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La rébellion salutaire du photographe d’Auschwitz

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Denis Lensel - publié le 29/01/20
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Il a vécu toutes les atrocités du Camp de la mort, mais il a refusé que les crimes du lieu restent cachés. Au prix de sa vie, Wilhelm Brasse a voulu en préserver la trace horrible, et donc la preuve. Un formidable témoignage de rébellion spirituelle et morale.

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Peu avant le 27 janvier 1945, les gardiens SS d’Auschwitz hurlent : « Les Russes arrivent ! » Un des chefs nazis crie au photographe attitré du camp de la mort, un Polonais, Wilhelm Brasse, et à son adjoint Jureczek : « Brûlez toutes les photos ! » Et il désigne le four crématoire du bâtiment. « Il nous a ordonné de tout sortir des armoires et de mettre au four… » D’abord, ils font mine d’obéir, mais… « Dès qu’il est parti, on a arrêté, et avec l’eau on a éteint ce qui brûlait. On a tout sorti du four, les négatifs et les tirages, on les a sortis pour qu’ils ne s’abîment pas complètement. On a essayé de les préserver comme documents-preuves. Preuves du passé et preuves des atrocités commises. »

Matricule 3444

Voici le récit saisissant de ce photographe auquel l’histoire et la justice doivent ces preuves des crimes nazis, tel qu’il l’a confié au début de ce siècle à un réalisateur de Varsovie, Irek Dobrowolski, dans un film à la valeur documentaire et humaine absolument poignante, Portrecista, « le Portraitiste ». Wilhelm Brasse était issu d’une famille polonaise d’origine autrichienne qui avait servi la dynastie des Habsbourg avant de s’orienter vers la photographie. Jeune soldat en 1939-40, il est capturé par les Allemands alors qu’il cherchait à partir se battre en France. Ses geôliers lui proposent de rejoindre la Wehrmacht : fidèle à son pays, il refuse, et se retrouve interné à Auschwitz avec le matricule 3444.


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Les nazis lui demandent de photographier les autres détenus. Il va faire environ 50.000 photos en quelques années de cauchemar. La consigne : éviter que les prisonniers photographiés sourient, ce qui paraît facile ici…, mais aussi qu’ils aient l’air de souffrir… Un jour, il demande à un gardien brutal de ne pas les frapper, pour ne pas avoir de trace de coups sur les clichés. Parfois, il leur glisse quelque chose à manger. Toutefois, il a dû assister impuissant à des scènes horribles de torture ou de mise à mort par strangulation : il lui a fallu « prier pour que la mort de quelqu’un soit douce ».

Manigances diaboliques

Il célèbre le mariage d’un « kapo », ancien de la Guerre d’Espagne qui avait combattu aux côtés des « Rouges » : le malheureux sera ensuite pendu pour avoir cherché à s’évader. Un jour, le chef local de la Gestapo, qui décide de la vie et de la mort de chacun, lui demande une belle photo pour sa famille… Puis c’est une jolie blonde, amie d’un SS, mais ensuite on apprend son suicide, après ce qu’elle a vu dans le camp. Peu après, dans le dos d’un détenu, il découvre un tatouage d’Adam et Ève au paradis terrestre : ce petit tableau sera soigneusement découpé post mortem sur le corps du malheureux dans cet enfer nazi.



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Instants horribles, un médecin SS lui demande des photos « gynécologiques » de sexes féminins violentés : « Ils injectaient dans l’utérus des substances agressives qui provoquaient une sorte de cancer. » C’est le règne infernal du Docteur Mengele, « un monstre à visage humain » aux manigances diaboliques.

Les bourreaux confondus

Un jour, Brasse doit photographier quatre adolescentes juives terrorisées, déjà maltraitées : avec des infirmières, il parvient à les rassurer un peu, le temps d’un cliché. Mais après avoir retrouvé la liberté, le seul souvenir de ces visages tourmentés va l’empêcher de renouer avec ce métier qu’il avait pourtant aimé. Toutefois, le « portraitiste » polonais d’Auschwitz a sauvegardé au dernier moment les preuves matérielles qui ont permis de confondre les bourreaux de ses frères de douleur.

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