le désir de nuire.

«Le pire méchant est d’ailleurs celui qui s’offusque comme un tartuffe d’user de méchanceté.»

Nul n’est méchant par accident. Il a fallu une pleine et réfléchie décision pour l’embrasser. Il ne s’agit pas ici de ces petites méchancetés passagères, celles dont fera preuve, par exemple, un enfant capricieux ou mal élevé, mais de la méchanceté foncière qui se cache parfois sous un masque apparent de vertu. Le pire méchant est d’ailleurs celui qui s’offusque comme un tartuffe d’user de méchanceté. Il lève les bras et les yeux vers le ciel lorsqu’il en est accusé.

Un aveuglement

La méchanceté est vissée dans le cœur de celui qui s’en sert. Nulle surprise donc à ce que saint Thomas d’Aquin la place au centre de son traité De Malo. Déjà, au Ier siècle avant Jésus-Christ, Publilius Syrus, dans ses Sentences et Maximes, précisait qu’« il n’est jamais plus à craindre la méchanceté que quand elle prend les dehors de la bonté ». Bizarrement, des hommes qui font leur fonds de commerce, durant toute leur existence, sur la méchanceté, tel Voltaire poursuivant de sa hargne la plus cruelle ceux qu’il considérait comme des ennemis à abattre, sont souvent les plus aveugles sur l’origine du mal qui les ronge. Le philosophe de Fernet considérait par exemple que l’homme n’est pas né mauvais et que, s’il est infecté par la méchanceté, la cause ne peut en être que l’infection provoquée par ceux qui dirigent les états. Bien courte analyse. Jean-Jacques Rousseau écrira de mêmes âneries : « Toute méchanceté vient de faiblesse ; l’enfant est méchant que parce qu’il est faible ; rendez-le fort, il sera bon. »



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L’optimisme béat de ces hommes qui avaient rejeté le péché originel et toutes ses conséquences ne va guère de pair avec ce que Dieu dit du salaire du juste et du méchant, notamment dans Les Proberbes de Salomon (X.1-XII.14). Le châtiment tombera sur la tête de celui qui commet l’injustice par sa méchanceté, mais il n’est jamais dit que cette punition serait en cette vie. Voilà pourquoi le méchant, bien souvent, prospère jusqu’à son dernier souffle et accumule les victimes.

La victoire du Christ

Si nous avons le malheur d’approcher des méchants, ou d’être approchés par eux (laissons de côté cette fois-ci le cas de figure où nous serions les méchants…), quelle attitude adopter ? Doit-on, pour se défendre, forger des armes semblables et répondre à la vilenie par la bassesse ? Certes non. Utiliser la méchanceté pour détruire la méchanceté ne fait pas grandir. C’est un signe de faiblesse personnelle qui entretient alors le foyer de la méchanceté et rend cette dernière encore plus violente. Doit-on se laisser faire sans opposer aucune résistance et ainsi collaborer, à notre insu, à l’œuvre de mort du méchant ? Pas plus, car cette passivité attiserait le vice du méchant et conduirait à une spirale sans fin.

Il est préférable, en fait, d’imiter — là comme en toutes choses — Notre Seigneur le Christ. Le peintre Jérôme Bosch a su rendre, dans sa poignante peinture du Portement de Croix, la victoire du Christ humilié par les méchants. Jésus y apparaît cerné de toutes parts par les vauriens que sont ses accusateurs et ceux qui l’ont condamné. Tout un monde grimaçant, éructant, bavant, blasphémant, personnages aux visages déformés par la méchanceté. Le vice se lit toujours sur les visages, dans les regards.

Le Portement de Croix

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"Le Portement de Croix", Bosch, Musée des beaux-arts de Gand, vers entre 1515.

Le Christ ne combat pas ses calomniateurs, et pourtant, Il est celui qui est vainqueur au sein de cette foule sordide. Il est victorieux car il est comme absent vis-à-vis de cette haine qui se déchaîne. Il est totalement concentré sur le don qu’Il a fait de sa vie. Bien qu’écrasé par ses bourreaux, Il est comme à distance, plus haut, intouchable alors que couvert de plaies.

Une distance paisible

Si nous sommes victimes d’un méchant, voilà le chemin à suivre. Que notre résistance soit dans la distance paisible. Il ne faut jamais regarder vers le bas. Il n’est pas rare que les méchants prétendent, après s’être acharnés, à une possible réconciliation. C’est là qu’ils osent tout : ils veulent faire comme si rien ne s’était passé. Là encore, la distance sans violence doit être la réponse. Le pardon profond doit être dans notre cœur, mais sans essayer de reprendre le cours des choses au risque d’être définitivement détruits, car le méchant ne demeure pas très longtemps dans les bonnes intentions qu’il affiche. Il attend le moment propice pour porter le coup fatal. Combien de ses faux amis qui, après avoir tout mis en œuvre pour vous calomnier et vous trahir, semblent soudain exiger de vous une abdication de votre part en faisant croire que tout peut être effacé, doit l’être, et que, si vous ne répondez pas à leur attente, vous êtes le vrai méchant !

«Il faut noter, hélas, que la méchanceté est chose fort bien partagée dans les groupes humains, et l’Église n’échappe pas à la règle.»

La duplicité du méchant

Il faut noter, hélas, que la méchanceté est chose fort bien partagée dans les groupes humains, et l’Église n’échappe pas à la règle. La méchanceté y règne aussi, tenace, destructrice, dévoreuse. Elle est parfois une compensation pour des êtres qui ont cru faire d’autres sacrifices. Ceux qui en usent ont une belle carrière la plupart du temps car ils savent cacher cette méchanceté sous des dehors de Raminagrobis. Lorsqu’ils accèdent à des postes d’autorité, ils sont un fléau et l’herbe ne repousse pas là où ils passent. Ils utilisent tantôt le miel, tantôt le vinaigre pour attirer les mouches qui tomberont dans leur piège. Une fois tout sourire, l’autre fois l’air buté, fermé et vengeur : le méchant est un homme à double visage, un sépulcre blanc à l’extérieur, tout de ténèbres à l’intérieur. Seule la figure du Christ peut nous aider à ne pas lâcher la croix sans être écrabouillés par elle.


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Sophocle avait déjà relevé que la bêtise est la sœur de la méchanceté, mais des hommes très intelligents sont méchants et fiers de l’être. Ils n’ont gagné leurs galons qu’en utilisant ce stratagème. En cela, ils sont des suppôts de Satan, lui aussi très brillant mais uniquement occupé au mal. Pas étonnant que les premières communautés chrétiennes aient été si vigilantes à surveiller et à soigner les relations entre leurs membres. Un seul méchant peut empoisonner le monde car il ne se fixe jamais de limite et veut conquérir sans cesse de nouveaux territoires.

Elle pèsera lourd dans la balance

Nous sommes tous de pauvres pécheurs. Certains péchés sont davantage liés que d’autre à notre nature, et donc ces faiblesses abîment moins notre âme. La méchanceté, elle, provient du mauvais usage de notre intelligence, et, comme elle est réfléchie et consentie, elle pèsera lourd dans la balance de saint Michel… Gardons-nous des méchants et de toute méchanceté, surtout de celle que nous pourrions commettre. Et si, d’aventure, nous péchons ainsi, réparons aussitôt, pendant qu’il est encore temps, notre injustice, ceci avant que ne résonnent, trop tard, les grincements de dents.


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