Un brouhaha léger emplit la salle. Les premiers spectateurs s’installent tandis que les suivants parcourent le lieu du regard. Nous ne sommes pas au théâtre Mogador ou à la Comédie Française mais à Lourdes, dans l’espace Robert Hossein. Dans quelques minutes, les lumières s’éteindront et les spectateurs émerveillés découvriront l’histoire de Bernadette Soubirous, celle qui a vu la Vierge "en vrai". Dans cette salle qui compte 1.500 places, 130 sont dédiées aux personnes en fauteuil roulant ou alitées. Ici, le carré or, ce sont d’abord les malades, installés au pied de la scène. Car ce show de 1h40 "façon Broadway", ainsi qu’aime à le dire Roberto Ciurleo, producteur du spectacle, fait la part belle aux invisibles de la société.
Bernadette Soubirous, fille d’un meunier que l’arrivée des moulins à vapeur a précipité dans l’indigence, n’était-elle pas l’une des leurs ? Dans cette salle de spectacle pas comme les autres, la présence de la Croix-Rouge et de soignants prêts à voler au secours des malades si nécessaire, ainsi qu’un poste de secours situé juste sous les gradins, attestent de l’esprit particulier de cette comédie musicale au budget monumental de 10 millions d'euros qui se joue depuis le 1er juillet et jusqu’au 27 octobre prochain dans la cité pyrénéenne. "Aujourd’hui, nous voulons rester à Lourdes car nous souhaitons y faire venir les gens", insiste le producteur.
De véritables tableaux vivants
Dans cette mise en scène bien ficelée qui réunit tous les ingrédients de la réussite, le dynamisme est de mise. Gilets, bretelles et redingotes pour ces messieurs de la ville, sabots, fichus, tabliers pour Bernadette et les siens… Les costumes des vingt-cinq personnes qui se succèdent sur scène nous font plonger dans l’atmosphère du milieu du XIXe siècle, palpable dans les quelques chorégraphies d’ensemble plutôt réussies. On apprécie la diversité des décors mis en valeur par les changements à vue et qui permet de passer en un rien de temps de la place du village au bureau du commissaire Jacomet (interprété par Grégory Deck), à la grotte ou encore au beau milieu de la campagne pyrénéenne. Un tableau montre Bernadette discutant aux champs avec Jeanne et Toinette. Tendez l’oreille et peut-être ouïrez-vous le frémissement du vent au milieu des herbes folles, dans ce décor d’une beauté à couper le souffle. Lumières chaudes et contrastes projettent le spectateur dans un imaginaire digne des grands maîtres du clair-obscur.
Au milieu, Bernadette, inébranlable. Ici, point d’adolescente introvertie et craintive, mais une enfant de 14 ans à la détermination sans faille. "Je suis chargée de vous le dire, pas de vous le faire croire", lance-t-elle effrontément à ses détracteurs. Eyma, la chanteuse de 17 ans qui l’interprète, confie à Aleteia avoir été frappée par la ténacité de la sainte : "Elle garde son idée en tête et n’en change pas. Elle a du répondant et nous montre qu’il faut aller jusqu’au bout". Bien dit.
En fait d’apparition mariale, dans la grotte de Massabielle magnifiquement reproduite en 3D à l’image de l’originale, une forme blanche qui ondule légèrement et dont la sobriété permet au spectateur d’imaginer ce qu’il veut, laissant parler son cœur et non ses yeux. Bernadette est bien là, en contemplation, et son regard en dit long. "Madame, Vous qui m’avez choisie un jour, Pour répandre vos mots d’amour, Vous qui un jour m’avez élue, Je vous bénis, je vous salue", lance-t-elle à l’adresse de "Aquero" (c’est-à-dire "Celle-ci" en occitan). À sa voix claire répondent au fil du spectacle celles de David Bán et Sarah Caillibot, qui interprètent ses parents, pauvres gens pris entre la pression sociale qu’ils subissent et leur fille qui appelle à la vérité, plus résolue que jamais. On n’oubliera pas non plus l’abbé Peyramale, auquel Christophe Héraut prête sa carrure de colosse et sa voix grave, particulièrement ovationné par le public à l'issue du show. Les chansons, dans lesquelles on reconnaît la touche de Grégoire, traduisent les doutes, les peurs et les certitudes de chacun des protagonistes.
Noir. Les lumières s’éteignent et un tonnerre d’applaudissements vient saluer ce spectacle. Certains ont les larmes aux yeux, d’autres se lèvent pour saluer la prestation ou tambourinent à qui mieux mieux sur le sol, faisant trembler les gradins. Pas de doute, le spectacle a fait mouche. Le collectif final, "Allez dire", a quasi des allures d’envoi en mission. "Allez dire, Que chacun porte en lui, Enfoui et caché, Ce pourquoi il est là", chantent en chœur les artistes. Dans le fond de la scène, des photos des processions d’hier et d’aujourd’hui attestent de l'actualité permanente du mystère de Lourdes. Roberto Ciurleo cite d'ailleurs volontiers padre Nicolas, ce prêtre qui lui a attrapé le bras à l'issue d'une représentation, lui lançant de son bel accent italien : "Mais elle est vivante, elle est vivante, c'est Bernadette !". Ce soir, la foule qui mêle croyants et non-croyants semble partager cet avis, elle qui applaudit au rythme de la chanson finale, affichant des visages bouleversés mais heureux.