Connaissez-vous les néoruraux. Ce sont des citadins qui, à l’âge de la retraite, se disent comme Bouvard à Pécuchet : « Comme on serait bien à la campagne ! » Or, à peine arrivés, ils découvrent que leur choix ne va pas sans “nuisances”. Sonores en particulier. Dont le coq, cet animal si symbolique pour les chrétiens.
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À la campagne, les chiens jappent, les vaches meuglent, les moutons bêlent. Cette déconvenue contrarie parfois le choix de la vie rurale caressé depuis longtemps par d’anciens citadins. Or, aujourd’hui toute irritation se judiciarise. Ceux qu’il est convenu d’appeler les néoruraux intentent parfois un procès au coq du voisin, aux cloches du curé. Depuis peu au pestilentiel pesticide du paysan. Il leur faut une campagne aseptisée. Sans pollution sonore ni olfactive. Pour tout homme de bon sens, de tels titres dans la presse au-dessus de deux ou trois colonnes tiennent d’un canular assez réussi. Mais l’information récurrente est sérieuse. Les procès se multiplient, et les maires ou députés défenseurs de la campagne envisagent de faire classer son “patrimoine sensoriel” pour le mettre à l’abri. On se frotte les yeux. Mais non, ce n’est pas un énorme canular, comme ceux des Copains de Jules Romains, c’est sérieux. Ridicule, grotesque — mais sérieux.
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On peut, et il faut, signer des pétitions. On peut aussi plaider. Du moins fournir des arguments aux avocats. Pour le coq par exemple, très attaqué. Entre nous, le coq n’a pas que des qualités. N’allons pas trop chercher du côté des fabliaux, des Fables de La Fontaine, voire des Contes de Pourrat. Nous y trouverions, dressés sur leur fumier, des coqs arrogants, « incivils, peu galants, / Toujours en noise et turbulents », et même d’assez mauvaise vie. Et l’on se souvient que le coq n’a pas eu un très beau rôle lors du reniement de Pierre. C’était à son insu. Oublions tout cela.
La symbolique chrétienne pardonne tout au coq. Oiseau de l’aube, pourvu d’un cri vainqueur, elle ne voit en lui que ce guetteur qui annonce la lumière quand il fait encore nuit — le héraut de la Résurrection. Qui nous le dit ? De très anciens poètes latins, ruraux, de profonde campagne, qui avaient le sens des choses de la nature. Et de ce que chacune signifie dans l’ordre surnaturel, par le biais du symbole. Alors ils ont chanté le coq, louange et reconnaissance pour ses services. Et leurs poèmes ont fourni leur psalmodie aux moines, ruraux eux aussi mais qui se lèvent tôt, à matines ou à laudes.
Voici qu’il chante, le héraut du jour,
Le veilleur de la nuit profonde,
Lumière nocturne pour qui est sur les chemins,
Séparant la nuit de la nuit.
À son appel l’étoile du matin
Lave le ciel de la ténèbre.
À son cri la troupe des malfaisants
Abandonne les voies du maléfice.
Il faudrait citer plus avant cette hymne ambrosienne (d’époque et de facture de saint Ambroise). Elle est de toute beauté, elle dit tellement vrai sur l’aube qui ouvre chaque jour que fait le Seigneur. Rimbaud lui-même, dans sa terrible Saison en enfer, en pousse un cri de saisissement : « Au chant du coq, — ad matutinum, au Christus venit, — dans les plus sombres villes ».
Passe pour le coq, puisque c’est la nature, diront peut-être les néoruraux. Mais les cloches ! Ils se plaignent des cloches qui sonnent trop tôt. Au moment où ils se rendorment après le coq. C’est l’angélus. Il faut leur dire que ce n’est pas une fantaisie, un caprice : c’est une prière de reconnaissance qui rappelle l’avènement de notre Salut. L’ange annonce à une jeune fille du nom de Marie que, si elle veut bien, les temps sont accomplis pour la naissance d’un Enfant qui vient sauver les hommes. Fiat, dit-elle. Les cloches le font savoir trois fois le jour. À leurs tintements fuient les dieux païens, les démons regagnent l’enfer, les fées courent aux abris. Et ce sont les anges qui volent par les chemins. Les néoruraux retrouvent enfin le sommeil — sans savoir à qui ils le doivent.
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