Le jeune enfant possède cette faculté incroyable de s’émerveiller de tout. Mais que se passe-t-il lorsqu’il grandit ? Sa capacité d’émerveillement, qui suppose lenteur et observation, semble avoir disparu, pour laisser place à la frénésie : frénésie des rythmes de vie, frénésie de consommation, frénésie numérique. Comment préserver, dans un environnement de plus en plus agité, sa propre capacité à s’émerveiller ?
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« Cette simplicité de l’âme, nous consacrons notre vie à l’acquérir, ou à la retrouver si nous l’avons connue, car c’est un don de l’enfance qui le plus souvent ne survit pas à l’enfance… Une fois sorti de l’enfance, il faut très longtemps souffrir pour y rentrer », fait dire Georges Bernanos à la Prieure du Dialogue des carmélites, considéré comme son testament spirituel. Pour l’écrivain catholique, la sainteté consiste à se réapproprier, au terme d’un long cheminement intérieur, cette disposition de l’âme avec laquelle nous sommes nés et que nous avons perdue en grandissant, caractérisée par l’innocence, la simplicité, la joie, l’abandon, et l’émerveillement. C’est ce qu’il appelle “l’esprit d’enfance”. Défi de toute une vie, qu’il exprime magnifiquement dans Les grands cimetières sous la lune : « Qu’importe ma vie ! Je veux seulement qu’elle reste jusqu’au bout fidèle à l’enfant que je fus ». Une des clés résiderait donc dans notre capacité à s’émerveiller, à la manière des petits enfants. Voici quelques pistes pour y arriver.
1Réapprendre à recevoir le monde comme un cadeau
« L’enfant n’a pas besoin de contes de fées. La vie est, d’elle-même, suffisamment intéressante. Ce qui amuse l’enfant de sept ans, c’est de savoir que Tommy a ouvert la porte sur un dragon. Mais pour l’enfant de trois ans, c’est suffisamment amusant de savoir que la porte se soit ouverte », écrivait G. K. Chesterton. Il soulignait par-là la capacité innée chez le petit enfant à s’émerveiller devant une réalité considérée comme banale par l’adulte. Revenir à l’esprit d’enfance, c’est réussir à voir en toutes choses un don et réaliser que ce qui est aurait tout aussi bien pu ne pas être.
« Papa, pourquoi la pluie descend et ne monte pas ? » Le genre de question que les parents connaissent bien puisqu’ils se trouvent souvent désarmés face à ces remarques qu’ils jugent plus ou moins saugrenues voire carrément absurdes. C’est l’exemple que donne Catherine L’Ecuyer, docteur québécois en sciences de l’éducation et psychologie, dans son ouvrage Cultiver l’émerveillement (Eyrolles). « Quand notre enfant de deux, trois ou quatre ans nous bombarde de questions en apparence illogiques, ce n’est pas qu’il souhaite obtenir une explication. Ce n’est pas non plus par désir de changer l’ordre des choses. C’est simplement sa façon d’admirer une réalité qui est, et qui aurait pu tout aussi bien ne pas être », précise-t-elle. « Les jeunes enfants savent s’émerveiller parce qu’ils ne considèrent pas le monde comme acquis ; ils le reçoivent plutôt comme un cadeau. » Remettre en question une réalité connue, donnée, normale, se révèle être un bon moyen pour l’accueillir pleinement pour ce qu’elle est vraiment : un don.
2Explorer de nouveaux horizons
Aristote disait : « Tous les humains, ont, par nature, le désir de savoir. » 1500 ans plus tard, saint Thomas d’Aquin souligne que « l’étonnement est un certain désir de savoir ». S’émerveiller donc, c’est désirer savoir. L’émerveillement engendre la motivation nécessaire pour apprendre, connaître, découvrir. Chez le tout petit, c’est bien l’étonnement devant l’existence d’un jouet hors de sa portée qui va le pousser à l’atteindre. Chez le jeune enfant, c’est la fascination suscitée par la lente ascension d’un escargot sur un mur qui va l’inciter à l’observer. C’est encore l’émerveillement face à la parole qui le motive à prononcer des nouveaux mots.
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Mais ceci n’est pas qu’une affaire d’enfant. Jean Paul II citait, dans Fides et Ratio, la place et la force de l’émerveillement dans la recherche de la vérité que l’homme a à mener sur lui-même et sur le monde qui l’entoure : « Poussé par le désir de découvrir la vérité dernière de l’existence, l’homme cherche à acquérir les connaissances universelles qui lui permettent de mieux se comprendre et de progresser dans la réalisation de lui-même. Les connaissances fondamentales découlent de l’émerveillement suscité en lui par la contemplation de la création : l’être humain est frappé d’admiration en découvrant qu’il est inséré dans le monde, en relation avec d’autres êtres semblables à lui dont il partage la destinée. Là commence le parcours qui le conduira ensuite à la découverte d’horizons toujours nouveaux de connaissance. Sans émerveillement, l’homme tomberait dans la répétitivité et, peu à peu, il deviendrait incapable d’une existence vraiment personnelle ».
3Pratiquer la sobriété
« L’abondance, même de bonnes choses, fait qu’on les apprécie moins », faisait déjà remarquer Cervantes dans Don Quichotte. Remarque d’autant plus pertinente à l’ère de la surconsommation. La sobriété serait un remède pour préserver sa capacité d’émerveillement. Et cela semble logique. « Nous avons accoutumé nos enfants à obtenir chaque chose sans faire d’effort et avant même d’en ressentir le désir », déplore Catherine L’Ecuyer. « Le moyen le plus direct et le plus efficace d’étouffer l’émerveillement chez un enfant, c’est de lui donner tout ce qu’il veut avant même qu’il ait eu le temps de le désirer. Si l’on impose aucune limite à l’enfant ou qu’on lui permet un rythme de consommation effréné, on détruit son sens de l’émerveillement puisqu’il croira que tout lui est dû. »
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Elle prend l’exemple du goûter d’anniversaire où un enfant croulerait sous une avalanche de cadeaux, et les déballerait machinalement, dans une quasi-indifférence : « C’est que devant une telle abondance de cadeaux, l’enfant perd tout intérêt à leur égard… et c’est le début d’une spirale infernale vers une surconsommation sans fond. Il faudra ainsi déployer de plus en plus d’efforts pour épater l’enfant, avec des cadeaux toujours plus sophistiqués et plus coûteux. » Une telle spirale d’hyperconsommation n’est pas réservée aux seuls enfants.
4Réapprendre la patience
S’émerveiller demande d’adopter un autre rapport au temps. Si les enfants sont maîtres en la matière, les adultes, soumis à l’injonction ambiante de l’immédiateté, ont beaucoup plus de mal. Pourtant, l’auteur québécois rappelle que « tout ce qui a de la valeur met du temps à se développer. Une grossesse, une citrouille, un papillon, une amitié, l’amour… C’est en y mettant le temps, en espérant qu’elles arrivent à point, qu’on reconnaît l’effort que ces choses requièrent et qu’on les apprécie pour ce qu’elles sont. On peut alors s’émerveiller de leur existence même. »
5Observer la beauté de la nature
La Création offre une source inépuisable d’émerveillement. Et mieux, elle peut être le chemin d’accès à cette faculté oubliée. La nature « peut certainement redonner la faculté de s’émerveiller à quiconque l’a perdue », écrit Catherine L’Ecuyer. La nature, la beauté, le silence, sont autant d’expériences qui aident à retrouver l’émerveillement. Vous savez donc ce qu’il vous reste à faire si vous voulez retrouver l’esprit d’enfance : s’immerger en pleine nature et prendre le temps de l’observer. Une attitude qui vous mènera tout droit à la gratitude, autre qualité propre à l’enfance.
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Et alors, qui sait, peut-être réaliserez-vous ce vœu cher au poète allemand Friedrich Hölderlin : « Que l’homme tienne ce que l’enfant a promis » en détrompant la prophétie de Chesterton selon laquelle « notre monde ne périra jamais par manque de merveilles, mais uniquement par manque d’émerveillement ».