Alors que l’Opéra national de Paris célèbre cette année les 350 ans de l’académie royale de musique que Louis XIV créa le 28 juin 1669, Aleteia est allé à la rencontre de Mireille Nègre qui, dans les années 1970, a renoncé à devenir danseuse Étoile pour être vierge consacrée. Elle a consacré son art à Dieu. « La beauté a été un intermédiaire qui m’a poussé à plus, à davantage, à connaître l’auteur même de la poésie et de la beauté ». Quand on lui demande pourquoi elle a quitté l’Opéra de Paris pour le Carmel, Mireille Nègre répond sans détour. Aujourd’hui âgée de 75 ans, celle qui a renoncé à devenir danseuse Étoile pour être vierge consacrée n’a cessé de chercher le visage de Dieu. « L’Opéra de Paris a été un échelon », confie-t-elle à Aleteia que l’institution célèbre cette année ses 350 ans.
Aleteia : 350 ans de l’Opéra de Paris… Qu’est-ce que cet anniversaire vous inspire ?
Mireille Nègre : L’Opéra de Paris m’a beaucoup apporté mais a également été source de nombreuses épreuves. Il m’a forgé un caractère et beaucoup de volonté. Y ayant vécu le meilleur et le pire, je dirais que l’Opéra de Paris est une école de la beauté artistique mais pas tout à fait une école d’amour. Je suis donc beaucoup plus sensible au 33e anniversaire de ma consécration à Notre-Dame de Paris par Mgr Lustiger, le 31 mai 1986, qu’à celui de l’Opéra de Paris. Personnellement, j’ai toujours vécu en faisant des choix d’absolu : je suis passée de danseuse à l’Opéra de Paris à la vie monastique puis consacrée. J’ai monté des échelons dans le sens de l’absolu et l’Opéra en a été un. Indispensable, mais que j’ai gravi pour passer au suivant.
Read more:
La danse au service de l’évangélisation
Qu’ont représenté la musique et la danse dans votre vie ?
Ce sont des choix que j’ai fait quand j’étais petite. Deux ans après ma naissance, en 1945, j’ai eu un grave accident dans un ascenseur qui a broyé mon pied. Le médecin a recommandé que je fasse de la danse classique et j’ai tout de suite été séduite par cet art qui nous met dans un état de grâce de par le dépassement dans lequel il nous engage. La musique allant de pair, c’est comme cela que je me suis également mise au piano au point d’hésiter à un moment entre danseuse et concertiste. Engagée dans le corps de ballet à l’âge de 14-15 ans, j’ai finalement fait carrière à l’Opéra jusqu’à être première danseuse.
“Ce jour-là, j’ai senti que mon art était consacré en même temps que moi.”
À l’âge de 28 ans, alors que vous alliez être nommée danseuse Étoile de l’Opéra de Paris vous choisissez finalement d’entrer au Carmel…
Oui, je suis restée dix ans au Carmel mais je ne me sentais pas adaptée. J’entendais de plus en plus dans les psaumes que j’étais appelée à danser Dieu. J’ai compris qu’en Dieu tout est danse ! À la sortie du Carmel je cherchais comment concilier les deux et j’ai découvert que Vatican II venait de remettre le statut de vierge consacrée en plein monde. C’est ainsi que le cardinal Lustiger m’a consacré le 31 mai 1986 à Notre-Dame de Paris. Ce jour-là, j’ai senti que mon art était consacré en même temps que moi. J’ai définitivement renoncé à l’Opéra qui m’offrait un rang social incompatible avec mon état de vierge consacrée. Mais je n’ai pas cessé de danser pour autant : j’ai fondé une école de danse et j’ai réalisé plusieurs spectacles.
Comment la danse vous a-t-elle aidé à trouver votre vocation ?
Par la beauté. La beauté a été un intermédiaire qui m’a poussé à plus, à davantage, à connaître l’auteur de la poésie et de la beauté… qui est Dieu. Et j’ai cherché le visage de Dieu ! En lisant sainte Thérèse d’Avila j’ai eu un coup de foudre. Et il y a également eu cette phrase de saint Matthieu : « Devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur ». Tout s’est retourné en moi, j’ai compris qu’à l’Opéra de Paris je n’étais pas à la bonne école. C’était même l’inverse de ce qu’a fait et choisi Jésus pour se faire connaître. Je me souviens encore quand mon père m’a accompagné à l’Opéra, j’avais 8 ans. Nous avions pris le bus 21 et en voyant Notre-Dame de Paris j’étais persuadée que c’était l’Opéra. Et ça l’est d’une certaine manière. J’ai finalement choisi cet Opéra de Dieu dans lequel j’ai été consacrée des années plus tard.
Read more:
Melissa, une ballerine en mission dans le Bronx
Vous évoquez la danse et de fait, l’expression du corps, pour rendre grâce à Dieu. Quelle place laisser au corps dans sa vie ?
J’estime que la danse rend honneur au fait que le corps peut devenir le temple de l’esprit. On arrive par le travail à glorifier Dieu avec son corps, pas simplement par l’esprit. Le corps est capable d’intellectualiser et de rendre la louange de Dieu. Si ton œil est transparent, ton corps le sera. C’est une question de regard que l’on a, que l’on pose sur la vie, sur l’esprit. Le corps ne doit pas être un maître, mais il ne doit pas non plus être un esclave. Il est un bon serviteur, qui doit donc être au service de l’esprit, de la conscience.
Y-a-t-il un passage de la Bible qui vous touche tout particulièrement ?
La danse du roi David ! « Comme l’arche de l’Alliance du Seigneur atteignait la Cité de David, Mikal, fille de Saül, se pencha par la fenêtre : elle vit le roi David bondir et danser » (Ch, 1, 15). Il y a différentes danses, certaines élèvent, d’autres abaissent. Celle du roi David est une danse de louange. C’est aussi celle de mon quotidien.