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Quand le conte se fait théologique

Ombe d'une jeune fille marchant sur chemin
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Bernard Plessy - publié le 24/10/19
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De tous les genres littéraire le conte est le plus riche. Ouvert à tous les registres, il sait trouver le langage qui convient à tout, y compris à la théologie.

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« Ne nous laisse pas entrer en tentation. » C’est une prière à notre Père. Dieu peut éprouver, Il ne tente pas. Celui qui tente, c’est Satan. Il a osé tenter Jésus, par trois fois. Nous, il nous tente tant et plus, c’est sa principale activité. Comment notre Père exauce-t-il cette prière ? Quelques épisodes du Nouveau Testament laissent entrevoir une réponse. Celle de Jésus lui-même à Simon Pierre : « Simon, Simon, voici que le Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le froment, mais moi j’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas. » Passer au crible ou au van, c’est secouer très fort. Je suis vanné. Et c’est Jésus lui-même qui intervient auprès de son Père pour que la foi de Simon reste solide comme son nouveau nom, Pierre. — Paul de Tarse le raconte aux Corinthiens : trois fois il a demandé à Dieu de le délivrer d’une écharde en sa chair. Une tentation ? Il se peut : « un ange de Satan pour me souffleter ». Réponse du Seigneur, définitive : « Ma grâce te suffit. »

Dieu veille à ce que nous ne soyons pas tentés au-delà de nos forces. Nous le croyons. Mais le secours de la grâce est une réponse théologique, un peu abstraite pour nous. Ce qu’il faut à notre nature, dont « la chair est faible », c’est une assistance plus sensible. Comme si, en nous retournant, nous sentions une bonne puissance prête à intervenir. Or les bonnes puissances existent. Nous les connaissons : la Vierge, les anges, les saints. Est-ce encore trop loin de nous ? L’Église, bonne Mère, fait comme avec les enfants : pour nous les montrer à l’œuvre, elle a recours à des histoires. Quoi ! De la théologie aux contes ? Mais oui. Les Évangiles sont pleins de contes : ce sont les paraboles. Au Moyen Âge les prédicateurs usaient d’exempla, petites histoires pour grandes leçons. Aujourd’hui, nous avons des contes.

Les anges et les saints sont toujours là

Que l’on ne s’y trompe pas. De tous les genres, le conte est le plus riche. Il est à l’origine de toute littérature. Ouvert à tous les registres, capable des extrêmes, d’inépuisables tonalités, il sait trouver le langage qui convient à tout ce qu’on peut attendre de lui. Il y a donc des contes chrétiens. Chez leurs meilleurs auteurs, Marie Noël par exemple qui a rédigé de très beaux contes de Noël, on peut voir comment la Vierge, les anges, les saints sont toujours là pour nous aider à ne pas entrer en tentation, à tout le moins à n’y pas succomber. Ce sont eux qui se chargent d’exaucer la prière à notre Père.


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Je voudrais en donner un exemple puisé dans Le Trésor des Contes d’Henri Pourrat, qui en contient nombre d’autres. On verra pourquoi ce choix. Il s’agit du Conte de l’Ange gardien. Dans un château était une servante, « belle comme blanche fleur de bouquet ». Et sage. Mais elle avait 16, 17 ans… Un jour passe un cavalier sous les fenêtres du château, « culotte d’écarlate et plume au chapeau ». Il vit cette servante, il sut s’en faire voir. Passa, repassa, lui parla. « Il lui a donné rendez-vous pour la tombée du jour sur l’autre rive de l’étang. » Et la belle, entre chien et loup, a pris l’allée de l’étang. Soudain, sur le bord de l’eau, elle a vu venir à elle, « dans le gris du jour failli », une clarté d’aurore. « Elle a eu peur. Elle a manqué de rebrousser chemin. Sa folie cependant lui roulait dans les veines. » Elle a continué d’avancer. Soudain devant elle a vu son bon ange. Il lui barrait la route. Mais ce soir-là personne ne la lui barrerait. « Elle est sortie de l’allée, elle a pris le sentier qui court en contrebas, sur la berge même de l’étang. » L’ange aussitôt a paru dans le sentier. Laissons la parole au conte.
Alors elle a pris son chemin sur les pierres, sur ces galets que l’eau vient battre. Et l’ange a paru là aussi. La malheureuse alors, s’écartant un peu plus, — tant pis ! — a marché dans l’eau même… Mais tout à coup, elle y a perdu pied. Elle a roulé, s’est abîmée au creux des ondes…
Son ange de lumière avait choisi pour elle. Mieux valait encore à la belle cette brusque noyade que la faute, et le long malheur.

Terrible conte ! Jusqu’où peut aller le pouvoir d’un ange gardien ? Celui-là n’a-t-il pas outrepassé sa mission ? Beaucoup d’événements nous demeurent cachés — du moins leur sens. La noyade de cette fille, c’est un accident, un fait divers. Le conte nous révèle la vérité. Dans sa folie, cette fille ne pouvait plus choisir. L’ange l’a fait pour elle : la mort en cette vie plutôt que la mort éternelle.


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Qui ne mesure l’audace d’un tel conte ? Il dit que l’ange qui a charge de notre âme peut s’en faire le sauveur au prix de notre vie en ce monde. — Contre notre propre vouloir. Aux dépens de notre liberté. Allons au fond des choses : il s’agit là de l’instable équilibre entre le libre arbitre et l’efficacité souveraine de la grâce. Cette question a suscité une querelle qui a déchiré l’Église pendant plus de deux siècles : le jansénisme. Nous avions quitté la théologie pour le conte. Le conte nous ramène à la théologie, et nous met au cœur même du mystère.

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