Les Français qui ont défilé contre « la PMA pour toutes » n’ont pas manifesté un conformisme catholique, mais la liberté de la rationalité dans un débat qui doit rester ouvert.
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Je ne sais pas combien il y avait de manifestants le 6 octobre entre les jardins du Luxembourg et la gare Montparnasse, et — pour ne rien cacher — ça ne me tourmente pas. Je suis au moins sûr qu’il y avait plus de monde que les organisateurs et/ou les spécialistes de la préfecture la police ne l’avaient prévu. Il a en effet fallu improviser un itinéraire de délestage, avons-nous compris grâce aux consignes déversées par des haut-parleurs invisibles et pas toujours audibles. Je garderai le souvenir d’avoir passé plus de temps à attendre de pouvoir commencer à avancer qu’à marcher par à-coups pour finir par apercevoir au loin le podium où se succédaient divers orateurs que nous ne pouvions voir que sur un écran géant au bord d’un boulevard. J’ai été en tout cas impressionné de n’entendre personne rouspéter ni se plaindre. Et je n’ai pas vu ni entendu depuis parler ni de casse ni de blessés.
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Débats truqués et tronqués
Sans doute y avait-il dans toute cette foule pas mal de catholiques. J’en ai retrouvé un certain nombre que je connaissais comme tels. Mais il n’y avait pratiquement personne autour de nous qui l’affiche soit par du discours ou des slogans, soit par un signe extérieur — du moins si l’on ne juge pas qu’être accompagné de plusieurs enfants très à leur aise équivaut à une confession de foi. Je ne sais pas si c’est par discipline ecclésiastique que tous ces gens étaient là. En ce qui me concerne, je peux dire que ce n’est pas uniquement ni même principalement par obéissance que je battais le pavé avec eux. Car j’avais deux motivations. Ma fidélité à l’Église les corrobore dans doute mais elle n’en est pas la source directe.
La première est que, depuis plusieurs mois, les débats autour du projet d’inscrire dans la loi le droit de fabriquer sur demande des enfants sans père s’avèrent truqués et tronqués. Nos princes actuels ont déjà pris la décision et disposent des moyens pour l’imposer quasi infailliblement, avec au parlement une majorité bien contrôlée et l’appui ou la complaisance d’une bonne partie de l’opposition. Les autorités scientifiques et même morales et religieuses sont bien invitées à s’exprimer, mais les voix dissidentes parmi elles ne constituent pas une force politique capable de remettre en cause le choix déjà fait en haut lieu.
Par-delà le rapport de forces
De surcroît, les médias donnent la parole surtout à celles et ceux qui soutiennent ce projet et répondent aux questions de journalistes et non de contradicteurs. On peut reconnaître que ce n’est pas là fatalement, de la part des professionnels de l’information, une volonté délibérée de faire pencher la balance d’un côté plutôt que de l’autre. Car il se trouve que les arguments en faveur de « la PMA pour toutes » reposent sur des constats simplistes, de l’ordre du témoignage, qui sont bien adaptés au style contemporain de la communication : d’une part la réalité de désirs sans doute sincères si ce n’est respectables d’être parent(s) ; d’autre part la possibilité pratique et technique de satisfaire ces désirs. On n’a pas la patience d’écouter les objections : elles paraissent trop spéculatives et déconnectées des exigences immédiates d’égalité et de non-discrimination à l’égard de particularités indéniables.
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Alors quand la discussion est ainsi escamotée au profit d’un rapport de forces assez brutal, il ne reste plus qu’à le manifester publiquement en faisant nombre dans la rue. L’idée n’est pas seulement — du moins de mon point de vue — de répondre à une pression d’autant plus puissante qu’elle n’est pas ouvertement violente par une contre-attaque plus franche. Il s’agit plutôt de réintroduire un peu de rationalité dans l’affaire, c’est-à-dire de libérer les consciences (dans tous les sens du terme) des conformismes qui les engourdissent. Et pour cela, il faut continuer à argumenter.
La norme et les lois
Il est sans doute inutile de reprendre ici tout ce qui a déjà été avancé et fort bien formulé sur les dangers que font courir les mesures envisagées (spécialement aux Bernardins le 16 septembre dernier par trois des plus éminents de nos archevêques). On pourrait cependant y ajouter une remarque qui n’a peut-être pas encore été assez prise en considération — et c’était ma seconde motivation.
C’est qu’avec « la PMA pour toutes » après le mariage entre personnes de même sexe (en attendant la GPA pour l’instant exclue sans justification claire), on entend normaliser des situations particulières, voire marginales au simple niveau statistique. Or cela revient, d’une certaine façon, à méconnaître ces différences. On peut bien sûr discerner dans ces revendications un aveu implicite que la norme pour l’être humain est de se marier et d’avoir des enfants. Mais ne détruit-on pas cette norme (qui n’est qu’empirique si l’on fait abstraction de la Révélation biblique) en l’absolutisant et en en faisant arbitrairement un droit qui nie des identités ?
La liberté et la lucidité chrétiennes
On peut dire que l’Église relativise cette norme sans du tout la dévaluer : elle la bénit dans le mariage qu’elle déclare indissoluble, mais elle ne l’applique pas à son clergé ni à la vie monastique, et elle ne rejette pas les homosexuel(le)s ni les « transgenre ». Ces personnes veulent-elles être respectées en vérité pour ce qu’elles sont ? Les reconnaître et les accueillir comme telles avec leurs spécificités n’est pas de la discrimination ! Le fond du problème posé par la banalisation de sexualités « minoritaires » est de modeler la loi non pas pour le bien du plus grand nombre, mais à partir de cas-limites, si ce n’est d’exceptions. Ce n’est certainement pas ainsi que l’on peut aider à (re)trouver des repères largement communs. Et à l’heure où l’on s’aperçoit, avec le dérèglement climatique, que l’humanité aurait tort de continuer à faire n’importe quoi pour son confort immédiat, est-il sage de promouvoir l’incohérence qu’est l’indifférence aux différences sexuelles ?
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Dans cette affaire, il est permis de se demander où sont les moutons de Panurge. Qui sont les plus aveuglément conformistes ? Sans doute pas les catholiques quand ils résistent à la bien-pensance ambiante, qui se montre apeurée de paraître intolérante en n’allant pas dans le sens d’un Progrès rendu possible par des avancées technologiques, mais auquel elle ne croit plus. Les croyants ne font pas de théologie et ne prêchent pas lorsqu’ils s’efforcent de raisonner lucidement sur ce qu’est une norme, sur le rôle des lois et de la paternité, ainsi que sur le respect des personnes dans leur diversité, y compris sexuelle. La foi n’est évidemment pas seule à encourager cette liberté par rapport aux idées reçues et à la prétention qu’a toujours eue le politique de régenter les mœurs. Il faut simplement espérer que cette indépendance d’esprit au service de tous ne restera pas isolée sur le terrain bien laïc où elle se s’exerce.