La perte d’influence du catholicisme dans la société française donnera-t-elle lieu à la naissance d’une religion de substitution autour de l’écologisme ? Pas si simple…
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Le sociologue Jérôme Fourquet, auteur de l’Archipel français (Seuil), explique de manière assez frappante qu’« une matrice écologique se substitue à l’ancienne matrice catholique de la France ». Il est vrai que la nature a horreur du vide, et que notre nature spirituelle a horreur du vide spirituel. Morte la culture chrétienne, il n’est pas illogique que nous assistions, comme le montre Fourquet, à l’installation d’une manière de nouvelle religion en Occident, une vraie religion avec ses rituels, ses structures mentales, son code moral, ses figures emblématiques, ses prophètes collapsologues et son organisation. La jeune Greta Thunberg, par exemple, récapitule assez fidèlement la figure de la prophétesse controversée appelée naguère Pauline, Catherine de Sienne, Jeanne d’Arc ou Bernadette Soubirous. « Quoi, vous vous arrêtez au songe d’une femme ? » s’inquiétait déjà le Néarque de Polyeucte. Les énarques ont remplacé Néarque, mais au fond ils pensent la même chose que lui : tout cela n’est guère rationnel, mais il faut faire avec.
Le christianisme survivra à l’écologisme
Jérôme Fourquet présente en apparence de solides arguments. Il est tout de même possible de se poser deux questions sur la thèse, une question fondamentale et une autre plus anecdotique.
La question fondamentale est celle-ci : l’irrationnel suffit-il à bâtir une religion ? Jérôme Fourquet suggère que oui, l’histoire prouve que non. Le christianisme a été fondé non sur un combat moral mais sur une controverse historique : le fait de la résurrection. Le fait du réchauffement climatique n’est pas du même ordre : la controverse à ce sujet est déjà dépassée, et c’est pourquoi l’écologisme a tout d’une religion sauf justement l’essentiel, les martyrs, ces « témoins qui se font égorger » dont parle Blaise Pascal. Le christianisme, contrairement à ce que suggère Jérôme Fourquet, n’est pas une morale, même s’il implique une morale, et notamment une morale du respect de la création qui englobe, dépasse et donne leur sens aux injonctions simplistes des militants du développement durable. Telle est la portée, par exemple, de l’encyclique Laudato Si’.
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Mais le christianisme dit aussi tout autre chose que ce que croient les sociologues, quelque chose qui est fondé sur l’amour. Le Christ n’a pas donné une leçon de morale : il a donné sa vie. Pour cette raison nous pouvons parier que le catholicisme survivra à l’écologisme. Du temps où les chrétiens étaient une petite minorité dans l’Empire romain, il y avait des Jérôme Fourquet appelés Festus pour annoncer, avec quelque crédit sociologique, la mort prochaine de la matrice chrétienne. Festus s’est trompé.
Le modèle gallican
La question anecdotique concerne le paysage politique européen. Dans la seconde moitié du XXe siècle, en Europe de l’ouest, le militantisme catholique s’est dégradé en parti politique à travers le Mouvement démocrate chrétien : Démocratie chrétienne italienne, Mouvement républicain populaire (MRP) français devenu plus tard UDF, CDU allemande, etc. En face de ces partis de centre droit, n’existait au fond que le parti populiste, appelé alors Parti communiste. Cette bipolarisation a fondé la démocratie moderne, en donnant un corps politique à la doctrine sociale de l’Église née au siècle précédent et aussi en donnant une signification à la construction européenne. Le modèle a fonctionné partout, sauf en France, où le gaullisme a changé la donne.
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Le gaullisme était une forme gallicane de la démocratie chrétienne. Il en a marginalisé la forme ultramontaine. Mais il en a intégré les fondamentaux, et c’est pourquoi le général de Gaulle, comme les pères de l’Europe officiels, Schuman, Gasperi et Adenauer, tous catholiques pratiquants, a assuré lui-même la survie du projet européen qui n’aura finalement rien dû ni au MRP ni à ses formes ultérieures. Malraux a résumé la situation quand il a déclaré, parlant des gaullistes : « Entre les communistes et nous, il n’y a personne. » En France, la démocratie chrétienne n’était pas « personne » : elle était gaulliste.
Digérer l’écologisme
Évidemment, cela conduit à une question actuelle : le macronisme sera-t-il capable, comme naguère le gaullisme avait étouffé le parti démocrate-chrétien, de digérer et de cantonner l’écologisme ? Ce n’est pas impossible. Au moment où partout en Europe le paysage politique se simplifie vers une bipolarisation populistes versus écologistes, comme on avait eu une bipolarisation communisme versus démocrates chrétiens, en France, Emmanuel Macron peut être tenté d’inventer une sorte d’écologisme gallican, libéral en économie, national dans la forme, universaliste tout en restant situé. Il y a quelque peu réussi au moment des élections européennes. Il semble déterminé à pousser son avantage, comme on l’a vu au G7. On verra bientôt si son talent en fait un disciple du général de Gaulle…