Dans son nouvel essai “Capital et Idéologie” (Seuil), le livre-événement de la rentrée, l’économiste Thomas Piketty développe une critique argumentée d’un droit de propriété illimité, qui déstabilise les rapports sociaux. Il rappelle que « la sacralisation de la propriété privée » est un fruit de la Révolution française. Contrairement aux idées reçues, la Doctrine sociale de l’Église s’oppose elle aussi de longue date à un absolu de la propriété privée, incompatible avec le principe de destination universelle des biens.
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En 1891, la lettre encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII précise le sens chrétien de la propriété privée : « Il est permis à l’homme de posséder en propre et c’est même nécessaire à la vie humaine. Mais si l’on demande en quoi il faut faire consister l’usage des biens, l’Église répond sans hésitation : l’homme ne doit pas tenir les choses extérieures pour privées, mais pour communes, de telle sorte qu’il en fasse part facilement aux autres dans leurs nécessités. […] Dès qu’on a accordé ce qu’il faut à la nécessité, à la bienséance, c’est un devoir de verser le superflu dans le sein des pauvres. »
Le droit, l’usage et le bien commun
Jean Paul II le rappelle en 1981 dans Laborem Exercens : « La tradition chrétienne n’a jamais soutenu le droit [de propriété] comme un droit absolu et intangible. Au contraire, elle l’a toujours entendu dans le contexte plus vaste du droit commun de tous à utiliser les biens de la création entière : le droit à la propriété privée est subordonné à celui de l’usage commun, à la destination universelle des biens. » Le Compendium de la Doctrine sociale de l’Église précise depuis 2005 les risques de la propriété privée : « L’homme ou la société qui arrivent au point de lui attribuer un rôle absolu finissent par faire l’expérience de l’esclavage le plus radical. Ce n’est qu’en reconnaissant leur dépendance vis-à-vis du Dieu Créateur et en les finalisant par conséquent au bien commun qu’il est possible de conférer aux biens matériels la fonction d’instruments utiles à la croissance des hommes et des peuples. »
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Ainsi, on peut rejoindre Thomas Piketty dans sa condamnation de « l’idéologie propriétariste », mais ce n’est pas forcément parce que « les droits de propriété issus du passé posent souvent de sérieux problèmes de légitimité ». C’est plutôt l’usage des biens qui est problématique. Sur ce point, le Compendium évoque « un devoir de la part des propriétaires de ne pas laisser improductifs les biens possédés, mais de les destiner à l’activité productive, notamment en les confiant à ceux qui ont le désir et les capacités de les faire fructifier ».
L’utopie de l’impôt confiscatoire
C’est pourquoi le projet énoncé depuis 2013 par Thomas Piketty d’un impôt mondial progressif sur le capital ne paraît fondé ni en théorie ni en pratique. L’aspect « progressif » atteignant pour lui un taux de 90% cousine avec « confiscatoire », le projet assumé étant de faire disparaître rapidement les gros patrimoines de la planète. Même s’il proclame avec énergie que « le progrès humain existe, mais il est un combat », on nage en pleine utopie : les puissants de ce monde trouveront toujours des arrangements pour échapper à une fiscalité aussi extraordinaire. De plus, le véritable enjeu est ailleurs : que les richesses privées servent le bien commun. C’est d’abord un enjeu de conversion personnelle, d’éducation, de transparence.
Trouver une fiscalité incitative
C’est sans doute aussi un sujet de fiscalité, la formulation des prélèvements étant plus ou moins incitative à faire fructifier ses talents. Par exemple, un impôt sur le capital au taux unique de 0,1% par mois, soit 1,2% par an, a pour caractéristique unique d’égaler la valeur du bien détenu sur la durée statistique d’une vie humaine (83 ans). En l’acquittant, chacun mesure concrètement qu’il paie à la communauté la valeur des biens dont il privatise l’usage au cours de sa vie. Et s’il ne tire aucun bénéfice d’un bien, il a intérêt économique à le donner ou le vendre à qui en tirera meilleur parti.
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Dans Laudato si’, le pape François rappelle encore et toujours : « La tradition chrétienne n’a jamais reconnu comme absolu ou intouchable le droit à la propriété privée, et elle a souligné la fonction sociale de toute forme de propriété privée. » Sans entrer dans des projets attentant aux libertés individuelles, il est possible de définir une fiscalité compatible avec les principes de la doctrine sociale de l’Église. Fiers de ce fonds doctrinal unique, les chrétiens pourraient être plus actifs dans ce débat qu’il est dommage de laisser aux idéologues de tous bords.