Rome a connu des papes africains bien des années avant d’accueillir un Français ou un Argentin. C’est cet héritage oublié que le gouvernement tunisien a souhaité rappeler.
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Une drôle d’information circule ce matin, des bas-fonds plébéiens aux palais sénatoriaux, traversant le Tibre et grimpant les sept collines… Elle résonne auprès de toutes les oreilles et gagne toutes les lèvres : “un pape africain a été élu”. On raconte qu’il serait “né à Rome” mais que ses parents seraient “deux immigrés nord-africains”, originaires de Kabylie… Un pape africain ? L’heure est au changement.
Cette histoire est tout sauf les bases d’un nouveau scénario pour la série “The young pope”, ou d’une fiction post-moderne absurde rêvant d’un tournant “pro-diversité” dans l’Église. C’est celle des premiers temps de la Rome chrétienne. Romanus natus sed natione afer, c’est-à-dire “né à Rome mais de nationalité africaine”, peut-on lire dans la plus ancienne source existante sur les premiers papes, le Liber Pontificalis. Car l’Église a connu plusieurs papes africains, et pas des moindres. Comme le rapporte le journaliste italien Lucio Brunelli dans l’Osservatore Romano du 24 janvier 2020, on a un peu oublié ces pontifes africains. Il y en a eu trois en tout : Victor Ier (fin du IIe siècle), contemporain de saint Irénée de Lyon et de son compatriote saint Augustin d’Hippone ; saint Miltiade, né en Afrique du Nord, qui a siégé sur le trône de Pierre entre 311 et 314 ; et enfin, saint Gélase Ier (492-496).
Un héritage peu connu
Le premier, Victor Ier, impose le latin comme langue de l’Église et adosse définitivement le christianisme à l’édifice impérial romain. Si son époque connaît des persécutions nombreuses, c’est aussi une grande période de conversion des optimes, les élites de l’époque, sur lesquelles le pape peut compter pour infléchir la cruauté des empereurs et ennemis païens. Le second, Miltiade, a un rôle encore plus décisif, puisque c’est sous son pontificat que l’empereur Constantin accepte de signer l’édit de Milan qui donne aux chrétiens la liberté religieuse en 313. Son pontificat est donc celui de la fin d’une époque de tourments et de persécutions terribles. Le troisième, Gélase Ier, est essentiel parce qu’il va clairement fixer une ligne infranchissable entre le pouvoir politique romain et le pouvoir spirituel du pape. Pour cela, une autonomie du pouvoir spirituel est nécessaire, déclare-t-il alors. C’est sur les fondations qu’il pose à cette époque reculée que seront construits au fil des siècles les États du Vatican, ou terres séculières de la papauté, emprise territoriale en Italie qui dure jusqu’au passage au singulier et au retour brutal du pape Pie IX dans l’enclos étroit des murs léonins au XIXe siècle.
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Cet héritage laissé par les papes africains est aujourd’hui peu connu en Europe et dans le reste du monde. En Tunisie, il est rare de voir le passé chrétien célébré. Le gouvernement tunisien a néanmoins pour la première fois choisi la fête de Noël 2019 pour réparer cette ingratitude et offrir à “ses” papes un vrai hommage. Trois timbres représentant les trois pontifes, leurs portraits apposés au côté d’une représentation cartographique de la Tunisie, ont été officiellement émis pour montrer la fierté tunisienne de compter parmi ses illustres ancêtres trois souverains pontifes. Peu de pays peuvent se targuer d’un tel score. Et dans un pays aujourd’hui officiellement musulman, un tel geste peut être perçu comme un vrai appel à la paix entre les croyances.
“Ce thème a été choisi en concrétisation des principes et des valeurs de tolérance, d’ouverture et de dialogue interconfessionnel que la Tunisie a connus à travers les âges, ce qui l’a distinguée tout au long de sa longue histoire”, a déclaré fièrement la Poste tunisienne dans un communiqué. L’enveloppe de l’émission du premier jour présentait “les trois papes africains berbères” et portait un cachet spécial confectionné avec la coopération de la Poste vaticane.
La constitution tunisienne reconnaît dès son premier article que l’islam est la religion de la Tunisie. Se plaçant en “gardien de la religion”, le pouvoir politique ne reconnait cependant pas l’application de la charia, ce qui permet notamment à un Tunisien de se convertir au catholicisme. Un accord passé entre la Tunisie et le Saint-Siège en 1964 garantit la liberté de religion et de culte. L’archidiocèse de Tunis, descendant du prestigieux archidiocèse de Carthage, a pour archevêque Mgr Ilario Antoniazzi. L’Église tunisienne ne dispose que d’une cathédrale, Saint-Vincent-de-Paul de Tunis, et de neuf autres paroisses réparties dans le reste du pays. On compte 33 religieux et plus de 150 religieuses sur place. On estime à 20.000, voire 25.000, le nombre de chrétiens dans ce pays. Cette petite communauté peut désormais s’enorgueillir fièrement d’avoir donné à son pays trois si illustres et remarquables papes.
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