L’incendie de Notre-Dame de Paris a fait une victime collatérale en touchant la Maîtrise de la cathédrale. Plusieurs personnalités s’alarment des menaces qui pèsent sur le patrimoine musical de Notre-Dame. Elles appellent les autorités à tout faire pour protéger la mémoire vivante de la musique sacrée et sa mission dans l’accompagnement des fidèles à s’approcher du divin.
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Depuis maintenant un mois, la Maîtrise de Notre-Dame de Paris vit une crise sans précédent. Refondée par le cardinal Lustiger en 1991, sous la structure de l’association Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris, la Maîtrise Notre-Dame a acquis une reconnaissance nationale et internationale. Financée par le diocèse de Paris, la Ville et le ministère de la Culture, elle compte aussi des ressources propres liées à ses productions, surtout les concerts dans la cathédrale.
Une expertise unanimement reconnue
La crise est née du licenciement de cinq professeurs, en pleine année scolaire et parmi ceux-ci du chef de chœur et du « département de chant grégorien et musiques médiévales », Sylvain Dieudonné. Salarié de la maîtrise depuis plus de vingt-cinq ans, Sylvain Dieudonné est le spécialiste le plus éminent du répertoire musical lié à la cathédrale Notre-Dame de Paris, répertoire qui couvre, entre autres, le temps du chantier de la cathédrale. Il a su mettre au jour des partitions qui témoignent de la vitalité de la musique parisienne du XIIe au XVIe siècle. Il a acquis une expertise unanimement reconnue autant dans le monde musical que dans le monde savant.
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D’éminentes personnalités de ces deux horizons ont signé le 27 décembre dernier dans Le Figaro, une tribune intitulée « Sauvons le patrimoine musical de Notre-Dame ». Daniel Roth, organiste titulaire de Saint-Sulpice, rappelle que le chant grégorien est l’origine de notre patrimoine qu’est la musique occidentale, et par la suite l’inspirateur d’un répertoire immense, à commencer par les œuvres de l’École de Notre-Dame avec Léonin et Pérotin le Grand (XIIIe siècle) et s’épanouissant dans le répertoire d’orgue du XVIe siècle (Titelouze), du XVIIe (Louis et François Couperin, de Grigny…) et ce jusqu’au XIXe siècle. On ne comprendrait pas Berlioz et Saint-Saëns sans cette source. Et Widor (symphonies gothique et romane), et Tournemire (l’Orgue mystique) et Duruflé avec son Requiem sont tous dépendants de cette inspiration initiale.
L’identité musicale de la cathédrale
On comprend dès lors l’immense émotion causée par cette décision qui est apparue comme absurde et catastrophique. Apparemment justifiée par des raisons financières — mais les données sont restées confidentielles et approximatives —, cette décision fait craindre une dénaturation du projet de la Maîtrise. Elle a ligué contre elle l’ensemble des parties prenantes de cette magnifique institution : chanteurs en formation du chœur d’adultes, jeunes chanteurs du Jeune Ensemble, enfants du chœur d’enfants et leurs parents, professeurs et enseignants ainsi que de très nombreux chanteurs professionnels passés par la Maîtrise et, pour certains, chantres à Notre-Dame. Autrement dit, c’est une vague qui s’est soulevée pour dire son attachement à l’identité musicale de Notre-Dame de Paris.
En effet, la cathédrale, par-delà ses murs, est un foyer culturel et cultuel. Les plus de 850 ans d’histoire de l’édifice ont créé un patrimoine matériel et immatériel qui, génération après génération, a été transmis, enrichi, enseigné et aimé. L’incendie du 15 avril dernier a suscité une émotion mondiale qui témoignait de la force de rayonnement de la cathédrale. Mais ce rayonnement ne sont pas que ses pierres. Les voûtes de Notre-Dame tiennent aussi par ses chants. La musique et la liturgie déployées à Notre-Dame ont beaucoup compté. La musique, ce sont d’abord les musiciens ! À l’heure de la rénovation de Notre Dame, vers laquelle convergent les regards du monde entier, comment écarter de son rayonnement international, la splendeur du chant de la cathédrale ?
Protéger la culture
Le cardinal Lustiger, dont l’acuité artistique était vive, avait voulu, avec Musique Sacrée, redonner toutes ses lettres de noblesse à la musique à Notre-Dame, une musique intimement liée aussi à la liturgie. Depuis plus de vingt-cinq ans, Sylvain Dieudonné, avec les chanteurs, a pu assurer la messe grégorienne dominicale de 10 heures. Les concerts qu’il a organisés dans la cathédrale faisaient résonner sous ses voûtes la musique écrite et créée pour elle. Sans exclure le reste du répertoire — et comment le pourrait-on tant la solidarité intime de la musique puise sa force dans cette source initiale ? —, abandonner cet héritage de Notre-Dame relève du scandale.
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Tous ceux qui, par goût mais aussi par connaissance, sentent ou savent que la disparition de ce volet immense du patrimoine de Notre-Dame s’apparente à un nouvel incendie, apparemment moins spectaculaire mais tout aussi catastrophique, se sont dressés pour demander au clergé, responsable du destin de cette identité, de jouer le rôle qu’il doit jouer, à savoir celui de protecteur de la culture.
S’approcher du divin
La crise de la Maîtrise Notre-Dame est née de cette décision incompréhensible et absurde. Elle se développe et manifeste un malaise généralisé qui appelle, sans le moindre doute, une action apaisante qui rétablisse l’effectivité du projet de cette Maîtrise. Crise culturelle et crise sociale, elle manifeste de manière particulièrement émouvante l’intensité du lien du monde de la musique à l’Église à travers la cathédrale et son patrimoine musical. Puisse l’Église entendre ce cri de douleur pour retrouver le soin qu’elle a su avoir dans le passé de la musique en reconsidérant la dignité des musiciens dont l’intelligence et la sensibilité sont mobilisés au plus profond d’eux-mêmes pour accompagner les croyants dans leur prière et les incroyants dans la contemplation du mystère de la beauté, autre manière de s’approcher du divin.