L’ACÉDIE (2/7). Le Père du désert, Évagre le pontique, décrit avec humour les manifestations de l’acédie chez le moine du désert, mais il donne aussi les remèdes pour se guérir du « démon de midi ».
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Le Père du désert « inventeur » de l’acédie, Évagre le pontique, décrit non sans humour le moine pris par l’acédie. Celui-ci tourne en rond, essaie d’avoir des distractions, imagine tous les prétextes possibles et inimaginables pour sortir, pour changer d’état de vie, pour quitter le désert, pour partir dans le monde. Évagre identifie cinq manifestations principales du « démon de midi » qui agite notre moine, classées par ordre croissant d’importance : l’instabilité corporelle ; un souci exagéré de soi-même, de sa santé et de son confort ; un dégoût pour son devoir d’état ; un minimalisme dans ses devoirs ; une forme de désespoir.
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1L’instabilité corporelle
L’envie de bouger tout le temps, de changer ; cette instabilité révèle une instabilité plus profonde, qui est celle du cœur.
2Le souci exagéré de soi-même, de sa santé et de son confort
Cela peut nous faire sourire, car les Pères du désert n’avaient évidemment pas beaucoup de confort ; on comprend qu’ils aient eu envie d’en avoir un peu plus ! Mais l’acédie révèle ici une sorte de narcissisme, de recentrement hypertrophié sur soi et sur son confort.
3Le dégoût pour son devoir d’état
Pour le moine, le travail manuel très simple devait laisser la pensée libre pour la prière ; ce travail n’était guère épanouissant humainement, on peut s’en douter : tresser des corbeilles n’était pas très valorisant ; la prière pouvait sembler aride. Pour le moine, l’acédie venait réveiller cette difficulté du travail et de la prière mais, plus profondément, elle manifestait une sorte de dégoût pour son état de vie, pour son devoir d’état.
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4Le minimalisme
Ici, tout est « de trop » : en ce qui concerne la prière, par exemple : on chante douze psaumes, peut-être pourrait-on n’en dire que six ; on se lève à cinq heures du matin, peut-être pourrait-on se lever à six heures ; on jeûne tous les jours, peut-être pourrait-on ne jeûner qu’une fois par semaine, etc. Tout est de trop, on a envie de tout lâcher.
5Le désespoir
Une sorte de déprime, de dépression qui va avoir deux issues : soit on va partir, on va fuir ; soit, si jamais on persiste, on va trouver toutes sortes de compensations pour en prendre et en laisser. C’est un peu redoutable.
Les cinq remèdes pour en sortir
Évagre propose cinq remèdes pour sortir de l’acédie qui, d’ailleurs, ne correspondent pas forcément à ses cinq manifestations. Elles ne sont pas toutes à mettre en regard des manifestations précitées ; certaines oui, mais pas toutes.
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1Pleurer
Premier remède, très simple : pleurer. Les larmes sont la reconnaissance qu’on a besoin d’un Sauveur. Quand il pleure, le petit enfant sait qu’il a besoin d’être secouru ; et, en même temps, il sait que sa maman va venir. Ses larmes sont à la fois la manifestation de son impuissance et l’affirmation de sa confiance. Or comme l’acédie est le manque de préoccupation pour son salut, le fait de pleurer est déjà une manière de lutter contre l’acédie, de reconnaître qu’on a besoin d’un Sauveur.
2L’hygiène de vie
Deuxième remède : l’hygiène de vie, l’équilibre de vie entre travail, prière, solitude, vie commune… Pour les Pères du désert, il s’agissait essentiellement de l’équilibre entre la prière et le travail manuel. Mais, plus largement, on peut dire qu’il s’agit d’arriver à un équilibre pour mener sa vie sans excès, pour avoir une mesure en tout, comme dirait saint Benoît. Il s’agit de veiller à son hygiène de vie.
3La méthode antirrhêtique ou s’appuyer sur l’Écriture
Le troisième remède est un mot technique un peu barbare mais qui décrit une réalité très simple. Évagre l’appelle la méthode antirrhêtique — ce mot vient du grec antirrhêsis qui veut dire « contradiction ». C’est finalement la méthode que le Christ a employée dans le désert face à Satan : face aux suggestions du démon, il a répondu en citant l’Écriture. Évagre va développer cette idée que la Parole de Dieu a une extraordinaire efficacité dans notre combat spirituel. Il va même constituer un recueil de toutes les paroles de l’Écriture à dire — et à répéter longuement — lorsqu’on se trouve dans telle ou telle situation. Cette parole que l’on répète inlassablement est à l’origine d’une pratique monastique qui s’est par la suite beaucoup répandue en Orient et qu’on appelle « la prière de Jésus » ou « la prière à Jésus » : il s’agit de répéter sans cesse le nom de Jésus, qui signifie « le Seigneur sauve », en sachant que ce nom va opérer une véritable transformation intérieure, va vraiment nous sauver. Pour Évagre et les Pères du désert, la Parole de Dieu est vivante et efficace, comme le dit l’Épître aux Hébreux (He 4, 12). Ces versets de l’Écriture inlassablement répétés sont comme des flèches empoisonnées qui vont atteindre Satan et le vaincre lorsqu’il essaie de nous combattre.
4La pensée de la mort
Quatrième remède : la pensée de la mort. Penser à la mort n’a rien de morbide, c’est simplement penser au terme de notre vie. C’est pour cela qu’il y a souvent dans les représentations picturales des saints du désert — pensons à saint Jérôme, par exemple — un crâne à côté d’eux. Saint Paul l’affirme : « Les souffrances du temps présent sont sans commune mesure avec le poids de gloire qui nous attend » (Rm 8, 18). N’oublions pas ce pour quoi nous sommes venus et relativisons toutes les difficultés d’aujourd’hui ; l’important, c’est d’être polarisé vers le but de notre vie, à savoir la participation à la vie divine. Voilà qui est un peu plus exaltant que le quotidien !
5Le plus important : tenir coûte que coûte
Cinquième remède, dont les Pères disent que c’est le plus important de tous : tenir, durer coûte que coûte. À ce sujet, on va trouver des petits apophtegmes des Pères ou des textes d’Évagre : « Si tu as faim, mange ; si tu as soif, bois ; si tu as envie de dormir, dors ; mais surtout ne quitte pas ta cellule, car si tu y restes, petit à petit, un état de joie profond va venir habiter ton âme après le combat. » Même chez Évagre, le dernier mot est « joie ». Une fois que l’on a tenu bon, la joie emplit notre cœur d’avoir lutté fermement dans le combat.
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Entrer dans la relation à Dieu
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que dans la lutte contre l’acédie, on est toujours dans une relation personnelle avec Dieu, ce n’est pas purement humain. Pleurer, c’est pleurer devant le Seigneur et crier vers le Seigneur. Avoir une hygiène de vie, ce n’est pas purement et simplement de l’écologie, c’est vivre sous le regard de Dieu de manière ajustée. Prononcer des paroles de l’Écriture n’est pas simplement une technique, c’est vraiment vivre de la Parole de Dieu. Persévérer, ce n’est pas du stoïcisme, c’est vraiment être en relation avec Dieu, etc. Pour Évagre, l’acédie touche notre relation à Dieu.