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La patience, vertu de la charité

Giorgioa Vasari, Allegerie de la patience, 1542, Gallerie dell'Accademia de Venise.

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Jean-François Thomas, sj - publié le 01/10/19
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Aucun mouvement de l’âme ne semble moins naturel que la patience, souvent regardée comme de la mollesse. Les vrais patients, au contraire, sont courageux : ils connaissent le prix de l’attente et par charité, respectent le temps de la croissance. La patience est une vertu qui se cultive comme un champ, avec le secours de la grâce.

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Le grand Jean de La Fontaine termine ainsi sa célèbre fable Le Lion et le Rat : « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. » En apprenant par cœur les vers des morales de ces poésies, qui s’inscrivent définitivement dans la mémoire et façonnent ainsi des habitudes, l’enfant découvre que la patience, dont son jeune âge est si dépourvu, n’est point une faiblesse mais une vertu. Aucun mouvement de l’âme ne nous semble peut-être moins naturel que la patience, souvent regardée comme de la mollesse de caractère. L’avachissement et l’inaction, le manque de réaction face à ce qui est mauvais et néfaste ne sont certes pas patience. Les parents qui se figurent être patients parce qu’ils laissent leurs enfants libres de faire tout ce qu’ils veulent, quand ils le veulent et où ils le veulent, ne sont guère vertueux. Ce sont des lâches et des paresseux qui préparent le malheur de l’avenir de leur progéniture et qui, en attendant, empoisonnent la vie de tous en imposant leur marmaille aussi indisciplinée qu’une basse-cour sans coq !


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De patience à Passion…

Notre époque n’est guère favorable aux vrais patients, à ceux qui connaissent le prix de l’attente et qui respectent la croissance et l’avènement de toutes choses. Dans sa fameuse Iconologia publiée en 1643 (et traduit en français par Jean Baudoin) pour servir de modèles à tous les artistes, Cesare Ripa représente l’allégorie de la patience chrétienne comme une femme portant un joug sur ses épaules, les mains enchaînées et marchant pieds nus sur les épines. Parfois le joug est remplacé, tout naturellement, par la croix, puisque telle est la symbolique : l’homme doit être avant tout patient dans les épreuves de cette vie et il doit imiter en cela Notre Seigneur dans sa Passion. De patience à Passion, il n’y a qu’un pas qu’il est difficile de franchir si le cœur est en proie à la mollesse ou bien à la colère.

La patience de Dieu

L’invitation à la patience faite par le Christ dans son enseignement va toujours de pair avec un appel pressant à la conversion, sous peine de châtiments qui prendront tout le monde par surprise. Lorsqu’Il répond à des juifs qui lui rapportent un massacre opéré par Pilate sur des Galiléens, Jésus leur remémore un fait divers survenu à Jérusalem où la chute de la tour de Siloé avait tué un grand nombre de passants, pas plus innocents ou coupables que les autres hommes. Seule la véritable conversion protège de la punition éternelle. Seule la pénitence permet de ne point périr, non pas en cette vie, mais dans l’éternité. Et il ajoute cette superbe parabole : « Un homme avait un figuier planté dans sa vigne ; et venant pour y chercher du fruit, il n’y en trouva point. Alors il dit à son vigneron : il y a déjà trois ans que je viens chercher du fruit à ce figuier sans y en trouver ; coupez-le donc ; car pourquoi occupe-t-il encore la terre ? Le vigneron lui répondit : Seigneur, laissez-le encore cette année, afin que je laboure au pied, et que j’y mette du fumier. Peut-être portera-t-il du fruit ; sinon, vous le ferez couper » (Lc XIII, 6-9). La patience de Dieu est proverbiale, connue dès l’ancienne alliance, comme le chante le psalmiste : « Mais vous, Seigneur, vous êtes un Dieu plein de compassion et de clémence ; vous êtes patient, rempli de miséricorde, et véritable dans vos promesses » (Ps 86, 14)

Une vertu qui se cultive

La patience est une vertu qui se cultive comme un champ, elle réclame effort, ceci pour l’homme, alors qu’elle est de l’essence même de Dieu. Il est plutôt heureux que Dieu soit patience car, sinon, l’homme aurait été rayé de la surface du globe depuis bien longtemps. Le Créateur nous a donné tant et tant de secondes chances que nous avons toutes gâchées. Cependant, comme le rappelle Jésus dans sa parabole, toute patience a ses limites et il arrive un moment où, par manque de fruits, il faut se résoudre à déraciner l’arbre et à le jeter au feu éternel. Nous ne savons pas vraiment à quel moment la frontière est dépassée. Il est préférable de ne pas se risquer à en faire l’expérience. L’Histoire sainte nous montre que, parfois, Dieu ne peut plus faire confiance à l’homme et à ses fausses déclarations de fidélité. Dieu est le seul qui puisse juger de notre cœur et savoir si nous sommes menteurs ou sincères. Sa patience est compagne de sa justice. Il attend autant qu’il est raisonnable afin qu’aucun pécheur ne se perde, mais si l’homme persiste, non point par faiblesse, mais par volonté perverse, alors la patience devient impuissante et Dieu utilise une pédagogie plus musclée pour nous ouvrir les yeux. L’amour prend patience, mais l’amour doit parfois sévir afin que les boiteux que nous sommes retrouvent la piste un instant abandonnée.

Nécessaire au courage

Saint Thomas d’Aquin relie la patience au courage, comme un des deux volets, avec la magnanimité, permettant au courage de demeurer dans la durée. Il faut savoir se lancer, prendre des initiatives, avoir des projets, mais il est nécessaire ensuite de tenir bon. La patience est cette force qui nous aide à avancer au milieu des tempêtes et des déserts, à tel point qu’elle est bien vue comme une vertu surnaturelle. Nous exprimons cela, de façon populaire, en parlant d’une « patience angélique ».


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À notre époque, il est courant de se laisser décourager par le moindre obstacle, de baisser les bras, de perdre l’espérance. Nous n’avons plus l’habitude de résister aux agressions extérieures et intérieures à cause de la mollesse de notre environnement et de l’éducation (ou du manque d’éducation) reçue. Notre enthousiasme est constamment malmené et s’éteint, confronté aux difficultés. Nous sommes facilement frustrés et nous n’allons pas jusqu’au bout de nos projets par manque de constance et de patience. D’ailleurs beaucoup de couples aujourd’hui sont brisés par cette absence de patience. La plus petite anicroche fait fondre toutes les promesses de fidélité et d’éternité. Notre être est constamment tiraillé entre la mollesse, le laisser faire, et la colère, l’intervention brutale. Cela est frappant chez certains parents qui ne savent pas dire non à leurs enfants au juste moment, qui laissent aller, et qui par irruption violente de la colère vont soudain exploser pour de mauvaises raisons. Le résultat pédagogique est catastrophique. Dieu ne procède pas ainsi avec nous. Il sait nous dire non, puis attendre, dans la patience, puis intervenir, après nous avoir avertis à temps et à contretemps.

Pas de patience sans la grâce

Comme le rappelle l’apôtre saint Paul, il faut se supporter les uns les autres, supporter parfois l’insupportable, tout en s’accrochant à ce qui est vrai et bon. La patience est un exercice rendu possible par la grâce seule. Voilà pourquoi elle nous fait si souvent défaut car nous n’accueillons la grâce qu’avec parcimonie et notre vie n’est guère un terrain favorable pour qu’elle fructifie. Saint Thomas d’Aquin, dans la Somme théologique précise :

« Comme dit saint Augustin dans son livre La Patience : “La violence des désirs fait supporter labeurs et souffrances ; et personne n’accepte volontiers de subir ce qui le torture, sinon pour quelque chose qui le délecte.” Et la raison en est que d’elle-même l’âme a en horreur la tristesse et la douleur, si bien qu’on ne choisirait jamais de les souffrir pour elles-mêmes, mais seulement en vue d’une fin. Il faut donc que ce bien pour lequel on veut souffrir des maux soit voulu et aimé davantage que ce bien dont la privation nous inflige la douleur que nous supportons patiemment. Or, préférer le bien de la grâce à tous les biens naturels dont la perte nous fait souffrir, cela appartient à la charité qui aime Dieu par dessus tout. Aussi est-il évident que la patience, en tant qu’elle est une vertu, a pour cause la charité, selon St Paul : “La charité est patiente” (1 Co 13, 4). Et il est évident qu’on ne peut avoir la charité que par la grâce. “La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné” (Rm 5, 5). Il est donc clair qu’on ne peut avoir la patience sans le secours de la grâce » (II-IIæ, qu.136, art.3, conclusion).

Un temps à respecter

Voilà peut-être le secret qui explique notre quasi impossibilité à atteindre cette patience divine qui fut celle de Notre Seigneur tout au long de sa vie terrestre, de sa prédication, de sa Passion. Pourtant, non seulement nous avons un besoin vital de patience pour notre vie ordinaire, mais elle sera encore plus nécessaire en cas de tribulations et de persécution, ce en quoi nous ne sommes pas à l’abri. Le rythme de la nature, voulu par Dieu, nous enseigne qu’il existe un temps à respecter. Certes, nous voulons manger des cerises à Noël mais ce n’est point-là respecter la patience de Dieu à l’œuvre dans sa Création. Lorsque l’enfant se tisse dans le sein de sa mère, il prend le temps nécessaire et rien ne peut lui faire brûler des étapes (un des rares domaines de la vie humaine encore demeuré intact et à l’abri de toute ingérence dite scientifique). Celle qui le porte use de patience, malgré les nausées, l’inconfort, la douleur. Sa joie dépasse tout le reste. Voilà une grâce maternelle qui est à l’image de la patience divine.Acceptons la lenteur des jours, nos limites, le poids de l’adversité, la souffrance du corps et de l’esprit, la faiblesse de l’âme pour tout remettre avec confiance dans le cœur de Dieu, là où palpite la patience.



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