Diplomate et ambassadeur de France au Tchad, en Irak, en Tunisie et en Italie, Yves Aubin de La Messuzière a bourlingué aux quatre coins du monde pendant quarante ans. Sa conclusion : « Il ne peut y avoir de bonne diplomatie sans diplomates “ingénieurs de la paix” ». Entretien.
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« Le diplomate est un négociateur qui doit convaincre différents acteurs de coopérer. Dans ce métier il y a toujours de la réflexion, de l’anticipation, de l’analyse prospective ». De son premier poste à Aman où il fut gravement blessé lors d’un échange de tirs entre l’armée jordanienne et les Palestiniens dans les années 1970 à sa dernière affectation en tant qu’ambassadeur de France à Rome (2005-2007), Yves Aubin de La Messuzière a passé plus de quarante ans dans le corps diplomatique.
Dans un monde en pleine transformation, « le diplomate doit en permanence s’adapter aux nouveaux enjeux géopolitiques, économiques, culturels, environnementaux, avec en perspective la défense des intérêts bien compris de son pays », affirme-t-il dans son ouvrage Profession diplomate. Un ambassadeur dans la tourmente. Des intérêts à défendre, à protéger mais avec une toile de fond qui demeure : la paix. À l’occasion de la journée internationale de la paix ce 21 septembre il revient pour Aleteia sur son expérience et le rôle central des diplomates, ces « concepteurs de paix ».
Aleteia : qu’est-ce qui fait la beauté du métier de diplomate ?
Yves Aubin de La Messuzière : Ce qui m’a plu c’est d’abord la diversité géographie, même si à titre personnel je suis un spécialiste du monde arabe. Il y a aussi la complexité de ces pays, certains sont en situation de crise, d’autres en guerre. Le diplomate ne travaille pas forcément dans sa zone de spécialité. Il y a également la diversité des fonctions : tout au long de ma carrière j’ai été amené à m’occuper de dossiers politiques mais aussi beaucoup de francophonie, de diplomatie linguistiques et culturelle. La France est un membre permanent du conseil de sécurité, nous avons l’arme nucléaire, une capacité de projection de nos forces mais il y a aussi ce fameux soft power que nous ne devons pas négliger. En fait, il y a plusieurs métiers dans le métier.
Quels buts poursuit-il ?
Le diplomate est un concepteur de paix, un faiseur de paix. C’est un négociateur qui doit convaincre différents acteurs de coopérer. Dans ce métier il y a toujours de la réflexion, de l’anticipation, de l’analyse prospective. Il a la responsabilité de protéger les intérêts français : les intérêts économiques, l’intégrité physique des ressortissants français présents dans le pays où il est en poste mais cela peut aussi être plus subtil avec la défense de la position et les valeurs de son pays à l’étranger. Mais l’action que nous menons, nous la menons le plus souvent dans la discrétion afin de ne pas affaiblir notre position et notre capacité de dialogue avec les différentes parties prenantes. Au Moyen-Orient par exemple, malgré des différences d’approche des gouvernements successifs, notre action dans la région est marquée par des constantes. Si la France ne joue pas un rôle direct dans les négociations du processus de paix, elle entend assumer sa part de responsabilité dans une logique d’impulsion et d’accompagnement. La marque de la diplomatie de la France est de disposer d’une force de proposition dans le processus de paix, plus particulièrement dans les périodes de blocage ou de crise. Pour faire simple, il ne peut y avoir de bonne diplomatie sans diplomates « ingénieurs de la paix ».
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Avez-vous un exemple pour illustrer cette “recherche” de la paix ?
C’était à l’été 2000, un peu avant le sommet pour la paix au Proche-Orient de Camp David et les négociations de paix israélo-palestiniennes. Durant cette période, hormis les deux semaines de négociations à huis clos, la diplomatie française n’a pas été inactive. Nos représentations à Tel-Aviv et à Jérusalem ont analysé au quotidien l’évolution des positions respectives. J’étais en contact régulier avec Nabil Chaath, le ministre de la Coopération internationale, l’un des négociateurs palestiniens. Jacques Chirac et Hubert Védrine se tenaient informés et joignaient par téléphone respectivement Bill Clinton, Yasser Arafat, Ehud Barak et Madeleine Albright. Au lendemain de la fin des négociations de Camp David, la secrétaire d’État qui n’avait pas renoncé à les relancer appelle son homologue français pour lui demander de lui transmettre des idées françaises sur la question de la souveraineté à Jérusalem : « Du fait de son statut historique de protectrice des Lieux saints catholiques dans la Ville sainte, la France peut apporter une contribution utile à la solution de cette question complexe, notamment s’agissant de l’esplanade des Mosquées et du Mur des lamentations. » En liaison avec les directions des affaires juridiques et des Nations unies, mon service a ainsi été chargé, au cœur de l’été, d’imaginer dans l’urgence et en toute discrétion différents scénarios autour de la souveraineté. On nous confie ainsi un travail d’« ingénierie diplomatique », au service de la paix au Proche-Orient. C’est l’une des marques de la diplomatie française, plus particulièrement s’agissant des conflits dans la région, traités par la direction d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Cette ingénierie prendra souvent la forme d’idées françaises en vue de la solution de tel ou tel conflit : question israélo-palestinienne, Irak, Syrie, Liban, Sahara occidental, etc. Ce mode de réflexion se traduit par des « non-papiers », sans cachet officiel, transmis à différents partenaires, libres d’en faire ou non un usage.
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Dans l’année qui a précédé Camp David, la France et le Vatican ont ainsi conduit un exercice de ce type, sur les modes de protection des Lieux saints relevant des trois religions monothéistes et leur libre accès. Un groupe de travail franco-vaticanais, animé par le chef de la diplomatie du Saint-Siège, le cardinal Jean-Louis Tauran, est créé en 1999. Élargi l’année suivante à l’Italie, l’Espagne et la Grande-Bretagne, il élabore un document confidentiel, qui souligne la vocation universelle et spirituelle de Jérusalem. Si la question de la souveraineté politique sur la ville relève des négociations entre les parties, la dimension religieuse et spirituelle concerne la communauté internationale, comme en témoignait déjà le Statu quo, édicté par un firman ottoman de 1852, toujours en vigueur, confirmé par les résolutions onusiennes.
Vous étiez aussi aux premières loges lors de la crise irakienne en 2003…
En Irak, je me suis plongé dans les dossiers complexes des programmes d’armes de destruction massive, dont la connaissance m’était nécessaire pour dénoncer à bon escient les dérives des inspecteurs de l’Onu, trop souvent instrumentalisés par les Américains. Sans la mobilisation de l’ensemble du réseau diplomatique, le deuxième dans le monde, la France n’aurait pu faire valoir son point de vue sur quelques grandes questions internationales, notamment la crise irakienne. Je pense à l’action menée au Conseil de sécurité de l’Onu, qui a permis d’isoler les Américains dans les semaines qui ont précédé la guerre de 2003. Ce succès, mis brillamment en scène par le discours de Villepin, au sein de cette instance, revient aussi aux diplomates des directions concernées du ministère, à notre représentation à New York et à nos postes diplomatiques dans les pays membres non permanents du Conseil de sécurité que nous avons pu rallier à nos vues. Je me souviens de Jacques Chirac me confiant que nos services avaient « pris une part non négligeable dans le succès que la diplomatie française [avait] obtenu, au service de la paix. Tout le système diplomatique [devait] en être crédité ». Le dénouement de cette crise restera un cas d’école, parmi d’autres, sur le fonctionnement de notre diplomatie, même si son règlement n’aura duré qu’un temps, comme on le verra ».
“Dans un monde aussi troublé que celui d’aujourd’hui on a besoin de diplomates.”
L’action diplomatique est souvent raillée, critiquée… Avec l’accélération des technologies, des moyens de transports… A-t-elle toujours sa place ?
Absolument ! Dans un monde aussi troublé que celui d’aujourd’hui on a besoin de diplomates. Ils permettent de décrypter des situations complexes, d’analyser des situations internes avec des partenaires, des pays qui ne partagent pas les mêmes points de vue. On en a besoin en permanence !
Si le diplomate poursuit la paix, elle est loin d’être toujours atteinte ou garantie et les négociations mènent parfois à la guerre…
Cette décision revient au chef de l’État mais les diplomates sont là pour dire qu’il y a encore des perspectives, des possibilités… jusqu’au moment où il n’y en a plus, d’où l’importance de ne jamais négliger nos forces d’intervention. Diplomates, nous devons avoir le courage de marquer nos accords et désaccords mais une fois que le chef de l’État a pris sa décision, nous la défendons.