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Bioéthique : de la “Mère Nature” à la “Mère Machine”

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Manifestation contre le projet de loi bioéthique, 6 octobre 2019.

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Dominique Folscheid - publié le 10/12/19
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En pleine crise écologique majeure, nous sommes en voie de rupture totale avec la nature. Le droit au désir rend toutes les techniques moralement acceptables et nécessaires, sans limites.Le texte du projet de révision de la loi de bioéthique, actuellement examiné par une commission spéciale au Sénat, ne se contentera pas de l’”AMP pour toutes” :  le mot d’ordre est bien “en avant toute !”, parce qu’il ne faut pas arrêter le progrès. Mais quel progrès ? Celui de la science et de la médecine nous importe évidemment au plus haut point. Alors que dans le contexte où s’inscrit le projet de loi, nous avons affaire, en tendance, à un mouvement de transfert de la procréation naturelle, avec tout ce qu’elle requiert et implique, vers un registre strictement technicien. On n’en est encore qu’à la reproduction, déjà sélectionnée et possiblement “améliorée”, mais on est au seuil de la production tout court, puisque la maîtrise de l’ADN que nous promet la génétique devrait nous permettre d’« éditer » des enfants. Autant dire que l’âme, principe formel du corps, n’est autre que notre patrimoine génétique. Prendre le pouvoir sur lui revient à cueillir le fruit de l’arbre de Vie. Comme l’écrit Max More, fondateur des extropiens et pionnier du transhumanisme : “Nous ne serons plus esclaves de nos gènes. On prendra en charge notre programmation génétique.”


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Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? Que nous sommes en voie de rompre notre ancrage dans la nature. Et cela se passe au beau milieu d’une crise écologique majeure, le clin d’œil du calendrier ayant voulu que le 24 septembre, jour de lancement du débat sur la loi de bioéthique à l’Assemblée nationale, le président Macron fasse un beau discours sur l’urgence écologique à l’ONU, Greta Thunberg ayant fait son show la veille. Dans un “même temps” typiquement macronien, mais proprement schizophrène, les lycéens défilent dans la rue au nom du slogan “Pas de nature, pas d’avenir !”, tandis que l’on nous concocte un dispositif qui rompt avec la nature pour nous assurer un avenir radieux. 

« À bas la nature »

Et pourtant cette nature que l’on répudie est en nous, en tant qu’êtres vivants dont l’existence dépend d’un engendrement. Mais nous la posons à l’extérieur de nous-mêmes pour en faire le champ d’intervention de la technoscience, présumée toute-puissante. Ce qui veut dire que pour pouvoir créer, il ne faut pas engendrer. Tel est le sens de la Lettre d’adieu à la Mère Nature de Max More, datée de 1989. À la “Mère Nature” il faut substituer la “Mère Machine” (une trouvaille du groupe de réflexion “Pièces et main-d’œuvre”). Y fait écho l’un des slogans entendus en 2013, lors des polémiques concernant le “mariage pour tous” : “À bas la nature !”

Dans le cas de la France, cela conduit à réclamer de l’État qu’il se comporte en Big Mother pour assurer la mise en œuvre des techniques disponibles, au nom de demandes qui relèvent non du « droit de », mais du « droit à », c’est-à-dire de droits créances et non de droits libertés — bref, de droits du désir.  

L’enfant-projet, une construction technique

En dépit du caractère utopique de bien des projets, le processus de mécanisation par désincarnation est déjà bien avancé. Séparés physiquement ou symboliquement des corps, gamètes et utérus sont utilisés à titre d’éléments et de fonctions privés de chair, pour être assemblés en laboratoire comme on le fait dans le jeu de Lego, afin de produire un embryon. Lequel sera plus tard, selon ce que l’on aura fait de lui, un enfant « comme les autres » ou « pas comme les autres », mais dans tous les cas de figure un être humain à part entière — heureusement pour lui. 



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Sauf qu’il sera le fruit d’un « projet parental » qui, comme l’implique son intitulé, n’est autre qu’un projet de production technique, comme c’est le cas d’un projet de construction de maison. Or s’il n’y a rien de plus légitime que le désir d’enfant, rien de plus légitime que d’exprimer sa joie quand il vient au monde, bien vivant et en bonne santé, et si, en l’état actuel de la PMA, la grande majorité de ceux qui y ont recours ne demandent rien de plus, il faut aussi voir la part d’ombre et de menaces que recèle la funeste notion de « projet parental ». Car à la grande différence de la procréation naturelle, où l’on choisit la personne avec laquelle on désire faire un enfant, on a affaire ici à une demande issue du désir qui se transforme en commande adressée à la technique. 

Du désir d’enfant au désir d’objet

Le projet parental est donc l’expression d’une volonté subjective totalement libre de ses choix, et dont le moteur est le désir. Un désir qui ne peut plus être simple « désir d’enfant », qui ne laisse normalement d’autre choix que de faire ce qu’il faut pour espérer en avoir un, quel qu’il soit. Car en posant l’enfant comme un objectif, réalisable par des moyens techniques, on fait du désir d’enfant un désir d’objet, de nature typiquement consumériste. Et la logique du désir d’objet implique la toute-puissance des auteurs du projet, sitôt librement embarqués dans une procédure de PMA qui ouvre sur quantité de choix possibles.



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À commencer par le choix de la formule française, très restrictive jusqu’à ce jour, ou de céder aux sirènes des laboratoires qui assurent le choix des donneurs sur catalogue, voire celui du sexe de l’enfant, en attendant mieux (bébés à trois parents ou plus, ou génétiquement modifiés ; clonage d’embryons destinés à servir de pièces et organes de rechange, etc.). Il faudra ensuite assumer les choix que rend possible le screening génétique — aujourd’hui autorisé en cours de grossesse, alors que la technique permet de faire bien le ménage avant. Enfin de décider du sort des embryons produits par surcroît, qu’ils soient congelés pour cinq ans, donnés à d’autres ou à la recherche, ou qu’ils finissent leur misérable petite vie au titre de déchets hospitaliers. 

En image : ils ont participé à la manifestation du 6 octobre
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