Après avoir indiqué qu’il ne porterait pas plainte après l’attaque d’un bus de pèlerins à Caen, l’évêque de Bayeux Mgr Boulanger a finalement décidé de faire un signalement au parquet et au préfet, regrettant un « climat de haine ». Face à de tels actes, comment les chrétiens peuvent-ils réagir ? En les dénonçant systématiquement ou en se taisant pour ne pas attiser la haine ? Éléments de réponse avec maître Henri de Beauregard.Le 19 janvier dernier, tandis qu’un car d’une cinquantaine de pèlerins de Caen partait de l’évêché pour un pèlerinage à Pontmain (Mayenne), une vingtaine d’individus cagoulés a volontairement empêché sa progression avant de l’arroser de peinture à coup de pistolets de paintball. Dans un premier temps, le diocèse a indiqué ne pas vouloir porter plainte, souhaitant plutôt faire “un appel à la paix sociale”. Néanmoins, la compagnie de car a rapidement porté plainte, son chauffeur étant choqué et le véhicule dégradé. Et une famille, à son tour, a porté plainte, accompagnée par maitre Henri de Beauregard. Aleteia a sollicité l’avocat sur l’opportunité d’engager des procédures, ou non, face à des actes qui visent manifestement les chrétiens.
Aleteia : L’actualité de Caen montre l’hésitation de l’Église à se positionner pour porter plainte, qu’en pensez-vous ?
Henri de Beauregard : Je crois que, jusqu’à présent, il s’est agi d’une attitude répandue dans les diocèses français : on se positionne “au dessus” de la mêlée, si j’ose dire, dans un pays majoritairement catholique. On ne se voit pas comme une minorité, et on ne souhaite pas en adopter les réflexes défensifs, donc on traite ces faits avec une forme de magnanimité qui rechigne à entrer dans la mêlée judiciaire. Seulement voilà, l’époque a changé, et si la France est largement couverte d’églises, de chapelles ou de calvaires, les fidèles sont moins nombreux et peinent de plus en plus à comprendre qu’on laisse certains actes sans réponse judiciaire et à accepter le double standard que politiques, policiers et magistrats semblent parfois appliquer au détriment des catholiques.
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Les catholiques deviennent-t-ils à leur tour une minorité menacée ?
Non. C’est excessif de le dire ainsi, mais le fait est qu’ils sont sans cesse plus attaqués et leurs lieux de cultes dégradés. Face à cette hausse de l’intolérance, il me semble que les diocèses ne doivent plus hésiter à communiquer et à porter plainte. En définitive, il faut trouver une ligne de crête : ne pas s’enfermer dans une logique victimaire et minoritaire, qui exige une plainte à chaque provocation, mais ne pas accepter non plus de laisser sans réponse des actes qui, matériellement et symboliquement, sont parfois porteurs d’une haine et d’une violence à laquelle nul ne doit s’habituer. Empêcher la tenue d’une réunion, le départ d’un car ou vandaliser un lieu de culte, ce n’est pas tolérable et c’est évidemment puni par la loi. Porter plainte, c’est aussi une démarche éminemment sociale : c’est dire la confiance que l’on a dans les règles que la société s’est donnée à elle-même et les institutions qui doivent les faire respecter. De ce point de vue, le diocèse qui porte plainte intègre les fidèles blessés par l’attaque subie dans un processus social qui est grandement préférable au repli sur soi dans la conviction d’une hostilité extérieure supposée, d’une injustice probable, ou dans un « àquoibonisme » assez peu évangélique.
Vous incitez donc les catholiques à porter plainte ?
Par principe, je dis qu’on a toujours raison de demander justice. L’idée de présupposer en amont que la justice ne nous écoutera pas est un renoncement et une position victimaire dans laquelle il est dangereux de s’enfermer. Donc oui, si les faits sont significatifs, il faut porter plainte. Certes la procédure pourra être longue et fastidieuse, mais on peut gagner. Je rappelle que l’atteinte à la liberté de réunion, à la liberté de circulation, la dégradation de biens, etc, sont punissables.
Certains disent aussi ne pas vouloir porter plainte ni communiquer sur ces actes afin de ne pas donner de mauvaises idées à d’autres ?
Peut-être, mais dans ce cas, on risque de favoriser une impunité qui, à terme, accroitra le nombre de ces actes, mettant parfois en danger les participants à tel ou tel pèlerinage ou réunion, souvent des familles, des enfants, ou des personnes âgées. Par ailleurs, en communiquant, on informe et on fait connaitre. Et heureusement, il existe encore des personnes de bon sens dans notre pays qui, une fois informées, peuvent exprimer leur soutien, qu’elles soient catholiques ou non.
D’après le ministère de l’Intérieur, 1.893 actes antireligieux ont été commis en France en 2019, dont 1.052 faits antichrétiens, un triste record…
Certes, mais la France est aussi un pays qui abrite dans chacun de ses recoins des lieux chrétiens, et donc des lieux plus facilement accessibles pour des déséquilibrées qui veulent vandaliser un lieu public ou un lieu « sacré » quel qu’il soit. Pour autant, ces chiffres qui montrent que près de trois actes ” antichrétiens” ont lieu par jour en France montrent qu’il est grand temps de réagir. De ce point de vue le silence, opposé par le gouvernement, à la demande de commission d’enquête parlementaire est invraisemblable. Je regrette aussi que nous n’ayons comme données que les chiffres du ministère dont on ne connait pas les critères. Peut-être les diocèses devraient-ils centraliser les informations relatives aux dégradations subies et autres types d’attaques, en les distinguant bien les unes des autres, afin de permettre à l’Église de France d’établir ses propres statistiques ? Il va sans dire que l’acte individuel d’une personne prise d’une crise de démence dans une église n’a pas le même impact qu’un groupuscule organisé qui insulte à dessein des pèlerins. Quoiqu’il en soit, n’ayons pas peur de communiquer, de dire, de faire savoir. Il faut mettre un terme à cette malédiction qui veut que, pour les chrétiens, le silence ou la réaction minimaliste semble être la règle. En un mot, selon la devise du Maréchal de Lattre : ne pas subir.
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