Dans son essai « Mon Précieux, bonne nouvelle en Terre du Milieu » (Cerf), le dominicain Philippe Verdin révèle le secret chrétien du « Seigneur des Anneaux ».
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Dans un entretien à Aleteia, le dominicain Philippe Verdin, auteur de Mon Précieux, bonne nouvelle en Terre du Milieu (Cerf), explique comment Le Seigneur des Anneaux s’inscrit dans la plus grande tradition chrétienne, tissée de récits de type mythologique. L’ambition de Tolkien selon lui ? « Nous suggérer que, même humbles et petits, nous pouvons… sauver le monde ! ».
Aleteia : L’arrière-fond chrétien du roman mythique Le Seigneur des anneaux est totalement ignoré du grand public. Comment le secret de cette œuvre, qui est le roman le plus vendu de l’histoire de la littérature, peut-il échapper ainsi à ses lecteurs ?
Philippe Verdin, op. : C’est un choix judicieux de Tolkien lui-même : laisser chaque lecteur deviner pourquoi ce roman et son monde nous touche tant, pourquoi nous avons l’impression fugace, en cheminant avec Gandalf et Aragorn en Terre du Milieu, que ces lieux imaginaires sont singulièrement familiers ? Pourquoi la quête de Frodon et de Sam nous tient tant à cœur ? Parce que Le Seigneur des Anneaux est inspiré par la culture chrétienne et que cette culture, même diluée, même inconnue, informe secrètement nos rêves, nos espoirs, nos terreurs, notre manière de juger ce qui est noble. La culture chrétienne est notre culture. Elle inspire des chefs-d’œuvre. Évidemment, en France notamment où la culture religieuse est fragilisée par une laïcité sourcilleuse, les discrètes et multiples références implicites de Tolkien à l’univers chrétien ne sont pas perçues.
Vous rappelez que cette heroic fantasy, imaginée au départ dans un univers de conte pour enfant, a totalement échappé à son auteur…
Comme je le déroule dans Mon Précieux, l’écriture du Seigneur des anneaux fut une aventure ! Tolkien consacra douze ans à ce roman qui va paraître prochainement dans la prestigieuse collection de la Pléiade, la bibliothèque des classiques. Au fur et à mesure qu’il avançait dans ce qui au départ ne devait être qu’une nouvelle aventure de hobbits, ces curieux semi-hommes qu’il avait inventés, la question du mal s’imposa à lui. Car il y avait ce fichu anneau ! Il recueillait tout le mal en réserve sur la terre du Milieu. D’où venait-il ? Pourquoi suscitait-il la convoitise, la jalousie, l’orgueil ? Comment des êtres aussi petits que les hobbits, précipités dans un mode de titans, pouvaient-ils lui résister ? Tolkien développa une profonde réflexion sur les antidotes au mal que sont le courage, la confiance, la petitesse…
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Le mythe, n’est-ce pas plutôt une tentative païenne d’expliquer le monde et de lui donner un sens ?
Dieu a choisi de se révéler aux hommes par une histoire. La Bible raconte cette histoire. Tolkien, catholique fougueux, intelligent et persuasif, est parvenu à faire comprendre à son ami C.S. Lewis, le futur auteur de Narnia, que l’histoire de Jésus, enfant-Dieu, innocent mis à mort et ressuscité, était le plus beau mythe dont on puisse rêver, mais qu’en plus, c’était un mythe devenu réalité ! Il y a des mythes chrétiens, on peut même avancer que les mythes les plus féconds trouvent leur origine dans la Bible, l’histoire matrice de toutes les histoires. Il n’y a donc pas d’opposition entre le concept du mythe, un récit qui raconte une vérité essentielle, et la tradition chrétienne, tissée de récits de type mythologique. Le père Louis Bouyer, ami de Tolkien, l’un des plus grands théologiens catholiques français du XXe siècle, a montré comment les mythes autour du cycle de la Table ronde, fondateurs de la culture occidentale, étaient de merveilleux mythes chrétiens. Comme par hasard, cet oratorien était un ami de Tolkien…
“Tolkien veut nous faire prendre conscience que la nature et la poésie nous en apprennent plus sur nous-mêmes […] que le monde de l’industrie et du profit.”
Vous écrivez que Tolkien « veut nous faire prendre conscience d’un certain nombre de phénomènes qui se manifestent autour de nous, d’un certain nombre de sentiments qui s’emparent de nous » : que cherche-t-il à nous montrer ?
Il cherche à nous faire découvrir avec un étonnement admiratif nos aspirations à la beauté, au bien, au juste. Il cherche à réveiller nos élans chevaleresques. Il cherche à nous suggérer que, même humbles et petits, nous pouvons… sauver le monde ! Il veut également nous faire découvrir le monde merveilleux qui peut naître dans notre imagination grâce aux suggestions de son univers fabuleux. Il veut nous faire prendre conscience que la nature et la poésie nous en apprennent plus sur nous-mêmes et sur la vérité de notre destinée que le monde de l’industrie et du profit. C’est un rêveur catholique sous la forme écolo-conservateur…
Comme dans tous les grands mythes, l’histoire se présente comme une tension vers le bien. Dans le monde chrétien, le mal est une absence de bien, il n’est pas voulu pour lui-même. Retrouve-t-on cette approche du mal dans l’œuvre de Tolkien ?
Dans la tradition thomiste, en effet, le mal est une absence de bien. C’est exactement ce qu’éprouvent les créatures de la Terre du milieu attirées par le mal qui émane de l’anneau magique : elles deviennent dépendantes et inassouvies. L’absence… Rien ne peut combler leurs désirs. Bilbo se sent diminué lorsqu’il ne porte pas l’anneau, alors précisément que l’anneau est en train de lui dévorer le cœur. Gollum n’est jamais rassasié. Saroumane devient mégalomane, il n’a jamais assez d’honneur et de pouvoir. Dans ses Lettres, Tolkien dit en souriant que son Précieux à lui n’est pas un anneau maléfique qui le rend éternellement insatisfait mais son Précieux c’est l’eucharistie, qui le comble. « Celui qui mange de ce pain n’aura plus jamais faim » promet le Christ !
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Dans Le Seigneur des anneaux, dites-vous, les femmes sont un antidote au mal, et le monde est sauvé par les petits : racontez-nous cela…
J’ai envie de vous renvoyer plutôt à la lecture de mon livre ! Mais il est vrai que si les femmes semblent jouer un rôle secondaire dans l’épopée, leurs actions sont rares mais déterminantes. C’est comme dans l’Évangile ! Elles sont la présence qui réconforte, qui rend l’espoir, qui encourage. Elles résistent mieux à l’attraction de l’anneau parce qu’elles se battent pour la vie. Quant aux petits, ils donnent peut-être la plus belle leçon du Seigneur des anneaux : ils vivent les béatitudes, ils sont prêts à tout risquer pour sauver la terre du Milieu, ou plus prosaïquement pour aider leurs amis. Ce sont les femmes et les petits qui vont vaincre Sauron, le serviteur du mal.
Mon Précieux, Bonne nouvelle en Terre du Milieu, Fr. Philippe Verdin, op, Cerf, octobre 209, 180 pages, 18 euros.