Joker est l’anti-superhéros d’une cité où l’on ne peut compter sur personne : il est l’archétype de l’enfant sans père, déconstruit, aspiré par la violence sans limite.
Pour qu’Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l’avenir d’Aleteia deviendra aussi la vôtre.
*don déductible de l’impôt sur le revenu
Joker, le film sur les origines de l’ennemi juré de Batman est une œuvre terrifiante et immense à la fois. La réalisation de Todd Philipps doublée de la performance de Joaquin Phoenix dans le rôle-titre est une œuvre troublante, aux multiples messages sur la réalité de notre société. C’est en particulier, de manière surprenante, un film sur la paternité.
L’enfant rejeté par son père
Arthur Fleck, alias le Joker, est l’archétype de l’enfant sans père, blessé par tout ce qui aurait pu remplacer le père absent. Dès le début du film, on voit un homme fragile, cassé par la maladie, vivant chez sa mère, vieille et fragile. La relation avec sa mère est ambiguë : il la baigne, il s’allonge à côté d’elle, sur son lit, pour regarder la télévision… Presque comme un mari, ce qui donne une relation œdipienne : le père est absent, le fils le remplace… Mais Arthur possède tout de même une figure masculine, un père rêvé : le présentateur vedette de la télévision, Murray Franklin (Robert de Niro). On le voit même s’imaginer siéger dans le public, être remarqué par son héros qui l’invite sur scène et le prend dans ses bras en lui disant : « J’aimerais tellement avoir un fils comme toi. » Murray est sa seule image paternelle.
Lire aussi :
« Joker », un chef-d’œuvre fou, terrifiant et poignant
Or Arthur va connaître une descente aux enfers. Dans une Gotham — la ville mythique sombrant dans la misère où on ne peut faire confiance à personne — Arthur va découvrir la vérité, ou presque, sur son histoire : sa mère lui apprend que l’homme le plus riche de la ville, Thomas Wayne, est son vrai père. Celui-ci est aussi le père de Bruce Wayne, le futur Batman. Or Wayne refuse de reconnaître Arthur Fleck. Il affirme que sa maman est folle, qu’elle affabule et qu’Arthur est adopté. Pire, quand Arthur va parler à Thomas Wayne de son histoire, le milliardaire le rejette, le méprise et même… le frappe ! Est-il son fils ? Thomas Wayne a-t-il falsifié les papiers d’adoption retrouvés par Arthur ? Nous ne le savons pas, même si un document semble prouver une liaison entre Wayne et Mme Fleck, sa domestique.
L’anti-superhéros
Arthur est blessé par le rejet de son possible père. Thomas Wayne est un personnage odieux, arrogant et dur. Arthur découvre aussi le calvaire de son enfance, avec les traitements épouvantables que lui a fait subir un compagnon de sa mère. Sa maladie mentale viendrait des coups qu’il a subi et que sa mère a laissé faire. Celui qui aurait pu être un père de substitution, un beau-père, est aussi un monstre…
Arthur est un homme sans père… et sans mère car il se sent trahi par elle. Alors il change d’identité et devient Joker, pseudonyme inventé à partir d’une phrase prononcée par Murray Franklin, la seule image paternelle qu’il a. Et quelle déconvenue ! Lui qui veut se lancer dans le stand-up donne une prestation dans un bar… qui se retourne contre lui : Murray Franklin l’invite sur scène, Arthur réalise son rêve… qui devient un cauchemar car Murray se moque de lui. Quand Joker se rend compte que son père l’humilie, il le tue en direct devant les caméras.
Toutes ses images paternelles potentielles, symboliques ou charnelles, n’ont pas fait grandir Arthur. Lui, l’enfant en quête d’un père, n’a pas pu combler le vide de sa vie d’orphelin. Joker est l’anti-superhéros d’une cité où l’on ne peut compter sur personne. Gotham est le lieu de la culture de mort, sans père pour se construire, conduisant à la misère, la désolation : la folie de Joker.
Une figure paternelle par défaut
Joker est l’antithèse la plus parfaite de Batman, mais du Batman de Christopher Nolan. En effet, Todd Philipps semble avoir inversé les deux personnages. Le Bruce Wayne de Nolan dans Batman Begins est un orphelin, comme Arthur Fleck. Il a perdu ses parents à l’âge de douze ans, et il est élevé par Alfred, son majordome. Mais Bruce à une forte image de son père et il a d’autres images masculines qui vont le construire sans faire d’ombre à son père, irremplaçable. Le Thomas Wayne de Nolan est en effet l’inverse de celui de Todd Philipps : milliardaire, il est un héritier et il laisse son empire administré par des businessmen. Thomas est un philanthrope, il est médecin et il préfère soigner les pauvres de Gotham que faire des affaires. Il fait aussi du bien avec sa fortune en tentant d’unifier la ville par des transports en commun. Bruce a l’image d’un père bienfaiteur, lui apprenant à aider les autres et à toujours se relever quand il tombe. Quand Thomas et son épouse sont abattus sous les yeux de Bruce, les derniers mots de Thomas sont pour son fils : non pour demander de l’aide, mais pour le réconforter. Tout le film est habité par le souvenir bienveillant, juste et rassurant de Thomas. On est loin du milliardaire arrogant de Todd Philipps. Bruce vit avec ce souvenir édifiant et il est soutenu par Alfred, qui entretient la mémoire du père et qui l’élève en restant à sa place, sans jamais devenir un père de substitution… Même si sa présence est profondément paternelle.
Vengeance ou paternité
Joker, privé de toute racine et de tout repère devient un vengeur violent et sans limite. Bruce Wayne, chez Nolan, veut lui aussi se venger. Il découvre la ligue des ombres, organisation armée vengeresse, qui fait de lui un ninja contrôlant sa peur et sa force… Mais en devenant maître de lui, il refuse la vengeance et le meurtre grâce à l’exemple qu’il a reçu de son père : Thomas était un médecin qui sauvait des vies. Bruce refuse donc de tuer ce qui le pousse à rompre avec la ligue des ombres. Ainsi, sa blessure est guérie par l’apprentissage de la maîtrise de soi. Il devient alors Batman, un justicier masqué qui combat pour le bien sans tuer ses adversaires. À sa manière il poursuit l’œuvre de son père pour la cité.
Contrairement à Joker qui tue ceux qui lui font du mal sans réellement contrôler la situation. Batman est un homme construit, bien que blessé, grâce à la présence mémorielle puissante d’un excellent père. Joker quant à lui est un homme déconstruit, détruit, car toutes ses images paternelles se sont avérées fausses et monstrueuses.
Joker est l’histoire d’un fils blessé car sans père et sans racine.
Joker, de Todd Phillips, avec Joaquin Phoenix et Robert De Niro, 122 minutes, sorti le 9 octobre 2019.