Quand les autosatisfaits s’affichent partout sans retenue, le timide n’apparaît pas sans vertu. Mais la timidité qui vous paralyse demeure une souffrance et un handicap. À celui qui manque de confiance en soi, la foi est une libération.
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Dans un monde où, bien souvent, les malotrus règnent en maîtres absolus, le timide a bien du mal à trouver sa place. Il n’est pas du genre à jouer des coudes pour obtenir les premières places et à hausser la voix pour se faire entendre. Il n’est pas comme certains élus qui s’identifient avec la République qui leur a donné mandat ou comme certains ecclésiastiques qui n’hésitent pas à s’honorer eux-mêmes pour leurs bonnes actions réelles ou supposées. Il demeure toujours sur le perron, dans le narthex, derrière la toile de tente comme Sarah la femme d’Abraham — plus curieuse d’ailleurs que timide, mais cela est une autre histoire. À la moindre blessure, il se réfugie dans sa coquille comme le bernard-l’ermite, sans posséder pour autant des pinces identiques pour se défendre. Il est toujours pris par surprise car, s’il se prépare généralement à esquiver les morsures des chiens policiers, il est trop naïf pour se rendre compte que ce sont les bichons de salon qui sont les plus hargneux et qui mordent sans être commandés de le faire !
Une certaine innocence
Il faut éprouver de la pitié pour le timide, dont l’existence quotidienne est un enfer, et aussi de l’admiration lorsque cette timidité le conduit à faire effort plus que d’autres pour surmonter cet obstacle et à développer une vie intérieure nécessairement plus riche que celle de l’homme qui étale sans cesse ses entrailles à la vue de tous. La timidité, si elle est contrôlée, permet de conserver une certaine innocence que l’audace ratisse au plus bas. Si elle disparaît totalement, elle peut laisser la place à un extraordinaire orgueil, à une ambition démesurée et incontrôlable, tel Julien dans Le Rouge et le Noir de Stendhal, lorsqu’il aborde enfin cette capitale tant désirée :
« Quelle pitié notre provincial ne va-t-il pas inspirer aux jeunes lycéens de Paris, qui, à quinze ans, savent déjà entrer dans un café d’un air si distingué ? Mais ces enfants, si bien stylés à quinze ans, à dix-huit tournent au commun. La timidité passionnée que l’on rencontre en province, se surmonte quelquefois, et alors elle enseigne à vouloir. En s’approchant de cette jeune fille si belle, qui daignait lui adresser la parole, il faut que je lui dise la vérité, pensa Julien, qui devenait courageux à force de timidité vaincue. »
Le timide ne doit pas loucher d’envie vers un tel modèle qui le conduirait non pas à surmonter sa détresse mais à se gonfler de prétention.
Un équilibre délicat
L’équilibre entre timidité et arrogance est délicat, cet équilibre qui permet une assurance à bon escient, adaptée aux circonstances. Il est tellement regrettable et malheureux que le timide perd tous ses moyens lors d’un examen ou d’un entretien, alors que, dans ces cas-là, mettre en valeur ses connaissances et ses qualités n’aurait point été un manque d’humilité. En revanche, il est plutôt heureux qu’il sache demeurer en retrait lorsque des hurluberlus entrent en compétition pour avoir le premier et le dernier mot.
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Le timide ne risque pas de tomber dans le travers ainsi souligné de façon amusante par Alphonse Allais dans sa chronique parue dans Le Chat noir : « Il est toujours avantageux de porter un titre nobiliaire. Être de quelque chose, ça pose un homme, comme être de garenne, ça pose un lapin. » Le timide croit qu’il n’est de rien, qu’il n’est capable de rien. Dans un monde où le complexe de supériorité est fort bien porté à la boutonnière, il est en constant décalage puisqu’il souffre du complexe inverse.
La timidité transfigurée
L’évangéliste saint Luc est celui qui rapporte à plusieurs reprises quel est le fruit de la timidité transfigurée par la communion avec Dieu. Les deux épisodes principaux sont ceux de la rencontre de Zachée avec Jésus à Jéricho, et la parabole fameuse de l’enfant prodigue. Dans le premier cas (Lc 19, 1-10), Zachée souffre de sa petite taille, sachant qu’il est la risée de beaucoup et que, de plus, il est publicain, donc homme méprisable et impur. Notre Seigneur lève les yeux vers lui, alors qu’il s’agrippe à son sycomore dans lequel il est monté sur le passage du Maître. Sa timidité est récompensée, plus que l’assurance de ceux qui se sont précipités autour de Jésus et qui essaient en vain de l’inviter chez eux. Notre Seigneur choisit la maison de la timidité pour y prendre son repas.
Dans le second cas (Lc 15, 11-32), il est rapporté que le fils cadet mourant de faim après avoir dilapidé son bien en terre étrangère, n’ose pas même demander à manger la nourriture des porcs. Cette timidité le conduit à se dépasser et à espérer l’impossible : le retour chez le père et l’accueil comme si de rien ne s’était passé. Il est ainsi récompensé. Et puis, dans l’Évangile selon saint Matthieu (Mt 9, 20-22), se produit la guérison de la femme affligée d’une perte de sang depuis douze ans. Contrairement à d’autres infirmes et malades, elle n’a pas la témérité de demander au Maître d’être guérie. Subrepticement, elle touche, par derrière, la frange de son manteau, et elle est délivrée de son mal, grâce à sa foi.
Trouver la confiance en soi
La foi peut donc aider à dépasser la timidité. Il faut miser sur cette force lorsqu’on est affecté par cette faiblesse. Saint Thomas d’Aquin fut surnommé, par ses condisciples de Cologne, à l’école de saint Albert le Grand, “le bœuf muet”, à cause de sa stature imposante et de son caractère plus timide que taciturne. Le Docteur angélique demeura toute sa vie extrêmement réservé, mais il sut dépasser cette timidité excessive grâce à la foi qui l’habitait et qui le poussa à enseigner la vérité. Si donc des parents ont, parmi leurs enfants, un timide, il ne faut point brusquer les choses, sous peine de voir le problème empirer mais user de délicatesse et de patience afin de donner au timide confiance en lui pour les petites choses, sans pour autant lui inculquer un désir de puissance et le convaincre qu’il est meilleur que tous les autres.
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La timidité infantile est chose naturelle car elle surgit surtout lorsqu’une nouvelle situation apparaît. Elle est simplement un passage obligé dans l’apprentissage des relations humaines. En revanche, si le phénomène perdure avec l’âge et si toute occasion, y compris les plus familières, est cause de timidité paralysante, il est nécessaire d’aider la personne à trouver une solution pour ne pas être handicapée dans la vie ordinaire. La psychologie née à la fin du XIXe siècle a trop vite classé la timidité parmi les pathologies à soigner. Certes, elle est une épine dans le pied de celui qui en souffre, mais, en même temps, l’expérimenter est une invitation à une humilité plus grande.
Georges Bernanos, dans le Journal d’un curé de campagne, dresse le portrait d’un jeune prêtre zélé, gauche et timide qui, pourtant, atteindra les marches de la sainteté. Cet esprit simple s’entend dire par le curé de Torcy : « La parole de Dieu ! C’est un fer rouge. Et toi qui l’enseignes, tu voudrais la prendre avec des pincettes, de peur de te brûler, tu ne l’empoignerais pas à pleines mains ? Laisse-moi rire. Un prêtre qui descend de la chaire de Vérité, la bouche en machin de poule, un peu échauffé, mais content, il n’a pas prêché, il a ronronné, tout au plus. » Une caractéristique du timide est qu’il n’est jamais content de lui, contrairement au reste du monde. Cela est plutôt rassurant, à plus forte raison au sein de l’Église. Les âmes habituées au succès, aux louanges, sont rarement celles qui enseignent la Vérité qui dissipe toute timidité.
Il ne s’agit pas de demeurer dans son terrier en se convainquant que personne ne peut me comprendre, de cultiver la timidité comme un art de vivre qui serait supérieur aux autres, ceci par dépit, mais de savoir utiliser ce qui est juste distance dans la distance pour ne pas céder aux mirages du monde, à ce qui brille et qui n’est point d’or. La timidité n’est pas qu’un manque. Elle peut être riche et productive si elle se tourne vers la réflexion, la méditation, la prière. Combien de timides dans l’ombre des cloîtres, là où la contemplation est plus fructueuse que toutes les actions extraordinaires de ceux qui ne manquent point d’audace et d’assurance !
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