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Figure majeure de la peinture informelle au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Pierre Soulages, mort le 26 octobre 2022 à l'âge de 102 ans, restera associé à sa couleur de prédilection : le noir. Une couleur dont il aura, toute sa vie, tenté d'en révéler la lumière. "Un jour je peignais, le noir avait envahi toute la surface de la toile, sans formes, sans contrastes, sans transparences. Dans cet extrême j'ai vu en quelque sorte la négation du noir. Les différences de texture réfléchissaient plus ou moins faiblement la lumière et du sombre émanait une clarté, une lumière picturale, dont le pouvoir émotionnel particulier animait mon désir de peindre. Mon instrument n'était plus le noir, mais cette lumière secrète venue du noir", confiait-il.
Cet artiste prolifique, aux 1.700 toiles, qui a toujours préféré la peinture à tout autre art, a cependant fait une exception dans sa vie. En 1986, après avoir refusé plusieurs projets pour différents édifices, il accepte la proposition du ministère de la Culture de réaliser, dans le cadre d'une commande publique, 104 nouveaux vitraux pour l'église Sainte-Foy de Conques située près de Rodez, sa ville natale.
Car le peintre a toujours gardé, depuis l'enfance, un attachement profond pour cette abbatiale romane nichée au cœur de la forêt. Amené pour la première fois devant ce chef-d’œuvre occidental à l'âge de 5 ans, par sa mère très croyante, c'est quelques années plus tard, quand il y retourne, qu'il a le choc de sa vie : "Lorsque j'ai eu 14 ans, c'est devant l'abbatiale de Conques que j'ai décidé que, seul l'art m'intéressait dans la vie (...). Conques est le lieu de mes premières émotions artistiques", déclarait-il. Sans se revendiquer croyant, l'artiste a toujours confié son attachement au sacré : "L'idée de Dieu est pour moi anthropomorphique. Ce que je sais, c'est que je ne sais pas, avoue-t-il. En revanche, je crois au sacré. Il fait partie intégrante de la dimension humaine, nous le portons en nous".
Animé par son envie se servir cette architecture aux lignes pures, il réalise d'importantes recherches au Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques de Marseille et à Saint-Gobain. Car le défi est de taille. L'abbaye de Conques, qui est mondialement connue pour son architecture mais aussi son Trésor d'orfèvrerie abritant la statue-reliquaire de sainte Foy, est un véritable chef-d’œuvre roman et possède pas moins de 95 fenêtres et neuf meurtrières. Des ouvertures considérables malgré la petitesse de l'édifice qui ne mesure que 56 mètres de long. Conscient que le monde le regarde, il se livre à une analyse méticuleuse de l'architecture, étudie ses proportions, s'inspire de son harmonie et de la douceur de sa pierre.
Une fois sa longue réflexion menée, Soulages présente enfin son projet en collaboration avec le maître verrier Jean-Dominique Fleury. Il décide de mettre de côté l'idée de vitraux colorés et historiés pour laisser pénétrer la lumière naturelle. "Il est bien évident que les rouges, les bleus, toutes les couleurs violentes que l'on rencontre dans les vitraux gothiques au nord de la Loire ne pouvaient que nuire à la délicatesse de la coloration des pierres et à l'espace intérieur de cet édifice", confiait-il. Il fait donc le choix de verres blancs animés de quelques lignes courbes.
"Dès le début, je n'ai été animé que par la volonté de servir cette architecture telle qu'elle est parvenue jusqu'à nous, en respectant la pureté des lignes et des proportions, les modulations des tons de la pierre, l'ordonnance de la lumière...", confiait-il, en ajoutant, "je voulais un verre qui isole de l'extérieur et en même temps un verre qui soit émetteur de clarté et module la lumière, tout en continuant les murs." Si le choix de l'abstraction a pu susciter quelques réticences il y a 25 ans, au moment de la pose des vitraux, la polémique est aujourd'hui une histoire ancienne et les Aveyronnais sont désormais fiers de leur lumineuse abbatiale.