Le Nicaragua est secoué depuis avril 2018 par une grave crise politique. La contestation initiale qui portait sur une réforme de la sécurité sociale a dégénéré en des manifestations réclamant le départ du président Daniel Ortega, accusé d’avoir mis en place une dictature népotiste et corrompue. Tandis que des opposants réclament des élections anticipées, les violences politiques se multiplient. Mgr Rolando José Álvarez Lagos, évêque de Matagalpa, se confie sur la crise actuelle et décrit le rôle déterminant que l’Église joue dans sa résolution.
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La situation du Nicaragua reste critique. Depuis avril 2018, la crise politique qui secoue le pays serait à l’origine de 325 morts et 2.000 blessés, dans leur écrasante majorité des opposants. Plus d’un demi-millier d’opposants ont été jetés en prison tandis que des dizaines de milliers de Nicaraguayens ont pris le chemin de l’exil. Cette semaine, le gouvernement du Nicaragua a estimé comme close la concertation lancée avec l’opposition, attitude qu’ont déplorée tous les observateurs. Dans cette crise, l’Église catholique fait office de “témoin”. Mgr Rolando José Álvarez Lagos, évêque de Matagalpa, s’est confié lors d’une visite auprès du siège international de la fondation pontificale Aide à l’Église en Détresse.
Comment se présente la situation au Nicaragua après plus de 14 mois de crise ?
Nous vivons dans une situation sociopolitique et économique critique. Au Nicaragua, il y a beaucoup de polarisation et beaucoup de confrontations. En tant qu’Église, nous apportons aux gens une parole d’espérance pour créer ainsi les bases et les fondements de notre propre histoire. Il s’agit de l’espérance d’un meilleur avenir dans un pays où les futures générations pourront vivre dans la paix, la justice et le progrès, dans le cadre d’une démocratie institutionnalisée, et bien entendu avec une option préférentielle pour les pauvres, comme les évêques d’Amérique latine l’ont déclaré à Puebla dans les années 1970.
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Au cours de la crise sévère qui a sévi en 2018, les évêques ont été très présents durant tout le processus. L’Église est-elle maintenant moins engagée qu’alors ?
L’Église du Nicaragua est directement engagée dans l’histoire de son pays. Elle se sent et se conçoit elle-même comme peuple, un peuple en marche et en pèlerinage, un peuple qui travaille, qui croit en soi-même et qui est évidemment guidé par la main de Dieu. Je crois que nous, Nicaraguayens, avons le potentiel pour construire cet avenir.
Parlant de l’avenir du pays, la crise a particulièrement touché de nombreux jeunes qui avaient tenté de faire entendre leurs protestations. Sans aucun doute, la jeunesse constitue l’un des groupes ayant le plus souffert de la crise. Qu’en pensez-vous ?
Sa Sainteté le pape François dit que les jeunes gens sont le maintenant de Dieu. Voilà pourquoi les jeunes gens du Nicaragua écrivent l’histoire. Ils construisent eux-mêmes leur histoire. C’est pourquoi tous, que nous soyons jeunes ou adultes, devons gérer les choses temporelles et guider nos pensées et nos forces pour transmettre aux futures générations l’héritage d’un pays meilleur.
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Dans quelques médias et sur les réseaux sociaux, on a parlé d’une certaine désunion dans l’Église nicaraguayenne et de différentes fractions dans l’Église. Est-ce que cette affirmation est fondée ?
Avec tout le respect que je vous dois, je considère que cette affirmation ne correspond en aucun point à notre réalité et qu’elle est même anachronique. Obsolète également, car l’Église nicaraguayenne était certes fragmentée dans les années 1980, lorsque dans toute l’Amérique latine émergeait la célèbre « Église du peuple » avec la soi-disant « théologie de la libération ». Certains théologiens l’ont déformée à certains égards parce que toute théologie authentique est libératrice. Notre Église est plus unie que jamais. Une manifestation très claire de cette union se traduit justement dans le fait que nous sommes parvenus avec l’aide du Saint-Esprit à réaliser une œuvre tout à fait prophétique. Celle-ci englobe l’annonce de l’espérance : garder les yeux ouverts face à la réalité actuelle dans laquelle nous vivons, mais aussi aspirer à un meilleur avenir et dénoncer toutes les injustices. Si l’Église du Nicaragua n’était pas unie, cette œuvre prophétique, cette mission prophétique ne pourrait jamais être réalisée. Ce serait tout simplement impossible. Je peux également affirmer que l’unité de l’Église, l’unité de la conférence épiscopale du Nicaragua, est actuellement la plus grande force que nous ayons comme évêques dans notre pays.
Quel est le prochain défi que vous allez devoir affronter ? Quelle est la prochaine étape à franchir en tant qu’Église ?
Nous, Nicaraguayens, sommes responsables de notre présent. Nous devons tirer nos leçons des erreurs du passé afin de construire un meilleur avenir. La responsabilité commune signifie de savoir et de sentir que chacun d’entre nous est responsable de sa propre histoire, de notre histoire, et que nous pouvons et devons changer et améliorer l’histoire. Au cours des plus de 190 années de notre histoire, nous étions très fragmentés, divisés, et vivions dans la confrontation, ce qui a rendu difficile l’édification d’un pays solide et stable. Je pense qu’il est du devoir de l’Église de ne pas négliger cette tâche dans sa mission prophétique et de constituer un facteur du changement dans l’histoire du Nicaragua. Un changement au cours duquel nous pourrons tous nous asseoir autour de la table, chacun à sa place, sans exclure personne, pour tous ensemble partager le pain avec dignité. Et bien entendu, nous devons continuer à proclamer l’espérance dans la viabilité de notre pays. Nous ne devons pas perdre espoir — et cela me semble d’une importance vitale et un défi essentiel pour l’Église du Nicaragua.
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Une dernière question : qu’aimeriez-vous dire aux bienfaiteurs de l’AED dans le monde entier ? Que pouvons-nous faire pour votre pays ?
J’aime beaucoup le nom de la fondation — Aide à l’Église en Détresse — parce que l’Église vit vraiment dans la détresse. Elle a besoin de prières et d’espérance pour continuer à œuvrer en prophétisant. L’Église doit continuer à devenir un peuple et ouvrir ses portes à tous sans distinction. Nous sommes tous la pauvre veuve, autant ceux qui ont beaucoup d’argent que ceux qui en ont très peu. Le secret réside dans les paroles de sainte Teresa de Calcutta : « donner jusqu’à ce que cela fasse mal ». C’est pourquoi je dis aux bienfaiteurs de l’AED : « Continuez sans crainte, comme vous l’avez fait jusqu’à présent, jusqu’à ce que cela vous fasse mal, en donnant une partie de ce que vous avez pour vivre. Car c’est ainsi que vous nous donnez la vie. »