Tôt ou tard, il est tout à fait normal que les fragilités et les erreurs du passé remontent à la surface dans une vie de couple. Ce qui ouvre le terrain aux disputes… mais aussi à de nouvelles complicités et, surtout, à la rencontre avec Dieu. À condition de pratiquer la bienveillance qui n’est autre que la vraie patience.
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Parfois, les fiancés me disent leur surprise de constater que leurs défauts — tous ou la plupart d’entre eux — ne semblent pas du tout déranger l’autre. Ils sont tellement heureux et soulagés à la fois de se sentir pleinement acceptés, même avec leurs imperfections ! C’est le propre du temps des fiançailles, celui où on ne se formalise de rien ou de si peu… L’autre n’est pas très ponctuel ? Il aime avoir le dernier mot ? Cela ne compte guère, voire pas du tout, tant l’émerveillement de l’aimé nous ravit. Pourtant, lorsque le mariage avance dans le temps, que surviennent les premières épreuves dans la vie du couple, quand en même temps la pression ou les attentes augmentent, alors la fatigue et le stress révèlent des visages encore méconnus de l’époux (se). Cela ne veut pas dire que l’autre est devenu méchant… mais plutôt que ses fragilités commencent seulement à apparaître. Celles qui expriment ce que nous avons tous au fond de notre cœur : un résidu, un poison latent, notre dark side en quelque sorte. Mais pourquoi ce côté sombre en nous tous ? D’où vient-il ?
Les théologiens parlent du « péché originel ». Dans l’Évangile de saint Matthieu (13, 24-30), Jésus nous présente un homme qui sème du bon grain dans son champ. Survient un ennemi pendant la nuit. Celui-ci sème de l’ivraie au milieu du blé, puis il s’en va. C’est là le problème. Nous sommes tous fait pour la bonne semence, mais — comme l’exprimait le pape Benoit XVI – “au fond de notre cœur se trouve la semence d’un pacte secret avec le mal”. Une semence que l’homme n’a même pas choisie, on peut même dire qu’il en est plutôt la victime.
“Les conjoints sont porteurs d’une couche de rébellion. Il s’agit d’un « non », hérité du « non » de l’humanité.”
Cela veut dire que les conjoints sont porteurs d’une couche de rébellion. Il s’agit d’un « non », hérité du « non » de l’humanité. L’expérience montre qu’inévitablement, cette couche va se manifester. Tôt ou tard, il est tout à fait normal que les fragilités et les erreurs du passé remontent à la surface dans une vie de couple. Ce qui ouvre le terrain aux disputes… mais aussi à de nouvelles complicités et, surtout, à la rencontre avec Dieu.
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Nous avons le choix entre deux attitudes. Celle du reproche adressé à l’autre pour ses défauts, réaction peu productive d’ailleurs car souvent l’autre connaît déjà sa faiblesse bien mieux que nous-même. Ou celle de la prière. Celle qui consiste à accueillir cette fragilité, pour la présenter ensemble devant Celui qui s’est engagé avec nous le jour de notre mariage. John Eldredge, écrivain anglophone et grand expert de la vie de couple, disait qu’il y a « un ennemi dans ton couple… mais ce n’est pas l’un de vous deux ». C’est celui qui a semé l’ivraie.
L’imperfection, une source de croissance
L’amour sans obstacles n’existe pas. Il vaut mieux s’en rendre compte au plus tôt, au lieu de le rechercher ou d’en rêver ! D’ailleurs, un amour confortable n’avance pas. Comme pour tout ce qui vit, l’amour a besoin de certaines adversités, comme le vent et la pluie qui sont aussi nécessaires que le soleil. À ce titre, c’est même l’imperfection de l’autre qui peut devenir une vraie source de croissance pour les deux époux. Dans son exhortation apostolique Amoris Laetitia, le pape François précise que « ces défauts ne sont qu’une partie, non la totalité, de l’être de l’autre. Un fait désagréable dans la relation n’est pas la totalité de cette relation. Par conséquent, on peut admettre avec simplicité que nous sommes tous un mélange complexe de lumières et d’ombres. L’autre n’est pas seulement ce qui me dérange. Il est beaucoup plus que cela. Pour la même raison, je n’exige pas que son amour soit parfait pour l’apprécier. (…) L’amour cohabite avec l’imperfection, il l’excuse, et il sait garder le silence devant les limites de l’être aimé » (§113).
«La seule façon d’aimer dans ce monde est d’aimer quelqu’un qui est imparfait, tout en étant soi-même imparfait.»
Viva il Papa ! Cette petite leçon de réalisme que nous venons de recevoir du Pape, elle nous permet de mieux comprendre que la seule façon d’aimer dans ce monde est d’aimer quelqu’un qui est imparfait, tout en étant soi-même imparfait. D’où les déceptions qui surviennent mais qui sont tellement prévisibles. Le but n’est pas que notre amour soit déjà « parfait », mais que nous puissions devenir un bon couple… un saint couple. Et ça prend du temps. Donc restons attentifs.
La patience, première expression de l’amour
Tout au début de ce texte, je disais à quel point cela fait du bien de se savoir accepté, y compris nos fragilités. Pourtant, une chose est de se savoir accepté, une autre est d’accepter pleinement l’autre avec ses faiblesses. Sachant cela, saint Paul mentionne la patience comme première expression de la charité, dans son fameux hymne à la charité (1 Cor 13,4-7). Voici peut-être l’une des vertus les plus difficiles, et sûrement l’une des plus nécessaires dans une relation humaine. Mais attention : la patience ne veut pas dire accepter ou aimer les faiblesses de l’autre, mais accepter ou aimer l’autre malgré ses faiblesses.
«L’amour porte à accepter l’autre comme une partie de ce monde, même quand il agit autrement que je l’aurais désiré.»
Nous sommes créés à l’image de Dieu. C’est-à-dire que nous sommes créés pour devenir un don pour les autres, et pour apprendre à accueillir ceux-ci pleinement. Par conséquent, notre premier rôle n’est pas de critiquer ou de changer l’autre, il est d’apprendre à l’accueillir. C’est encore le pape François qui trouve des paroles surprenantes à ce sujet. Au premier plan, il admet qu’avoir patience, ce n’est pas “permettre qu’on nous maltraite en permanence, ni tolérer les agressions physiques ». Mais il met surtout en avant la vraie patience chrétienne, celle qui reconnaît « que l’autre aussi a le droit de vivre sur cette terre près de moi, tel qu’il est. Peu importe qu’il soit pour moi un fardeau, qu’il contrarie mes plans, qu’il me dérange par sa manière d’être ou par ses idées, qu’il ne soit pas tout ce que j’espérais. L’amour a toujours un sens de profonde compassion qui porte à accepter l’autre comme une partie de ce monde, même quand il agit autrement que je l’aurais désiré” (Amoris Laetitia, §92).
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La clé la plus importante, c’est la bienveillance. Toujours au paragraphe 113 d’Amoris Laetitia, le pape François nous invite à comprendre que le conjoint « m’aime comme il est et comme il peut, avec ses limites, mais que son amour soit imparfait ne signifie pas qu’il est faux ou qu’il n’est pas réel. Il est réel, mais limité et terrestre ». Dans le passage mentionné plus haut de sa lettre aux Corinthiens, saint Paul conclut que l’amour « fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout » (1 Cor 13,7). Dans mon ministère d’accompagnement des couples sur leur route vers le mariage et au-delà de la célébration, je me suis rendu compte que lorsqu’un couple se dispute sur quelque chose, souvent les deux ont raison… Ils se situent tout simplement depuis des points de vue différents. Très souvent, les deux sont sérieux et honnêtes dans leurs propos. Cela arrive aussi dans la vie religieuse, ce dont je suis témoin depuis presque 30 ans. C’est ce qui m’a motivé à développer une formule qui pourrait nous aider à pratiquer cette bienveillance qui est la vraie patience. Cette formule se construit précisément sur cette parole de Saint Paul : « l’amour fait confiance en tout ». Cela veut dire que l’amour croit en l’autre.
Trois axiomes pour mettre en pratique la bienveillance
Quand mon conjoint vient de dire ou de faire quelque chose qui m’a surpris, déçu ou blessé, au lieu de me sentir agressé, il vaut mieux appliquer la règle des « trois axiomes » :
“Heureusement, je sais que l’autre m’aime vraiment de tout son cœur.”
Avec ce premier axiome, je peux et je dois supposer que c’est vrai, car le jour du mariage il (elle) m’a promis de m’aimer tous les jours de ma vie. Normalement, en me rappelant de ça, une grosse partie de la douleur disparaît.
“Heureusement, je sais que ce n’était pas exprès.”
D’après ce deuxième axiome, il vaut mieux que je me trompe en croyant que ce n’était pas exprès, plutôt que de me tromper en croyant que c’était exprès.
“Heureusement, je sais que l’autre fait honnêtement de son mieux.”
Ce troisième axiome est un peu osé, je l’avoue. Pourtant, partir de la supposition contraire devrait me faire douter un peu de moi-même, au moins de ma façon de vivre l’Évangile.
L’Évangile n’est pas facile à vivre. Mais il est un chemin qui nous rappelle la bonne direction, celui qui sauve l’amour conjugal. Le but n’est pas de croire y être déjà arrivé, mais de croire que c’est la bonne direction. Et, chaque jour, de se mettre à nouveau en route.